Olivier Deichtmann est illustrateur. Durant le confinement, coincé dans son appartement, il a couché sur le papier ses émotions, anxieuses ou révoltées, poétiques parfois. Il en est ressorti avec un journal de bord de 55 pages. 55 jours en compagnie du Covid19. 55 jours en noir et blanc.
La première fois que j'ai vu les dessins d'Olivier Deichtmann, j'ai été surprise. Surprise de voir que ses émotions, tracées à l'encre de Chine, reflétaient à ce point les miennes. Et celles de tous ceux, j'imagine, qui ont vécu ces 55 jours de confinement. Ses illustrations ne sont pas seulement poétiques. Elles sont un témoignage précieux de ce que nous avons traversé. De ces pensées qui ont submergé nos têtes, nos vies, nos intérieurs. En noir et blanc. Avec, toujours, en ligne de mire, ce virus, beau comme une fleur exotique. Venimeux.
Phagocytage
Comme pour beaucoup, le Covid19 a bousculé les habitudes d'Olivier Deichtmann. Lui qui gagnait sa vie d'artiste avec des illustrations privées, "souvent des commandes pour des portraits de famille avec une vache derrière" a dû revoir ses plans bucoliques. Adieu les vaches. Sa seule perspective désormais : le plafond de son appartement. Son seul horizon : le Covid19.
Ce Covid19 qui lui a phagocyté l'esprit, voilé les yeux, envahi les oreilles et engourdi les jambes, il a décidé de le jeter. Sur le papier. Chaque jour du confinement, il a raconté, à sa manière, ce qu'il traversait. Et cette expérience unique, individuelle s'avèrera universelle. "Je me suis dit que nous vivions un moment exceptionnel, j'ai eu besoin de coucher mes sentiments et de les partager. En noir et blanc parce que c'est plus simple. En noir et blanc car cette période était très contrastée."
En noir et blanc car cette période était très contrastée.
- Olivier Deichtmann
Ce que traduisent bien les dessins d'Olivier c'est aussi cet équilibre précaire. Entre l'anxiété et l'apaisement. "Chaque jour je dessinais en fonction de mon humeur du moment. Je me suis aperçu que tout comme mon quotidien, mes dessins avaient des hauts et des bas. Des périodes d'abattement et de grand stress où j'étais perdu, sans perspective, où les informations continues me mangeaient la tête. Et d'autres où le calme qui régnait en ville, le chant des oiseaux, les fleurs étaient d'une incroyable poésie."
Ce lotus par exemple. Au 7e jour du confinement. "Je me promenais en ville. Il faisait très beau. Le parfum des fleurs était merveilleux. C'était le premier jour du Printemps. Je respirais à pleins poumons mais je n'osais même pas me pencher sur une fleur pour y mettre mon nez. J'avais peur. Comme si toute la beauté était devenue danger. Comme si chaque plaisir nous était interdit. Je suis rentré, un peu triste. J'ai dessiné cette fleur."
55 jours, 55 dessins
Je l'ai déjà dit mais je le répète. A regarder ce journal de bord du confinement, c'est ma vie durant 55 jours qui défile. A peu de choses près. Se lever, allumer la radio, écouter les informations. Encore de mauvaises nouvelles. Coroninfo bonjour.
Regarder la télé. Regarder l'horloge. Regarder la télé. Regarder l'horloge. Il est quelle heure déjà ?
Faire les courses, ne pas savoir quoi toucher, comment le toucher. Se hâter. Choper n'importe quoi. Le covid aussi peut-être. Nature morte sur la table de la cuisine.
Marcher, marcher, marcher. 1h pas plus. Pas loin. Au milieu d'hommes et de femmes sans visage. Avoir peur tout le temps. Des autres aussi.
C'est ce qu'Olivier Deichtmann appelle se faire coronaquer. Se faire manger par le virus. "Cette période était difficile car nous n'avions aucune perspective et beaucoup de temps. Beaucoup de temps pour penser et pour penser au virus. Au début il y avait beaucoup de désinformation en plus, on ne savait plus quoi croire. Moi, personnellement, j'avais peur. Pas tant d'attraper le virus que de le transmettre à chaque fois que je sortais. L'extérieur était devenu une zone de dangers. Une zone faite d'inconnues. Alors que le soleil brillait fort. Là derrière la fenêtre, dehors. C'est ce paradoxe aussi qui m'a fait beaucoup réfléchir. Peut-être qu'en fait le virus était déjà dedans, chez moi. C'était drôle et triste à la fois."
Très peu de militantisme dans les dessins d'Olivier. Son journal n'est pas un manifeste. C'est un témoignage. "Ce sont surtout des messages gentils ou des messages de prévention. Mais parfois je n'ai pas pu m'en empêcher. Comme ce jour où j'ai appris qu'il y avait la queue au Mc Do, au drive. Que les gens attendaient 3h dans leur voiture, bravaient les interdictions pour de la fast food. Un fast food pas si fast que cela du coup. Alors j'ai dessiné deux personnes qui escaladaient une montagne de conneries pour y planter un drapeau."
Dernier jour
Aujourd'hui Olivier va mieux. Ces trois semaines de déconfinement lui ont fait du bien. Hier, il a fêté ses 34 ans à la campagne, en famille. Avec des vaches. Il a retrouvé son humour et son allant. Mais dans cette histoire tout le monde a perdu un peu de soi. "Moi je serai toujours dans la crainte d'une deuxième vague d'autant que le déconfinement a été brutal."
Du jour au lendemain, l'extérieur, jusqu'alors milieu hostile, est à portée de mains. Les murs tombent. Il faut réapprivoiser la normalité. Lourde tâche. "Je me suis senti vulnérable, exposé. J'ai eu du mal à me sentir à l'aise. Et surtout j'ai regretté mes promenades nocturnes dans Strasbourg déserte, si belle, si calme."
Grâce à cette série de dessins, l'illustrateur a acquis une petite notoriété. Et quelques commandes. "J'ai eu quelques appels de Leroy Merlin pour exposer dans un de leur magasin. Bon voilà quoi. Et du Crédit Agricole qui n'a pas donné suite. J'ai travaillé aussi avec Thierry Danet qui a mis en musique mes dessins, c'est très beau. Et puis, je suis ravi d'avoir été suivi chaque jour par 600 personnes sur Insta et Facebook. Ca m'a fait chaud au coeur." Olivier Deichtmann retrouvera bientôt ses portraits de famille, ses vaches et ses maisons à colombages. Dehors la vie a repris son cours. Banale. Pragmatique. Et c'est tant mieux.