Raymond Waydelich, artiste né à Strasbourg en 1938, est décédé hier, vendredi 9 août. Il était âgé de 85 ans. Sculpteur, peintre, il était aussi passionné d'archéologie. Ses œuvres, fantastiques et poétiques, étaient largement consacrées au temps et à la mémoire.
Raymond Waydelich, archéologue du futur, inventeur de la capsule temporelle, enfouie dans un bunker de béton sous le parvis de la cathédrale, fait désormais partie du passé. Gageons qu'il aura pris soin d'y partir avec son iconique saucisse à tartiner, la schiermwurscht.
Artiste fantasque, poétique, il aura marqué l'art et sa région natale de sa simplicité. Son goût pour les choses du quotidien, la bouffe donc (le eat art) mais pas seulement. Bestiaire, gloriette, il labourera toute sa carrière le champ des possibles. Il se disait "artiste plasticien, marchand de bonheur".
Archéologie du futur
Raymond-Emile Waydelich naît à Strasbourg en 1938 d'un père ébéniste et d'une mère botaniste. Il passe par les Arts Décoratifs de Strasbourg, puis ceux de Paris, avant de tracer son propre sillon. Ou plus exactement de creuser, d'excaver.
En 1959, il part au 2° génie à Metz. Au service informations et photographies. En 1961, il y fait son premier reportage photographique sur les sites archéologiques romains en Algérie. En 1962, il reprend le travail chez son père, comme décorateur dans son ébénisterie du Neudorf. C'est là qu'il commence "à tâter" la création plastique. Il voyage en Tunisie, en Turquie sur les sites archéologiques d’Éphèse, Aphrodisias, Millet, Hyerapolis. Son "archéologie du futur" prend forme dans sa tête et sous ses doigts.
Késako, l'archéologie du futur ? Tout simplement concevoir des objets, des témoignages du présent (déjà passé) pour le futur. Raymond Waydelich collectionne ainsi objets et photos pour construire, à base de collages, assemblages ou installation, une œuvre protéiforme, traces de notre civilisation, que découvriront et interpréteront les archéologues du futur.
Chez lui, le temps et la mémoire se cristallisent sur la transformation anticipée des objets, pour perdurer. Il crée ainsi des pneus en céramique ou une cabane de jardin coulée dans le bronze.
C'est grâce à cette narration particulière, que Waydelich représente en 1978 la France à la biennale de Venise, une dizaine d'années après Hans Arp. Il y expose "L’Homme de Fréhof, 2720 après J.C", fiction de post-catastrophe nucléaire.
La Capsule temporelle
Le Caveau du futur s'inscrit dans cette narration. Elle est destinée aux archéologues du futur et plus exactement ceux de 3790.
C'est une capsule temporelle, enfouie, le dans un bunker de béton, sous le parvis de la cathédrale. Elle contient des témoignages, plusieurs milliers de messages aux générations futures, rédigés par la population.
La fosse en béton ne pourra être ouverte qu'en 3790. Les "archéologues du futur" y découvriront alors d’innombrables objets contemporains du quotidien tel qu’un disque du chansonnier Roger Siffer, des préservatifs, des canettes de Coca et la convention de droits de l'homme européenne…
Autre excavation : celle d'une inconnue, qui marquera toute son œuvre. Lydia Jacob. En 1973, Raymond Waydelich tombe sur un cahier de 1890 qui appartenait à une apprentie couturière, Lydia Jacob, née à Neudorf. Il commence à raconter sa vie, lui invente une famille, des voyages, elle devient, au fil du temps, dit-il plus qu'une muse, "son associée". Lydia devient une star, sa vie, imaginaire, est retracée par des peintures, sculptures, collages ou aquarelles.
Il y fera d'ailleurs référence à la biennale de Venise, où son "homme de Frehof" lui est dédié.
Marchand de bonheur
Raymond Waydelich se disait "archéologue du futur, marchand de bonheur."
Il s'est également beaucoup intéressé à la mémoire populaire, aux anonymes comme Lydia Jacob, qui n'en est aujourd'hui plus une.
En 1999, il installe dans les jardins familiaux de la Robertsau (67), une gloriette en bronze inspirée des cabanes de jardin. Intitulée "Hommage à Lydia Jacob" elle rend hommage aux jardins ouvriers, symboles d'une certaine culture populaire et d'une fraternité "en voie de disparition" disait-il.
Dans ce même souci, Raymond Waydelich devient le chantre de la gastronomie. Populaire. Chocolat, crème, jambon, et surtout saucisse à tartiner. Des chapelets de schmierwurscht orneront ses bestiaires. "C'est mon porte-bonheur, c'est une mémoire, mon oxygène et celle de l'Alsace. C'est génialement le symbole du eat art des années 70, c'est une manière de travailler l'alimentation ..."
C'était un artiste exceptionnel, cocasse, amusant, curieux des gens. Amusant et profond.
Hélène Arrouays, galeriste
Il a longtemps exposé et vendu ses œuvres à la galerie l'Estampe à Strasbourg (67), qui, en septembre 2022, a organisé une rétrospective de son œuvre, des boites reliquaires aux dernières œuvres récentes.
"On travaillait avec lui depuis 40 ans, on le savait fatigué, nous sommes très peinés par sa disparition. Malheureux. C'était un artiste exceptionnel, cocasse, amusant, curieux des gens. Amusant et profond. Derrière cette drôlerie, il était toujours sur la brèche, à questionner le passé, l'humanité. Qu'est-ce qu'on laisse ? Qu'est-ce qui restera de nous ? Ici, c'était le boss, il restait curieux de tout. On va bien évidemment lui rendre l'hommage qu'il mérite" explique Hélène Arrouays, galeriste à l'Estampe.
C’est avec beaucoup de tristesse et d’émotion que j’ai appris la disparition de Raymond Waydelich, un ami dont les oeuvres m’ont toujours accompagné tout au long de mon parcours.
— Brigitte Klinkert (@KlinkertBrigitt) August 10, 2024
J’adresse à l’ensemble de sa famille et de ses proches ma compassion et mes sincères condoléances.… pic.twitter.com/9od2hHbRqL
L'histoire ne dit pas si la saucisse à tartiner l'accompagnera dans son dernier voyage. Si, elle aussi, a été enrobée de céramique pour les archéologues du futur. En attendant, sur les réseaux sociaux, les hommages se multiplient, traces fugaces, mais elles aussi, quelque part, enfouies sur le web pour la postérité.