Deuil périnatal : "on sort sans poussette, les mains et le coeur vides", des parents témoignent

Ce dimanche 15 octobre a lieu la journée mondiale de sensibilisation au deuil périnatal, ce deuil vécu par de jeunes parents lorsque l'enfant ne survit pas à la grossesse ou décède dans les jours qui suivent la naissance. Un sujet de société méconnu, alors certains parents touchés décident de témoigner pour qu'un voile se lève sur cette souffrance qui ne guérit jamais, mais qui peut devenir une force.

Aurore et son mari ont trois enfants, Louison 7 ans, Eline 5 ans et Adaxel, 2 ans et demi. Pourtant, sur la première page de leur livret de famille, c'est bien le prénom de Marielle qui figure, l'aînée de la fratrie donc.

"Nous sommes en 2015, je suis à 9 mois de grossesse et tout à coup, je sais que quelque chose ne va pas, nous raconte Aurore, la voix vibrante d'émotions, près de 10 ans après le drame. Je me rends aux urgences gynécologiques, on me met sous monitoring et rien ne se passe, le cœur de ma petite fille s'est arrêté de battre".

Évidemment, à ce moment-là, ni Aurore ni son mari n'ont entendu parler de deuil périnatal, ce tsunami émotionnel qui touche les parents dont le bébé meurt pendant la grossesse ou dans les jours qui suivent la naissance.

"On sort de la maternité sans poussette, sans cosy avec les mains vides, le cœur vide, se souvient Aurore, avec des papiers pour aller aux pompes funèbres, pour un bébé que personne n’a vu". Un traumatisme d'autant plus grand qu'il est difficile d'en parler autour de soi, les proches se sentant souvent mal à l'aise, maladroits ou dans l'incapacité de trouver des mots de réconfort.

"Ce drame m’a dévasté, confirme Jean-Marie, le papa de Marielle, j’étais très en colère, carrément haineux. J’avais du mal à rester socialement gentil tellement j’étais débordé par la colère, les banalités ne m’intéressaient plus du tout, j’étais aigri en fait." Difficile à ce moment-là de comprendre ce qui le traverse. Alors Aurore, sa femme, le somme de réagir.

L'impossibilité du deuil

Christina, elle, est déjà maman d'un petit garçon quand le jour de la fête des mères, ce 27 mai 2018, elle doit mettre au monde prématurément sa petite Lisa, dont le cœur a cessé de battre. "C’était horrible de la laisser partir mais je l’ai quand même mise au monde et ça, c’était une belle chose, témoigne Christina. Elle a un nom, une date de naissance que l’on fête tous les ans et si sa vie a été courte, elle a fait partie de la nôtre, on peut lui attribuer beaucoup plus d’adjectifs que juste « morte », c’est important pour nous".

Tous le disent, on ne peut pas faire le deuil de la mort de son bébé. Jamais. Mais on peut comprendre, apprendre à vivre avec, voire en faire une force. Et cela passe, pour tous, par la participation à des groupes de paroles encore trop méconnus.

"Ce qui est bien dans ces groupes, explique Jean-Marie, c’est qu’il n’y a pas de tabou, on peut parler de tout, mettre sur la table ses pensées les plus noires, on sait qu’on sera compris. Et tout cela m’a justement permis de comprendre ce que j’endurais à ce moment-là."

"Ça nous a permis aussi de nous identifier comme parent, ajoute Aurore, puisque Marielle était la première, et donc la société nous refuse ce statut. C'est aussi le fait de pouvoir faire exister ces bébés et de parler librement de choses qui ne sont pas tolérables pour les autres."

Et Christina de conclure, "les groupes de parole m’ont permis de me dire que je n’étais pas bizarre de ressentir ce que je ressentais, qu’il y avait d’autres mamans comme moi". Tous trois font partie de la même association, nos tout-petits d'Alsace, fondée au début des années 2000, à une époque où on ne parlait absolument pas de ça.

La question de l'enfant d'après

C'est une sage-femme, Dominique Merg-Essadi qui la créé, au vu de la demande des parents. "Ça ne se faisait pas trop à ce moment-là, on n'avait donc aucune expérience. Et surtout, celle qui anime ces groupes, craignait que ces parents ne parviennent plus à sortir du statut de parents d'enfants décédés. "Mais j'ai compris que c'était transitoire et qu'il était nécessaire pour ces parents de rencontrer d'autres personnes ayant traversé la même chose".

Les groupes sont toujours menés par un parent et un soignant, les deux étant formés à l'animation de groupe. Aujourd'hui, Dominique Merg-Essadi est psychologue et présidente de l'association.

Des groupes qui permettent aussi de mettre sur la table la question de l'enfant d'après : que lui dire ? Comment ? À quel âge ? Pour Christina, ça a aussi été des questions du type "est-ce que j’ai le droit d’être heureuse avec ce bébé ? Est-ce que je vais l’aimer autant que Lisa ?" 

Et il faut aussi se préparer aux questions de ces enfants. "Louison (qui est née un après le décès de Marielle), m'a par exemple posé une question qui m'a bouleversée, raconte Aurore. Elle m'a demandé, si Marielle avait été là, est-ce qu'Adaxel (le dernier de la fratrie) serait né ? Et la vérité, c'est que je n'en sais rien, au départ, on ne voulait qu'un seul enfant", se souvient-elle.

Un deuil qui transforme

Des deuils impossibles, on l'a dit, mais qui changent à tout jamais le regard sur le monde et apportent du positif. 

"Grâce à ma fille, reconnaît Christina, j’ai fait tellement de belles rencontres. Et puis on relativise beaucoup plus les mauvais moments, on apprécie davantage la beauté du monde, on fait beaucoup plus attention au monde qui nous entoure. Enfin, on a un autre rapport au travail avec mon mari : on a baissé le nombre d’heures de travail pour profiter davantage".

Aurore et Jean-Marie racontent la même chose. Pas question pour eux de reprendre leur vie métro, boulot, dodo. "Sans le décès de Marielle, nous serions l’archétype du couple qui travaille beaucoup, gagne bien sa vie, mais ne profite pas. Aujourd’hui, je suis un papa très impliqué, j’ai quitté mon travail pour un autre beaucoup moins chronophage et je profite de mes enfants." 

Aurore, elle, ne travaille plus qu'à mi-temps. "On ne fait rien sans nos enfants, ça a complètement changé notre façon de voir, notre priorité, c'est la famille et c’est le bonheur. Je n'aurais peut-être pas réussi à comprendre tout cet amour, si ma première fille n’avait pas disparu".

Alors évidemment, cette journée mondiale de sensibilisation au deuil périnatal qui a lieu ce dimanche 15 octobre les touche particulièrement. À Strasbourg, des événements sont organisés par l'association nos tout-petits d'Alsace, en partenariat avec l'association SPAMA, soins palliatifs et accompagnement en maternité : un atelier photophore le dimanche matin de 10 heures à 13 heures et un temps de rencontre au cimetière Saint-Urbain à 15 heures. À Mulhouse, un moment de recueillement est prévu au cimetière nord le 14 octobre à 14h30.

Par ailleurs, France 3 île-de-France propose sur la plateforme france.tv un documentaire sur le deuil périnatal intitulé "le berceau vide".

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