PORTRAIT. "Je m'étais faite à l'idée que c'était impossible", Lou, jeune femme transgenre qui milite pour vivre sa vie "normalement"

À l'occasion de la journée mondiale de lutte contre l'homophobie et la transphobie, j'ai appelé Lou Toussaint. Une jeune Strasbourgeoise, transgenre, entre autres choses : militante LGBTQI+, étudiante à Sciences Po, assistante parlementaire stagiaire. Une femme qui veut vivre. Normalement, voire un peu plus.

Son père est géophysicien. Sa mère, guide au planétarium de Strasbourg. Elle est une drôle de comète dont la trajectoire imprévisible n'est guidée que par sa propre inertie. Une volonté de fer sous des yeux de basalte. Lou Toussaint. À 23 ans, cette étudiante à Sciences Po Strasbourg trace sa voie, lactée, comme elle l'entend et pas autrement. Militante LGBT, assistante parlementaire stagiaire, transgenre et de gauche. Portrait de femmes.

Au téléphone, on sent déjà chez Lou une urgence, en l'occurrence climatique. La jeune femme parle vite, très vite, je dois calmer ce flot avant d'être totalement larguée. On sent aussi chez elle, poindre, et je ne sais si c'est un mal ou un bien, cette habitude qu'ont les politiques de vous imposer leurs phrases de bout en bout. Souvent longues d'ailleurs. Il faudra faire avec. 

Car Lou se définit avant tout comme une militante politique. Elle est encartée depuis ses 16 ans à LFI (La France Insoumise). Ça lui est venu comme ça, d'un coup, d'un seul. Un bon coup sur sa tête brune. "Je venais de lire Tout peut changer de Naomi Klein sur les changements climatiques et j'ai ressenti cette urgence à agir pour la planète, à agir tout court d'ailleurs. C'était juste avant la campagne des élections présidentielles de 2017. J'ai choisi LFI pour son pragmatisme, son programme et l'idée prégnante de bifurcation écologique."

Sciences appliquées

Fille de ses parents, Lou sait que la science éclairée doit guider nos gestes quotidiens. Les rapports du GIEC par exemple. "On ne peut pas continuer à vivre comme cela, dans une société capitaliste où les multinationales tuent la planète, nous tuent, pour leurs profits. La science, c'est du concret. La politique, c'est finalement sa mise en œuvre. Pour changer nos sociétés, il faut des décisions politiques.  Je voulais faire médecine, ben, j'ai fait Sciences Po." 

La voilà donc en licence d'économie (comment fonctionne le capitalisme ?) puis en master droit et administration publique (comment réguler le capitalisme ?). Lou a mûrement réfléchi son plan de bataille. 

Aussi, cette dernière n'a pas hésité aux dernières législatives à s'engager, corps et âme, dans cette guerre des idées. Candidate dans la 7e circonscription du Bas-Rhin (Saverne) pour la Nupes "une source d'espoir incroyable pour moi, cette synergie des gauches", elle est allée au charbon. Métaphoriquement bien sûr, c'est bien trop polluant. "Je me suis rendue dans 150 des 165 communes de la circo. Ma voiture est tombée en panne à la fin, elle en pouvait plus. J'ai rencontré des tas de gens qui avaient des tas de problèmes : la gestion de l'eau, le manque de moyens. Comment concilier les préoccupations environnementales et le pouvoir d'achat ? Cette expérience a été très enrichissante. J'en suis sortie grandie." Lou avait 22 ans.

Alors, non, Lou n'a pas été élue, mais qu'importe. Les voies politiques sont impénétrables, autant peut-être que celles de la galaxie. Et Lou était de toute façon, déjà, sur orbite. " Depuis quelques mois, je suis assistante stagiaire parlementaire d'Emmanuel Fernandes, et j'avoue que c'est l'endroit idéal pour voir comment fonctionne la démocratie et surtout mettre en avant mes engagements."

Sport de combat

"Mes engagements". L'écologie, la démocratie, mais pas seulement. Lou revient de loin, la jeune femme est née dans un corps masculin. Il lui a fallu déconstruire ce qu'on lui avait appris, se reconstruire. Autrement. Une sacrée leçon de vie. Lou porte aussi, chevillé au corps, ce combat : celui des minorités sexuelles.

Et comme, vous l'aurez compris, Lou ne fait jamais rien au hasard, elle s'est inscrite cette année à la faculté de droit de Strasbourg en master des droits humains et des droits des minorités. Une formation unique en Europe."Oui, cela fait partie de mon engagement. Savoir, maîtriser. Même si le marché pour ce droit-là n'est pas du tout rémunérateur : les minorités sont très souvent discriminées et donc sous-payées. Tant pis, au moins en cours, je suis tranquille, il n'y a pas grand-monde." 

Lou y apprend le droit des minorités. Ses droits. Transgenre, lesbienne, polyamoureuse, il lui a fallu trois ans pour s'assumer comme telle. "Dès l'âge de 5 ans, je savais que j'aurais préféré être une fille. Je les trouvais plus belles, plus intelligentes, plus fortes aussi, mais si tu veux, je m'étais faite à l'idée que c'était impossible." À l'époque, la transidentité était, disons-le, invisibilisée. Taboue. " Ce que je voyais de la transidentité, c'étaient des caricatures ou des films mettant en scène uniquement des personnes trans dans le milieu de la prostitution. Je respecte les personnes trans dans le travail du sexe, mais moi ça ne faisait pas envie."

Dès l'âge de 5 ans, je savais que j'aurais préféré être une fille. Mais je m'étais faite à l'idée que c'était impossible

Alors, Lou attendra, ne se maquillera pas, gardera ses idées au placard, dénué de robe. "Je ne le vivais pas très bien non. Je mettais des vêtements qui cachaient mon corps, je voulais être le moins visible possible, je me trouvais moche, pas intéressante. C'est pour ça d'ailleurs que je me suis engagée en politique : pour m'oublier. Pour ne plus penser à moi, mais aux autres. Comme dans un sport de combat."

Il y a peut-être, après tout, dans l'univers de Lou, comme dans le nôtre, un charpentier habile.

Coming-out

C'est au contact des associations LGBTQI que la jeune militante LFI entame sa mue. "Je me suis dit que c'était possible, que je pourrais éventuellement être trans, mais c'était un horizon indépassable encore. J'avais peur d'être marginalisée, moquée, décrédibilisée à Sciences Po. Être une trans, une bizarre quoi." 

Le premier confinement en mars 2020 aura raison de ses doutes. Et la sauvera d'une folie certaine. Confrontée à la solitude, délestée du regard des autres, Lou n'a pas d'autre choix que de se trouver. "Je me suis recentrée sur moi-même, j'ai été forcée de reconnaître que oui, je voulais être femme, reconnue comme telle par la société".

Pour Lou, la sortie de crise Covid, sera un coming-out. Social d'abord. " Auprès de mon partenaire d'abord, puis des amies cisgenres qui m'ont beaucoup appris : marcher, parler, mettre des collants." De ses parents aussi. "Ils ont beau être de gauche, avoir milité pour le mariage gay, là, ça a été un choc. Ils ont perdu un fils. Ça a été un parcours, pour eux aussi, de comprendre puis d'accepter. Ma mère avait très peur pour moi." 

J'ai eu 75 rendez-vous, soit un tous les deux jours, pour savoir si je correspondais à une femme, comment je me masturbais quand j'étais plus jeune. C'était avilissant, absurde, violent.

À Sciences Po, passés les premiers rires incrédules, l'idée fait son chemin sans accroc. "Il n'y a que pour l'administration que ça a été plus difficile pour le changement de prénom." Je ne saurai d'ailleurs jamais son prénom de naissance, Lou ne préfère pas. Lou est née il y a trois ans. C'est bien suffisant.

Ensuite, Lou a dû changer son corps. Pour, paradoxalement, être en accord avec elle-même. "Il a fallu passer par tout un tas d'experts auto-proclamés du RCP, réunion de concertation pluridisciplinaire, ça a pris cinq mois avant que j'aie mon traitement hormonal. J'ai eu 75 rendez-vous, soit un tous les deux jours, pour savoir si je correspondais à une femme, ce qu'était une femme, comment je me masturbais quand j'étais plus jeune. C'était avilissant, absurde, violent."

La persévérance de Lou finira par payer. " Mais à quel prix ?" 

Femme politique

Aujourd'hui, Lou est femme dans son corps et sur le papier. Après être passée devant un juge, elle a obtenu ses papiers d'identité au féminin.

De ces combats, de ces coups bas, Lou fait tout un programme. Politique. "La Nupes défend par exemple le changement d'état civil libre et gratuit à la mairie, comme pour le prénom par exemple. Mais on peut aller plus loin. Pourquoi mettre le sexe sur la carte d'identité ?" 

Et comme sa voix, plus féminine sous l'effet de cours intenses d'orthophonie, porte moins qu'avant auprès de ses collègues masculins "le sexisme ordinaire", Lou gueule fort. " S'il faut que ce soit moi, alors j'y vais. Les personnes trans ne sont pas suffisamment visibles en politique. Alors oui, il y en a une : Marie Cau maire de Tilloy-lez-Marchiennes mais qui connait cette petite commune ?"

Les personnes transgenres représentent de 0.5 à 1% de la population française, soit autant que les roux, mais combien y en a-t-il dans l'hémicycle ? Zéro

"Les personnes transgenres représentent de 0.5 à 1% de la population française, soit autant que les roux, mais combien y en a-t-il dans l'hémicycle ? Zéro. Qui pour nous comprendre lors de l'élaboration de projets de loi ? Pour nous protéger ? Pour nous défendre ? Zéro. Il faut changer cela. Imagine, 0.3% des députés, ça fait deux députés par mandature, ce serait déjà pas mal." 

Lou va certainement y remédier. En juin, elle sera diplômée de Sciences Po et se voit déjà collaboratrice parlementaire. Tout en continuant son travail d'aide juridique au sein de l'association LGBTQI La Station. 

Ce 17 mai, pour la journée internationale de lutte contre l'homophobie et la transphobie, pour une fois, Lou ne fera strictement rien. Rien de spécial. "Aujourd'hui, j'ai prévu de vivre normalement, de vivre ma vie en tant que LGBT, c'est ce à quoi n'importe qui aspire." C'est indéniable, la jeune militante a le sens de la formule. Une arme précieuse pour son entrée en politique. Son entrée seulement, car elle a, oui, une faim de Lou.

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