Un magazine israélien en ligne affirme que 50 à 70% des membres de la communauté juive de Strasbourg seraient infectés par le covid19, citant le grand rabbin. Ce dernier dément formellement, mais indique qu'une vingtaine de ses membres sont dans un état grave.
Le grand rabbin de Strasbourg, Harold Abraham Weill, est très en colère. Dans un article paru ce samedi 28 mars, le magazine en ligne israélien Times of Israël citait, sans l'avoir consulté, des propos qu'il aurait soi-disant tenus annonçant que "la majorité de la population juive de Strasbourg serait atteinte du covid19. Selon le grand rabbin, le magazine s'est basé sur une interview intégralement en hébreu qu'il avait accordée la veille à une radio israélienne, mais en a sorti certaines de ses phrases de leur contexte, les a traduites en français et en a déformé le sens afin d'en faire un article cédant au sensationnalisme.
Une vingtaine de personnes dans un état grave
Harold Abraham Weill a confirmé ce lundi 30 mars à France 3 Alsace que la communauté juive de Strasbourg, estimée à 20.000 personnes, est elle aussi touchée par l'épidémie. Elle a été endeuillée par un décès survenu le samedi 21 mars, et une bonne vingtaine de ses membres, des personnes "entre 50 et 65 ans, mais pas au-delà de 70 ans" sont dans un état grave, hospitalisées et plongées en coma artificiel. Parmi les 13 rabbins, 11 ont été atteints par le coronavirus, et l'un d'entre eux fait partie des malades hospitalisé dans un état grave. "C'est terrible quand il s'agit de quelqu'un avec qui on travaille tous les jours", reconnaît Harold Abraham Weill."On est abattus par cette situation épouvantable" avoue-t-il. Il connaît bien tous ces malades et leurs familles, à qui il tente d'apporter soutien et réconfort. Lui-même, diagnostiqué positif il y a deux semaines, va mieux. Il respecte le confinement avec son épouse et leurs quatre enfants, tout en faisant son possible pour "continuer à faire vivre la communauté" de loin.
Ce vendredi 27 mars, il avait accordé une interview en hébreu à une radio israélienne, pour effectivement y évoquer la situation difficile que sa communauté est en train de traverser, mais dans un but pédagogique. "C'était pour leur dire à tous : restez chez vous !" précise-t-il. C'est dans cette interview que le magazine en ligne Times of Israël aurait donc "pioché" certains de ses propos, pour les déformer avec des phrases du style qu' "il (le grand rabbin) pense qu'une majorité des 20.000 membres de la communauté pourrait avoir été infectée (…) peut-être 50%, peut-être 60% ou 70%" – ce que Harold Abraham Weill dément formellement avoir prétendu dans ce contexte.On vit un désarroi total, on est là pour les familles en détresse et on doit encore gérer ce genre de démenti.
- Harold Abraham Weill
Précurseurs en matière de prévention
Bien au contraire, il a plutôt le sentiment qu'en terme de prévention, la communauté juive de Strasbourg a été "avant-gardiste". Il y a plus d'un mois, alors que le gouvernement interdisait uniquement les rassemblements de plus de 5.000 personnes, il estime qu'au centre communautaire de Strasbourg "on a été précurseurs et on a pris certaines mesures". Dès ce moment-là, il a demandé aux personnes fragiles et à celles de plus de 70 ans "de ne plus venir à la synagogue". La consigne a été respectée, ce qui explique selon lui l'absence de personnes âgées de la communauté parmi les malades actuellement à l'hôpital. Depuis plus d'un mois, du gel hydro-alcoolique était aussi mis à disposition dans les synagogues et dans le centre communautaire de Strasbourg et il était demandé aux fidèles "de rester à bonne distance" durant les offices.
La fête de Pourim n'est pas responsable
L'article du Times of Israël met aussi en cause les manifestations liées à la fête de Pourim, la plus joyeuse des fêtes juives, qui s'est déroulée cette année les 9 et 10 mars, soit huit jours avant le début du confinement. D'après l'article, le grand rabbin aurait "notamment pointé du doigt les célébrations entourant la fête de Pourim" en tant que facteur aggravant pour la diffusion de l'épidémie.Là aussi, Harold Abraham Weill s'érige en faux et remet les choses dans leur contexte : "Il pleuvait, il y avait donc moins de monde que d'habitude dans les rues de Strasbourg, et beaucoup moins de monde dans les synagogues" suite aux consignes de sécurité déjà appliquées par la communauté.
Faire vivre la communauté à distance
Depuis la fermeture complète du centre communautaire, le 15 mars, c'est-à-dire dès le week-end avant le confinement, de nombreux bénévoles consacrent une belle énergie à continuer à faire vivre la communauté malgré tout. Certains appellent tous les jours une liste de personnes âgées, afin de lutter contre leur isolement. Des offices sont diffusés sur Internet trois fois par jour, permettant "à tous de prier au même moment". L'épicerie sociale continue de fonctionner, "les colis sont préparés selon des normes strictes de sécurité". Les bénéficiaires qui ne peuvent pas se déplacer sont livrés, et les autres réceptionnent leur colis à l'extérieur du centre communautaire.Par ailleurs, une plateforme en ligne uniquement alimentée par des bénévoles permet de se cultiver et se distraire avec des programmes pour tous les âges : cours, conférences, concerts virtuels, comptines et spectacles pour les plus jeunes. "Une solidarité énorme s'est mise en place, pour permettre à la communauté de continuer à exister", se réjouit le grand rabbin.
Pas d'attaque directe mais des relents d'un âge révolu
Le magazine en ligne israélien évoque aussi "certaines manifestations d'antisémitisme" dont la communauté juive strasbourgeoise, "durement touchée par l'épidémie" aurait été victime. Faux, là encore, dément le grand rabbin, qui précise n'avoir eu connaissance d' "aucune agression au niveau local", et que ni lui, ni personne de la communauté n'a été destinataire d'un quelconque mail malveillant dans ce contexte.C'est tellement ridicule de faire des décomptes et de chercher des responsables.
- Harold Abraham Weill
En revanche, lire certaines réactions sur les réseaux sociaux lui donne "envie de vomir." Particulièrement celles concernant la communauté évangélique de Mulhouse, premier foyer de contagion dans le Grand Est. Cette recherche d'un bouc émissaire le replonge malheureusement dans des temps qu'il pensait révolus, où certaines communautés, la communauté juive en particulier, étaient accusées de tous les maux. "C'est tellement ridicule de faire des décomptes et de chercher des responsables", soupire-t-il.
Dans l'immédiat, le grand rabbin de Strasbourg tient surtout à exprimer son "admiration la plus profonde" et la reconnaissance de toute sa communauté envers les équipes médicales, pour leur engagement et leur travail inlassable dans des conditions particulièrement difficiles.
Times of Israël nous écrit
« Selon le grand rabbin, le magazine s’est basé sur une interview intégralement en hébreu qu’il avait accordée la veille à une radio israélienne, mais en a sorti certaines de ses phrases de leur contexte, les a traduites en français et en a déformé le sens afin d’en faire un article cédant au sensationnalisme », a ajouté France 3.Le Times of Israël est notamment accusé d’avoir rapporté à tort une estimation du rabbin de « 50 à 70 % » des membres de la communauté juive de Strasbourg qui seraient infectés par le coronavirus – soit une majorité d’entre eux.
Dans son article, le Times of Israël reprenait des propos que le rabbin Weill avait prononcés vendredi matin à la radio de l’Armée israélienne, Galei Tsahal, disponible à cette adresse (en hébreu, à 12mn41 dans la 5e partie du replay).
« La situation à Strasbourg est, de manière générale, très difficile, et particulièrement dans la communauté juive, n’est-ce pas ? De nombreux membres de votre communauté juive sont malades », avait demandé au rabbin la journaliste Nurit Canetti de Galei Tsahal.
Le rabbin avait alors réagi : « Exact. Exact. C’est vraiment un phénomène effrayant. Chez nous, il est difficile de dire précisément combien de personnes ont été contaminées, mais j’estime que 50, peut-être 60, peut-être 70 %, je ne sais pas. Ce qui est clair, c’est que la majorité de la communauté a été contaminée… »
France 3 ajoutait que l’article du Times of Israël mettait « aussi en cause les manifestations liées à la fête de Pourim, la plus joyeuse des fêtes juives, qui s’est déroulée cette année les 9 et 10 mars, soit huit jours avant le début du confinement. D’après l’article [du Times of Israël], le grand rabbin aurait ‘notamment pointé du doigt les célébrations entourant la fête de Pourim’ en tant que facteur aggravant pour la diffusion de l’épidémie » – ce qu’il a ensuite nié auprès de France 3.
Dans l’entretien donné par le rabbin à Galei Tsahal, M. Harold Abraham Weill avait déclaré : « Je pense que tout a escaladé la semaine de Pourim. Même si nous avions déjà pris quelques mesures, c’est-à-dire que nous sentions que la situation évoluait et devenait dangereuse, nous avions déjà pris des mesures très sévères à l’approche de Pourim, mais il semble que ça n’a pas suffi, avec les mishloah manot, ou chacun donne à son prochain, lui donne un mishloah manot et les gens vont dans les maisons les uns des autres. C’est évident que ça a permis au virus de se propager, c’est évident. »
France 3 écrivait également : « Le magazine en ligne israélien évoque aussi ‘certaines manifestations d’antisémitisme’ dont la communauté juive strasbourgeoise, ‘durement touchée par l’épidémie’, aurait été victime. Faux, là encore, dément le grand rabbin, qui précise n’avoir eu connaissance ‘d’aucune agression au niveau local’, et que ni lui, ni personne de la communauté n’a été destinataire d’un quelconque mail malveillant dans ce contexte. »
Dans son article, le Times of Israël n’a, à aucun moment, évoqué une éventuelle « agression » ou un éventuel « mail malveillant [reçu] dans ce contexte », mais a simplement rapporté les attaques antisémites lancées à l’encontre de l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn, évoquées par le grand rabbin à la radio de l’armée.
Suite à ces clarifications, le Times of Israël rejette toute accusation de « sensationnalisme » portée par le grand rabbin de Strasbourg par l’entremise du site Internet de France 3 Grand Est, et s’interroge sur les motivations de ces derniers. Nous regrettons également que la rédaction de France 3 Grand Est n’a, de toute évidence, pas cherché à traduire l’interview du rabbin diffusée sur Galei Tsahal avant la publication de telles accusations à l’égard du Times of Israël. En tant que média d’information israélien francophone, nous estimons qu’il est de notre devoir de rapporter sur notre plateforme la diffusion d’une telle interview sur les ondes israéliennes – ce qui nous semble aujourd’hui être reproché – et nous regrettons de devoir nous en justifier.