Avec moins de 4.000 morts recensés, le continent africain est relativement épargné par la pandémie de covid19. Mais à cause du contexte de crise, les transferts monétaires, effectués par la diaspora installée notamment en Alsace, s'amenuisent. C'est une source de revenus importante qui disparaît.
Cela fait plus de deux mois que Pape ne travaille plus. Les marchés strasbourgeois sont restés fermés, à Hautepierre, à la Meinau, ou encore Faubourg National. Tous ces marchés où il est présent chaque semaine pour revendre des articles africains. Grâce à ce petit métier, Pape parvenait à envoyer 150 euros par mois à sa famille au Sénégal. Mais depuis la mi-mars, il est désoeuvré, et là-bas sa femme et ses cinq enfants doivent se débrouiller. Ils ne lui en veulent pas. "Ils savent qu'on ne travaille pas, mais j'espère que ça va reprendre la semaine prochaine", lâche-t-il.
Plus que l'aide publique au développement, l'argent de la diaspora
Partout où ils sont, la plupart des Africains envoient de l'argent à leurs proches... Une manne financière estimée à 49 milliards d'euros en 2019, autrement dit presque deux fois l'aide publique au développement. Ce sont les soutiens de l'ombre. Boubacar Konaté est en Alsace depuis 2002. Il est chef de chantier, il est aussi président de l'association des Maliens de Strasbourg.Comme beaucoup d'autres, il s'est retrouvé au chômage partiel, avec un salaire mensuel amputé de près de 20%. Ca compte, lorsqu'on est déjà un peu juste. Dans ces conditions, impossible de continuer à envoyer de l'argent comme avant. En revanche, avec l'association, les membres se sont cotisés, à coup de 10, 20, ou 5 euros, selon les possibilités de chacun. Ils ont pu transférer une somme de 400 euros à une association partenaire à Bamako (capitale du Mali) qui s'est chargée de répartir cette aide. Ça n'a l'air de rien, et pourtant au Mali, ces transferts monétaires représentent près de 7% du PIB
Le soutien à l'économie
Cette contribution des expatriés africains partout dans le monde est à la fois une aide qui fait vivre les membres de la famille, mais aussi, parfois, un investissement dans les filières locales. C'est ce que fait Moriba Ouendeno depuis 1996. La marque qui porte son nom est aujourd'hui présente sur les rayons de la plupart des supermarchés et magasins bio de France. Tisanes à la citronnelle, au gingembre, à l'hibiscus, ou encore jus de bissap ou de baobab. Il s'est fait sa place sur un marché de niche, en important les matières premières du Mali, du Sénégal ou du Burkina Faso. Sa façon à lui d'aider, c'est de soutenir les coopératives d'agriculteurs, et en particulier les groupements de femmes. Il prend en charge les démarches de certification en agriculture biologique, et il paye à l'avance les récoltes.
Mais depuis mars, il ne voit plus rien venir. Les matières premières sont bloquées en Afrique, pendant qu'en Alsace les rayonnages se vident dangereusement. "Si ça continue, les supermarchés vont finir par remplacer mes produits par d'autres marques", se désole-t-il, "Pour moi, ça va au-delà de l'inquiétude, c'est gravissime". Pourtant, l'été et les beaux jours qui s'annoncent sont la période idéale pour écouler les jus de fruits aux parfums d'Afrique. Mais pour lui, les affaires ne reprendront réellement qu'en septembre. En attendant, il continuera de payer ses fournisseurs, là-bas, pour ne pas compromettre le fragile équilibre économique des familles.
Pour moi, ça va au-delà de l'inquiétude, c'est gravissime
- Moriba Ouendeno, chef d'entreprise -
Garder les liens, garder l'espoir
A Strasbourg également, l'association Afriqu'elles se mobilise pour l'autonomie financière des femmes, qu'elles soient en Afrique ou en Alsace. Mais la pandémie a quelque peu bousculé les priorités.L'urgence, c'était désormais la sensibilisation aux gestes barrière, "surtout dans une société où on aime bien être ensemble, se toucher. On peut presque parler de rééducation", observe Prisca Menkoe, la présidente de l'association. Entre ici et là-bas, on discute, on s'échange des conseils et des vidéos sur les bonnes pratiques.
Ironiquement, depuis Strasbourg, Prisca Menkoe est même en capacité d'indiquer à ses proches au Cameroun le couturier qui dispose de masques homologués - c'est la magie d'un monde ultraconnecté - alors que sur place, ils auraient tout simplement acheté chez le revendeur du coin de la rue.
Mais rien n'est simple, et celui qui se fait appeler Sadaga, Sénégalais à Strasbourg depuis 20 ans, ne voit pas la situation s'améliorer. Lui aussi revend des articles africains. Mais, remarque-t-il, "autour de la cathédrale, plus personne n'achète. Et plus personne n'achètera tant que le virus sera présent, et que les clients auront peur de toucher la marchandise".On partage ce qu'on gagne, même si c'est peu
-Sadaga, revendeur de souvenirs africains -
Avec un loyer à payer de 450 euros par mois, il n'a pas réussi à envoyer de l'argent pour ses trois enfants restés au pays. "On partage ce qu'on gagne, même si c'est peu. Nous, on est toujours prêts à être dans la galère pour que les autres puissent s'en sortir", dit-il, "mais là, je ne vois pas d'issue". Une tradition de solidarité mise à mal par un minuscule virus aux effets dévastateurs.