Le lundi 3 octobre 2022, la bande dessinée a brutalement perdu l'un de ses maîtres, le Sud-Coréen Kim Jung-Gi. Célèbre pour ses performances, il s'était lié d'amitié avec l'éditeur alsacien Jean-Christophe Caurette et était venu plusieurs fois à Strasbourg.
La bande dessinée pleure l'un de ses représentants les plus doués. À 47 ans, le dessinateur sud-coréen Kim Jung-Gi est mort le 3 octobre 2022 à Paris, alors qu'il allait prendre l'avion pour les États-Unis. Décrit comme un OVNI dans le milieu, il avait un lien tout particulier avec Strasbourg. Son éditeur en Europe, l'Alsacien Jean-Christophe Caurette, était devenu son ami.
"C'est un des meilleurs dessinateurs du monde. On a une chance inouïe de l'avoir à Strasbourg." Voici comment Jean-Christophe Caurette résumait en juin 2012 le talent de Kim Jung-Gi lors d'une représentation sur la place Kléber. Ce jour-là, le génie coréen mettait pour la première fois les pieds en dehors de son pays natal.
C'était dans la capitale alsacienne, dans le cadre du festival Strasbulles, que Jean-Christophe Caurette dirigeait alors : "Par le plus grand des hasards, j'ai découvert le travail de Jung-Gi sur YouTube. Je me suis dit que ça serait une bonne idée de le faire venir au festival pour une performance."
Le talent de Kim Jung-Gi s'exprimait lors de "drawing shows" (spectacles de dessin en bon français). Sans aucune préparation, ni aucun croquis, le dessinateur partait d'une feuille blanche grand format, dessinait un détail, et en faisait un œuvre avec une multitude de personnages, le tout à main levée.
"Il a rapidement été remarqué par les dessinateurs du monde entier. Ils ont réalisé que ce qu'il faisait, c'était autre chose. C'était un magicien. Dans cette dimension-là, Jung-Gi était le seul à faire ça", loue Jean-Christophe Caurette, qui retient de Kim Jung-Gi son extrême capacité de concentration et sa projection mentale sans pareille.
Il était hors-concours.
Jean-Christophe CauretteAmi de Kim Jung-Gi
"Il avait quelque chose à part, poursuit-il. Pour dessiner sur une feuille de 3 mètres de long, un bon dessinateur y passe trois mois. Lui, c'était en trois jours. C'est comme si vous regardez le 100 mètres et que le vainqueur gagne en deux secondes. Il était hors-concours et fascinera le monde pendant longtemps."
L'éditeur se souviendra toujours de leur première rencontre à la gare de Strasbourg, quand le Coréen pense avoir affaire à son chauffeur en s'adressant à Jean-Christophe Caurette : "Ça nous a beaucoup fait rire. C'est une anecdote dont on reparlait souvent."
Grâce à deux performances dans la capitale alsacienne, en 2012 donc et en 2014, les deux hommes se sont rapprochés : "Disons que je lui ai donné un coup de main pour être connu en Europe. Avant, si on voulait avoir ses livres en France, il fallait être très motivé, aller sur un site où tout est écrit en coréen, et payer 100 € de frais de port!"
Un Mickey avec une mitrailleuse chez Disney
Jean-Christophe Caurette, qui dirige aujourd'hui la maison d'édition qui porte son nom, décrit son ami comme quelqu'un de "très drôle et irrévérencieux" : "Quand il a commencé à être connu, Jung-Gi est allé partout dans le monde, jusqu'aux studios de Disney. On lui demande alors d'y aller mollo sur les dessins, et de ne pas faire n'importe quoi, parce qu'on est quand même chez Disney. Et son premier coup de crayon, c'est Mickey avec une mitrailleuse!"
Quand il était petit, il ne comprenait pas pourquoi ses copains dessinaient des voitures en deux dimensions.
Jean-Christophe CauretteAmi de Kim Jung-Gi
Une anecdote qui résume parfaitement qui était l'artiste, libre de toute contrainte, et davantage intéressé par le processus de création que par le dessin final : "Il n'avait aucun attachement à son travail en tant qu'objet. Il offrait et vendait très facilement ses œuvres. Sa vie, c'était de dessiner. Quand il était petit, il ne comprenait pas pourquoi ses copains dessinaient des voitures en deux dimensions. Dessiner en 3D, c'était normal pour lui."
L'extraterrestre qu'était Kim Jung-Gi s'en est allé, et laisse derrière lui des dessinateurs orphelins : "Le côté artistique, je m'en fiche presque. Des bons artistes, il y en aura d'autres... Enfin sûrement pas aussi bons que lui. J'ai perdu quelqu'un qui m'était cher, et qui prenait toujours le temps de discuter avec des gens, de donner des conseils à des jeunes dessinateurs. Le succès peut vous transformer en une personne détestable. Mais pas lui."
Une exposition consacrée à Paris
Jean-Christophe Caurette venait de passer plusieurs jours avec son ami, en tournée au Portugal et en Pologne. Kim Jung-Gi quittait Paris ce lundi 3 octobre, où une exposition lui était consacrée : "La dernière fois que je l'ai vu, c'était le vendredi d'avant. Quand j'ai appris sa crise cardiaque, je suis directement retourné à Paris."
Les deux hommes ont passé de nombreux mois ensemble, partout dans le monde. C'est tout naturellement que Jean-Christophe Caurette se rendra aux obsèques de son ami en Corée, pour lui rendre un dernier hommage.