Elles sont arbitres aux Jeux olympiques de Paris, portraits croisés de deux femmes d'exception, "ce n'est que du plaisir"

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Marie-Pierre Carteron est à Marseille, les yeux rivés, scrutateurs, sur les voiles qui glissent sur la Méditerranée. Pascale Grimm-Feron, elle, a le regard tourné vers l'Arena Paris où le plateau d'haltérophilie l'attend la semaine prochaine. Toutes les deux sont Alsaciennes, toutes les deux sont arbitres lors des JO Paris 2024.

Marie-Pierre Carteron est encore en mer quand je l'appelle. Avec elle, peu de chance qu'il en soit autrement. À la veille des premières épreuves olympiques de voile, Marie-Pierre vérifie les positions des bouées géostationnaires qui jalonneront les courses au large de Marseille. 

La responsable de l'école de voile de l'ACAL (Aquatic Club d’Alsace et de Lorraine) a quitté Plobsheim et ses vertes rives la semaine dernière pour le bleu de la Méditerranée. Et une mission olympique, la première, celle de mouilleur. "En gros, poser les bouées en fonction du vent. Des positions qui peuvent donc changer de quelques degrés en cours de course en fonction de la direction du vent."

De sa voix grave, comme enveloppée d'une croûte de sel, elle raconte son émotion. D'être là. Prête à assister, aux premières loges, aux courses des meilleurs équipages de voile au monde. Par hasard. "Sans mauvais jeu de mots, je suis la bouée de secours. J'ai hésité, je dirige le club de Plobsheim, mon collègue m'a dit, tu es folle, vas-y on se débrouille, c'est le rêve de ta vie. Et me voilà, il a fallu s’organiser."

Si la Fédération a appelé Marie-Pierre, ce n'est pas un hasard, non. Habitée qu'elle est par la navigation. En mer ou à Plobsheim où elle forme, depuis 20 ans, deux générations de véliplanchistes, de kitesurfeurs, de navigateurs amateurs ou professionnels. "En tant qu'entraîneur, je me balade sur tous les plans d’eau et les mers du monde. J’ai accompagné mes coureurs sur les compétitions internationales. Je me suis fait un nom. Cette fois, je suis au cœur de la course."

Je suis très heureuse de vivre cette expérience olympique, la seule de ma vie sans doute

Marie-Pierre Carteron, mouilleur aux JO

Et du cœur, il en faut. Et rien à voir avec le mal de mer. "Bon, j’étais stressée avant de venir, fébrile même, il ne faut pas se planter, c’est un gros truc. Là ça va mieux, j'ai pris mes marques. Je suis très heureuse de vivre cette expérience olympique, la seule de ma vie sans doute. J’avais déjà mis le nez dedans avec Albertville, j’étais monitrice de ski à l'époque, je faisais partie de la haie de flambeaux à la remise des médailles."

Aujourd'hui finie la figuration, Marie-Pierre est dans l'action. Rude parfois, quand il faut, comme le Mistral quand il monte en bourrasques. "C'est la compétition qui me passionne, le dépassement de soi, quand on est sur un podium, même national, il y a quelque chose qui se passe, de la satisfaction, plus que ça. Je déteste perdre, quand je suis avec mes jeunes, ils me font naviguer sur un optimiste, sinon j’ai envie de les dépasser. C'est comme ça."

Un tempérament de feu qui lui a permis de se faire une place sur l'eau. "Il faut avoir un mental d'acier, c'est clair. La voile ensuite permet aux femmes de performer. Ce n'est pas un sport de costauds, le milieu ne m'a jamais semblé misogyne, jamais, je n'ai eu de remarques sur le fait que je sois une femme.  Ellen MacArthur en est la preuve, les femmes ont toute leur place dans les compétitions. Dans mon école, il y a la parité parfaite. La secrétaire générale de la Fédé est une femme, ça avance bien."

Aux JO aussi, il y a la parité. Des participants. Pour l'arbitrage, c'est moins flagrant. Difficile d'avoir des chiffres, mais en France, les femmes ne représentent que 20,3 % des effectifs totaux d’arbitres de haut niveau. On image au niveau international…

Marie-Pierre reste à Marseille jusqu'au 8 août, elle arbitrera les courses de dériveurs, de 470 "plus costaud, mais moins rapide". Le 470 est mixte, une obligation. " Ça a un peu grincé des dents au début, il y en a qui ont râlé d’intégrer des femmes. Là ça va mieux. Plus ça va, plus les JO sont dans la mixité."

Marie-Pierre soupire d'aise. Et scrute le large. Sa seule préoccupation aujourd'hui. "Le vent ici est très capricieux. Hier vingt-cinq nœuds, aujourd’hui quatre nœuds, demain dix. On ne sait jamais à quoi s'attendre. Nous sommes tributaires de la nature, c'est ce qui est beau aussi. Sur une vie d’entraîneur, j'ai compté, on passe un an immobile, assis sur un plot de parking. La voile est aussi un sport de patience." Difficile d'imaginer Marie-Pierre rester les bras croisés. 

L’équipe de France de voile a toujours remporté au moins une médaille olympique depuis 2004. Avec 14 compétiteurs dans les différentes épreuves, la voile sera sans doute encore pourvoyeuse de médailles en 2024. Si le vent est bon.

Le mal de dos

Pascale Grimm-Feron est taillée dans le même roc. La seule différence est qu'elle n'a pas le pied marin et que le vent l'indiffère royalement.

Cette ancienne motarde de la BRI de Strasbourg, "nous étions à l'époque sept en France", est une routière, une terre à terre. Une dure à cuire, elle aussi, on peut le dire. "Pour s'imposer dans un milieu masculin comme celui-ci, il faut être a minima volontaire et dynamique. Pendant les trois mois de sélection, j'en ai bavé comme jamais, mes jambes, mon dos. J'ai fait mes preuves, c'est tout."

Circulez. Le milieu de l'haltérophilie, où la puissance est la clé et dans lequel elle baigne depuis trente ans, n'est pas non plus réputé pour sa tendresse. "Quand j'ai dû arrêter la gym parce que mon corps ne suivait plus, j'ai dû trouver une alternative.  Je ne pouvais pas tourner la page de vingt années de compétition comme ça. Puis, un dimanche matin, je suis passée à la salle de musculation de l’ASPTT Strasbourg. J’ai essayé, je suis revenue le lendemain puis je n’ai plus arrêté. C’est vrai que ça m’a beaucoup aidée pour réussir le concours de motarde de la police." 

Pascale se lance alors à corps musclé dans l'arbitrage." En 2001, j’étais enceinte de six mois et j'avais du mal à trouver une tenue officielle qui m'allait, j'ai pris ce que j'ai trouvé, le gris n'était pas gris, et ça a fait grincer des dents. Pour la pesée aussi, j'ai dû m'imposer et mettre parfois mes homologues dehors. J'ai surtout l'impression que les hommes ne voulaient rien changer de leurs petites habitudes."

Pascale est une bourrasque. Le Mistral de l'haltérophilie pour filer la métaphore. En 2024, elle devient arbitre internationale première catégorie et prend la tête de la section haltérophilie de l’ASPTT Strasbourg. Elle y féminise la pratique en développant en particulier l'arbitrage féminin. "L'idée, c'était d'amener les mamans des athlètes, qui ne connaissaient de l’haltérophilie que les gradins des salles de compétition, vers le rôle de juge. C’était un sacré challenge." Réussi, une d'entre elles, Marie-Hélène Bonamant est devenue arbitre internationale,"on part d’ailleurs toutes les deux aux JO".

En France, il faut encore que les mentalités évoluent. Mais je suis optimiste, c’est de moins en moins difficile de s’imposer comme une femme.

Pascale Grimm-Feron, arbitre d'haltérophilie

Aux JO, la parité homme/femme est respectée dans le corps arbitral. Une bonne nouvelle pour Pascale qui se souvient parfois avec émotions de compétitions régionales ou nationales où les esprits étaient disons plus lourdingues. "En France, il faut encore que les mentalités évoluent. Disons simplement que ma réputation me précède, je suis juste, mais sévère. Ça m'a valu quelques fois des réflexions même si les athlètes apprécient cette rigueur. Mais je suis optimiste, c’est de moins en moins difficile de s’imposer comme une femme, avec l’arrivée du crossfit, on a un nouveau public qui vient apprendre l’haltérophile. De nouveaux profils, moins techniciens, très sportifs."

Pascale partira avec trois autres de ses confrères de l'ASPTT Strasbourg (dont deux femmes) aux JO la semaine prochaine, "sur dix arbitres français, c'est un record". Là-bas, elle ne sait pas encore ce qui l'attend. Arbitre de chaise, membre du jury, contrôle des charges, des changements de barre, contrôleur technique… tout est ouvert. " J'ai souvent fait partie du jury lors des championnats, on verra bien." 

Pascale a déjà arbitré aux JO de Rio. Elle n'a pas peur. Et d'ailleurs, elle n'a "peur de rien". "J'adore voyager, j'adore l'ambiance de ces compétitions où on croise les meilleurs athlètes du monde qui joue souvent le rôle de leur vie, j'aime aussi retrouver mes collègues arbitres, c'est un petit monde. Ce n'est que du plaisir."

Plaisir décuplé cette année. "Imaginez : présenter mon pays, Paris, à mes collègues, ça va être exceptionnel." Dix compétitions auront lieu jusqu'au 11 août. Un séjour parisien bien chargé… émotionnellement. 

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