L'avortement est légal en France depuis l'instauration de la loi Veil en 1975. Pourtant, l'illustratrice et autrice strasbourgeoise Léontine Soulier observe que ce sujet reste encore tabou. Les femmes qui ont subi cette épreuve n'en parlent pas. C'est à travers un roman graphique publié le 10 mai qu'elle a décidé de briser ce silence.
Nauplius est un roman graphique sur un thème particulièrement grave : l'avortement. L'autrice et dessinatrice strasbourgeoise Léontine Soulier ne s'en cache pas. Ce livre est le fruit d'une expérience vécue. "Lorsque j'ai traversé cette épreuve, je me suis rendue compte que beaucoup de femmes de mon entourage l'ont également vécu, mais personne n'osait en parler. Même si c'est légal en France, ça reste compliqué"
Compliqué, car malgré une image de femmes libres véhiculée par le monde contemporain, il y a selon Léontine Soulier, "l'idée selon laquelle une femme est d'abord et avant tout une mère. La maternité, c'est ce que la société attend d'elles, et sans enfant, elles ne sont pas des femmes accomplies". C'est une injonction silencieuse, mais très forte, selon la dessinatrice. Et c'est ce qui expliquerait le mutisme de toutes celles qui ont eu à prendre cette décision.
Pour mettre en image un sujet aussi sombre, Léontine Soulier a voulu à contrario travailler avec des crayons de couleurs et de la peinture. "Je voulais quelque chose de doux et de rassurant" explique-t-elle. Peut être pour mieux souligner l'ambivalence de la situation.
Comme dans une bulle
Durant ces quelques semaines "Dans mon corps, peut-être à cause des hormones, je me sentais parfaitement bien, j'avais l'impression de flotter" raconte Léontine Soulier. D'où l'univers marin qu'elle a imaginé pour son livre. "Il y a cette sensation de bien-être intense, et en même temps, la certitude que même si c'est très beau, ce n'est pas le chemin qu'on a choisi pour soi. C'est difficile à expliquer, c'est un peu comme si on était à côté de son corps, comme si il y avait un dédoublement et que le corps ne nous appartenait plus vraiment".
Pour avoir recueilli de nombreux témoignages, Léontine Soulier s'est rendue compte que de nombreuses femmes ont ressenti la même chose. Alors, comme la dessinatrice aime les métaphores, elle a illustré son histoire avec un nauplius, une larve de crustacée qui petit à petit, prend toute la place, dans une narration entre angoisse et curiosité.
Le besoin de s'engager
Léontine Soulier n'est pas une militante. Elle n'ira pas défiler pour les causes féministes et elle ne se sent pas très à l'aise dans les mouvements collectifs. En revanche, son crayon ou son pinceau sont ses outils pour atteindre les personnes, et en l'occurrence les femmes qui n'osent pas parler, par peur d'être montrées du doigt, aujourd'hui encore. Et l'actualité aux Etats-Unis montre que le débat est loin d'être clos. "Ce livre, c'est pour dire que ça arrive plus souvent qu'on ne le pense, même si on fait très attention"
Nauplius, aux Editions le lapin, sera publié mardi 10 mai, et diffusé sur le site de la maison d'édition, mais également dans plusieurs librairies un peu partout en France. A Strasbourg, il sera également disponible à la galerie librairie L'oiseau Rare, ainsi qu'à la librairie Le Tigre, ou une exposition des dessins originaux sera visible jusqu'à début juillet.
Mais Léontine Soulier souhaite aussi prendre le temps d'expliquer son ouvrage, à travers des rencontres, des débats dans les médiathèques. "J'en ai besoin dit-elle. Pas question de se contenter de compter les ventes."
Il est donc trop tôt pour évoquer un prochain livre. Elle n'a pas encore tourné la page de celui-ci.