Patricia Schillinger, sénatrice du Haut-Rhin, a été le fer de lance de la lutte contre la précarité menstruelle. Avec l'expérimentation de la gratuité des protections hygiéniques en septembre, elle vient de gagner une première manche. Prometteuse. Témoignage.
Cela peut vous paraître anecdotique. Des protections féminines gratuites. Pourtant, c'est une révolution qui est en marche. Celle de la reconnaissance de la précarité menstruelle. Et, au-delà, de la place des femmes, des femmes précaires en particulier, dans notre société. En France, selon l'association Règles élémentaires 1,7 millions de femmes doivent choisir, à la fin du mois, entre un paquet de pâtes et un paquet de tampons. Faute de moyens.
#MHDay2020 Journée mondiale de l’hygiène menstruelle. 1,7 M de femmes en France sont victimes de précarité menstruelle et manquent de produits d’hygiène intime. Face à la pandémie de #covid19 nos équipes ont distribué des kits hygiène en IDF. Avec @MdM_France & @RElementaires pic.twitter.com/CKX9SwitKL
— SOLIDARITÉS INT (@Solidarites_Int) May 28, 2020
Une révolution sous la ceinture
Et, bien évidemment, il aura fallu que ce soit des femmes qui s'emparent du problème. Des femmes puissantes. Le 28 mai dernier, quatre secrétaires d'Etat écrivent une tribune dans le HuffPost. Une tribune sanglante. Salutaire.
Aux côtés de Marlène Schiappa, Christelle Dubos et Brune Poirson : le Gouvernement mobilise pour la première fois toutes les parties prenantes pour travailler sur le sujet de l'hygiène menstruelle, lever le tabou des #règles et améliorer la vie de toutes les femmes. #MHDay2019 pic.twitter.com/mO2JCQYFrz
— Agnès Pannier-Runacher (@AgnesRunacher) May 28, 2019
Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des Solidarités et de la Santé, brisent, dans la foulée, devant un parterre de journalistes, le tabou des règles. Et annoncent la gratuité des protections féminines pour les plus précaires. Du jamais vu. Une révolution française. Celle des avec-culotte.
Ce dispositif sera mis en place dès septembre au niveau national. A titre expérimental. "Nous devons faire en sorte que chacune puisse trouver une protection hygiénique sans difficulté. Il n’est pas acceptable que des femmes en situation de précarité arbitrent entre un paquet de pâtes et des protections, il n’est pas acceptable que des jeunes filles fassent mine d’avoir oublié des serviettes chez elle pour s’en procurer ailleurs."
Cette expérimentation sera dotée d'un million d'euros et sera donc destinée dans un premier temps aux plus vulnérables. "Les protections seront mises à disposition dans les épiceries sociales, accueils de jour, foyers et centres d'hébergement, les établissements d'incarcération, mais aussi les établissements du second degré et les universités." Des maraudes seront également organisées pour distribuer des protections aux femmes en difficulté.
Changeons les règles
Pour en arriver là, il aura fallu batailler. Et attendre. Patricia Schillinger, sénatrice LREM du Haut-Rhin, en sait quelque chose. "Je n'aurais jamais cru que ce serait si long dans notre pays." Sur les bancs virils du Sénat, Patricia Schillinger avec ses problèmes de bonne femme a longtemps fait tâche. Elle qui porte la voix des "incommodées" depuis deux ans. Qui a mis, la première, le sujet des règles sur le tapis vermillon de l'hémicycle.
Je n'aurais jamais cru que ce serait si long dans notre pays
- Patricia Schillinger, sénatrice LREM du Haut-Rhin
"Pour le projet de la loi de Finances en 2018, j'avais déjà proposé un amendement sur la gratuité des protections périodiques pour les femmes en situation de précarité et leur libre distribution. Rejeté. Certains de mes collègues ne comprenaient pas, ils me disaient oh tu sais je ne m'y connais pas trop. Ou d'autres, ça s'achète ça, c'est intime." Patricia Schillinger elle s'y connaît. Parce que c'est une femme. Et qu'une femme a ses règles.
"C'est un sujet qui me tenais à coeur . Je suis femme, j'ai rencontré souvent des difficultés face à mes règles. Quand elles viennent en avance, qu'on est à l'hôtel et qu'il n'y a pas de distributeur. J'ai vu également la pudeur, la honte parfois de certaines femmes d'en parler. Il faut améliorer tout ça. C'est la nature. Point." Aux sénateurs qui ne comprennent pas l'utilité de sa démarche, elle rétorque : "Tu te vois toi te promener avec un rouleau de papier toilette dans la poche de ton costume ?" La réplique fait mouche, à n'en pas douter.
Tu te vois toi te promener avec un rouleau de papier toilette dans la poche de ton costume ?
- Patricia Schillinger
Si son amendement n'a pas été voté en 2018, il a semé une petite graine dans les consciences. "Buzyn et Schiappa sont venues me voir quelques jours après pour me proposer de travailler sur le sujet. J'ai été missionnée pour une expérimentation concernant la gratuité des protections hygiéniques. Le fruit de mon travail c'est ce rapport que j'ai rendu en octobre dernier." Précarité menstruelle, changeons les règles ! Décidément Patricia Schllinger a le sens de la formule.
Rapport Precarite Menstruelle2019 by France3Alsace on Scribd
Ce rapport de 55 pages, très bien documenté, fait un état des lieux assez consternant de notre pays civilisé, moderne. Au cours de sa vie, une femme qui a ses règles utilise 10.000 protections périodiques. Selon une étude Ifop commandée en 2019 par Dons solidaires, citée dans le rapport, une sur dix renonce à changer de protection périodique aussi souvent que nécessaire par manque d'argent. "J'ai appris par exemple qu'en moyenne les étudiantes changent de protection toutes les 12 heures. C'est affolant." Affolant et surtout dangereux pour la santé des femmes.
Ce constat fait, la sénatrice avance quelques pistes de réflexion : faciliter l’accès aux protections périodiques par le libre-service dans les lieux recevant des femmes précaires comme dans les centres d’accueil de jour, les centres d’hébergement d’urgence, les hôtels sociaux, ou encore les banques alimentaires. Installer des distributeurs dans les lieux publics et les établissements scolaires. Mettre l'accent sur l'éducation et l'information des femmes ET des hommes. En prison, créer un bloc dédié à l’hygiène féminine et permettre la commande de "protections basiques" (serviettes et tampons) à bas prix.
Toutes ces recommandations figurent dans les mesures annoncées par Marlène Schiappa. Une grande satisfation pour la sénatrice. "Quand j'ai su qu'un million d'euros avait été voté dans la loi de finances 2020 pour cette expérimentation, je me suis dit, cette fois, ça y est."
La serviette qui cache la forêt
Il a fallu attendre longtemps mais la serviette tient sa revanche. Elle a envahi les portefeuilles. Les portefeuilles ministériels. Car ce sujet, si intime soit-il, a eu des répercussions globales. Pour ne pas dire universelles. Qui l'eut cru ? Patricia Schillinger s'en amuse.
"C'est fou ce qu'une simple serviette peut engendrer comme problématiques. Ministère de la Santé, de l'Economie, des Solidarités, de l'Education... tous ont eu un rôle à jouer. Comme par exemple la loi anti-gaspillage qui oblige les marques comme Nana et compagnie à donner prioritairement leurs invendus aux associations. La baisse de la TVA à 5.5% sur ces produits d'hygiène. Le ministère de la Santé, lui, est compétent sur les composants utilisés par les industriels dans leurs produits de protections périodiques et le risque de choc toxique. Et que dire du ministère de l'Education nationale qui doit réfléchir à une meilleure information des jeunes... "
C'est fou ce qu'une simple serviette peut engendrer comme problématiques
- Patricia Schillinger
Patricia Schillinger ne compte pas s'arrêter en si bon chemin. Il reste tant à faire pour les femmes de ce pays. "Moi je ne suis pas particulièrement féministe. Mais je suis femme et j'aime l'égalité. C'est pas gagné alors il faut continuer."
Continuer jusqu'à ce que dans toutes les toilettes de France, il y ait des distributeurs de protections hygiéniques en libre-service. Continuer, oui, jusqu'à leur gratuité. L'Ecosse a été le premier pays au monde a franchir le cap en février. Le pays où les hommes portent des jupes est à ce titre exemplaire. Mieux : culotté.