Le gel des crédits en 2024 et les potentielles coupes budgétaires à venir en 2025 menacent l'existence des cours de français aux personnes étrangères non-francophones. Les associations craignent des effets délétères sur l'intégration et l'insertion professionnelle.
"Comment on dit l'âge de quelqu'un ?", demande Séverine Lorole, l'enseignante. "Il a 9 ans", dit-elle ensuite en guise d'exemple et en détachant bien chaque syllabe. Ce sont des phrases simples, à la syntaxe basique, mais qui peuvent valoir de l'or pour ses élèves adultes, des non-francophones qui vivent en France.
Assises autour d'une table de l'association Plurielles, qui accueille des femmes immigrées et les accompagne vers l’autonomie et l’acquisition d’une citoyenneté de plein droit, Tea et ses camarades suivent attentivement les conseils de Séverine Lorole. "C'est très difficile, c'est très dur, c'est impossible de trouver un travail si tu ne parles pas français", estime Tea Tchitashvili, de nationalité géorgienne. "La possibilité de s'exprimer est une condition sine qua non de survie pour ces femmes : autrement elles restent dépendantes de tiers, elles n'ont pas de contrôle sur leur vie", ajoute Séverine Lorole.
Or, depuis quelques mois, le secteur de la formation linguistique aux personnes étrangères tremble devant les annonces de coupes budgétaires des gouvernements successifs. En avril 2024, les associations ont subi un premier revers avec le gel des crédits décidé par le gouvernement Attal. Depuis septembre et le projet de loi de finances discuté au Parlement, de nouvelles coupes, bien plus importantes, sont à prévoir.
Des cours et des formations qui pourraient disparaître
Dans le même temps, l'application de la loi Asile et immigration à partir de janvier 2025 réhaussera le niveau de français exigé pour les différents titres de séjour et la naturalisation. "C'est tout à fait paradoxal : d'un côté, on baisse les ressources pour les associations, de l'autre, on est plus exigeant sur le niveau demandé", pointe David Gall, directeur du centre socioculturel de la Montagne Verte qui déplore une baisse de 40% des subventions de l'État en cette rentrée.
En moyenne, les 21 structures formant la fédération des centres socioculturels du Bas-Rhin ont subi une baisse de subvention de 30% cette année, selon Rue89 Strasbourg. Ces coups de rabot dans leurs finances entraînent mécaniquement des adaptations qui pourraient être fatales à la formation linguistique. "Forcément, quand il y a une baisse de subventions, ça nous conduit à nous poser des questions sur la pérennité de l'activité, confirme David Gall. On se demande s'il faudra remplacer les départs, réduire la voilure, ou arrêter complètement l'activité d'apprentissage du français. Ce sont des scénarios qu'on pourrait envisager pour les prochaines années si la donne reste la même."
Cette conjoncture défavorable viendrait aggraver une situation déjà fragile au niveau national, selon les acteurs associatifs. Une enquête de trois ans menée auprès de structures spécialisées à travers toute la France a ainsi montré que le manque de moyens dans l'apprentissage du français pour les adultes était criant. "Les apprenants déplorent des problèmes d'accès aux cours, et estiment qu'il faudrait en plus des formations la possibilité de participer à des activités complémentaires afin d'apprendre la langue sur le tas, explique Mia Depoutot, du centre socioculturel de Lingolsheim l'Albatros, qui a participé à l'enquête. Il y a une envie de participer à l'effort de la société, et il est clair que les récentes annonces de coupes budgétaires ne vont pas dans ce sens, au contraire."
Les effets des coupes budgétaires sont encore contenus dans la région, puisque la préfète déléguée à l’égalité des chances dans le Grand-Est a trouvé une rustine financière pour atténuer les baisses de subventions cette année. Mais qu’en sera-t-il en 2025 ?