Ils étaient une quarantaine, ce samedi 11 août, à manifester à Strasbourg pour la libération des prisonniers kanaks du CCAT (Cellule de coordination des actions de terrain) dont onze sont détenus en France métropolitaine, à 19.000 kilomètres de chez eux.
"Free Kanaky, free Kanaky", sur le parvis de la gare de Strasbourg (67), écrasé de chaleur en ce samedi 11 août, des cris s'élèvent. D'abord timides, puis hurlés.
Ils sont une petite quarantaine, mais leur colère est immense. Tous sont des kanaks habitant en Alsace, à 19.000 kilomètres de chez eux. Les femmes portent leurs costumes traditionnels et les hommes des drapeaux, aux couleurs de la Kanaky, nom donné par les indépendantistes à la Nouvelle-Calédonie dans les années 1970, et dérivé du mot hawaïen kanaka, "homme."
Libération des prisonniers du CCAT
Il s'agit bien aujourd'hui de parler d'hommes. Onze hommes détenus en métropole suite à leur participation aux émeutes que connait la Nouvelle-Calédonie depuis le 13 mai, date du projet de réforme du corps électoral.
"Ces hommes ne sont pas détenus, ils sont déportés. Le président de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), Christian Tein, est incarcéré préventivement, au centre pénitentiaire de Mulhouse. Il n'avait jamais vu la France, il la voit maintenant à travers des barreaux, loin de sa famille. Il n'y a pas de date pour son procès, on ne sait pas non plus ce qu'il y a dans son dossier. C'est terrible pour lui, on s'inquiète pour sa santé psychologique et physique. Tout est opaque. Voyez, nous, les kanaks, ça nous renvoie aux plus sombres pages de notre histoire, quand en 1878, notre chef Ataï a été décapité par les Français et sa tête envoyée en métropole. Voilà où nous en sommes, la France n'a pas changé d'un iota son histoire coloniale avec la Nouvelle-Calédonie." Isabelle Atrua, porte-parole du SPK 67, Solidarité pour Kanaky, ne mâche pas ses mots.
On ne lâchera pas tant que ces prisonniers ne seront pas libérés. C'est notre priorité
Isabelle Atrua, porte-parole SPK 67
Elle qui a grandi "en tribu" à Lifou, se retrouve aujourd'hui en métropole alors que son île brûle. "C'est parfois compliqué comme position, mais nous sommes là aujourd'hui en soutien de ceux qui défendent l'indépendance là-bas, et de ceux qui sont déportés ici. On ne lâchera pas tant que ces prisonniers ne seront pas libérés. C'est notre priorité."
Stéphane, plus timide, ne dit pas autre chose. "Je ne pouvais rester impuissant face à ce qui se passe chez moi. Je n'y suis pas retourné depuis deux ans, mais ici, j'ai retrouvé ma famille. Oui les kanaks, nous sommes une famille, un peuple doux. Quand je vois ce qui se passe là-bas, j'ai mal au ventre. Nous sommes les porte-voix de la résistance calédonienne."
Abandon du projet de réforme électorale
Les revendications du collectif SPK sont, sur le papier, simples : libération des prisonniers de la CCAT, retrait des militaires et du matériel de guerre envoyés en Nouvelle-Calédonie depuis le 13 mai, enquêtes sur l'assassinat des jeunes kanaks durant les émeutes, retrait définitif du projet de dégel du collège électoral.
"Il faut absolument que l'État stoppe cette loi. La mobilisation continue en Nouvelle-Calédonie et ici. On ne peut pas se revendiquer comme étant un état démocrate et piétiner la démocratie en choisissant son propre corps électoral, en le modulant à sa guise. Les référendums, on n'y croit plus non plus. Valider un référendum sur l'indépendance auquel les Kanaks n'ont pas participé [Ndlr : organisé le 12/12/2021 en pleine pandémie, les indépendantistes l'avait boycotté], c'est un déni là aussi de démocratie, nous, on n'en tient pas compte, il ne compte pas. L'État français continue à avoir des comportements colonialistes, or les Kanaks ont changé, ils sont plus éduqués, mieux informés, actifs et ils voient que ces pratiques coloniales, elles, ne changent pas, notamment avec une justice arbitraire. Parfois, comme à St-Louis, il n'y a plus de justice, plus de réseau, plus d'électricité, seulement des inégalités.", complète Isabelle.
Benjamin aura le mot de la fin. Lui, métropolitain, a été élevé par un Kanak en Nouvelle-Calédonie avant de revenir en France. Il a cette double culture, ce double regard qui fait parfois la sagesse. "Moi, je crois à une résolution pacifique de cette crise. Je milite pour une indépendance intelligente dans le respect des cultures et des peuples. C'est le bien-vivre ensemble qui doit réunir la Nouvelle-Calédonie. Et ça oui, j'y crois. Il faut que la France fasse le premier pas, libère les prisonniers. Il faut aussi qu'on change de gouvernement et que les JO se terminent pour qu'enfin, on parle de ce qui se passe, encore, là-bas."
Benjamin n'aura plus à attendre longtemps, du moins en ce qui concerne les JO.