Strasbourg: les déficients visuels sont des escrimeurs comme les autres

Pour sa première édition, Stras DV a frappé un grand coup. Un grand coup de fleuret. Ce samedi 1er juin, à Strasbourg, une vingtaine d'activités étaient proposées aux voyants, mal-voyants et non-voyants. Histoire de mélanger tout ce beau monde et de faire tomber les clichés. Focus sur l'escrime. 

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Rendez-vous est pris au parc de la Citadelle à Strasbourg. C'est ici qu'a lieu ce samedi 1er juin, la première édition de Stras DV. A savoir Strasbourg Déficient Visuel. Il fait un soleil de plomb. Aucune ombre. Une quinzaine de stands sont installés: jeux, réparations de vélos, yoga... On se croirait à la rentrée des associations, la rentrée en moins. Ouf.

Sous l'une d'elles, des fous furieux, en combinaison intégrale, jouent aux mousquetaires. Les épées volettent, les pieds dansent. D'autant plus fou qu'aucun des escrimeurs ne voient.
 

 

La technique avant tout

Christophe Bouland ôte son casque, rougi par l'effort. Lui n'est pas à son premier duel. Loin s'en faut. Christophe a commencé l'escrime à Guebwiller il y a 13 ans. Un peu par hasard. C'est sa femme qui lui a dit un jour qu'un des escrimeurs du club était mal-voyant. Atteint d'une rétinite pigmentaire, cela faisait déjà quelques années qu'il avait perdu la vue. Totalement.

"Je me suis dit qu'est ce que c'est que ça ? Ca va pas la tête ? Et puis sans mauvais jeux de mots je voyais pas du tout comment on pouvait faire de l'escrime sans rien voir." Mais voilà sa curiosité piquée au vif. " Je suis allé à mon premier entraînement, j'avais confiance, j'ai découvert que c'est la technique qui fait tout, pas les yeux."


C'est la technique qui fait tout, pas les yeux
-Christophe Bouland, escrimeur

L'escrime pour non-voyants/mal-voyants diffère peu de la pratique des valides. " Il y a au sol une ligne en relief qui sert de guide. On ne doit jamais s'en éloigner. Elle sert de fil conducteur sinon c'est trop dangereux" , explique Hélène Zannol, maître d'armes au cercle d'escrime de Sarrebourg. Autre particularité: le toucher de lame. Obligatoire lui aussi. "Avant toute attaque, les deux escrimeurs doivent toucher leur lame afin de sentir l'adversaire, d'évaluer la distance. Systématiquement. Pour le reste, rien ne change. L'oreille joue peut-être beaucoup plus afin d'entendre les pas de l'adversaire, le bruit de la lame sur la pointe ou sur le fort", poursuit-elle.

Hélène Zannol mélange d'ailleurs valides et non-voyants lors des entraînements: "C'est un très bon exercice. Pour les uns, cela permet de mieux se repérer dans l'espace et de prendre conscience de la lame comme prolongement de leur corps. Pour les non-voyants, de s'attaquer à de nouveaux adversaires, le vivier est assez limité." 
 
En France, ils ne sont qu'une petite cinquantaine de déficients visuels à pratiquer ce sport. Et Christophe d'enfoncer ... le clou. "Nous ne sommes que deux dans le Haut-Rhin donc vous savez, si on ne fait pas d'entraînement mixte, on tourne vite en rond." 

"Je suis mon propre maître"

Dès le premier entraînement, Christophe sent que l'épée l'a atteint en plein coeur. "C'est très physique mais surtout c'est très technique. Moi ça m'a donné en confiance en moi. Quand je suis sur la piste, je suis mon propre maître. J'ai besoin de personne. C'est une des rares disciplines sportives où nous sommes entièrement autonomes. Je décide de tout. Et ça fait plaisir. Du coup, je me suis rapidement débrouillé et j'ai fait ma première compétition six mois plus tard." 

Quand je suis sur la piste, je décide de tout
- Christophe Bouland, escrimeur-


Depuis Christophe Bouland a fait du chemin. Champion de France en 2013, "six ou sept fois je sais plus", vice-champion de France, champion international en 2014. Il n'en est pas peu fier. Et d'ailleurs il compte bien accrocher une nouvelle médaille à la pointe de son épée. "La semaine prochaine, je pars à Nîmes pour le championnat de France. J'ai espoir, je me considère comme pas trop mauvais."

Stop au misérabilisme

Christophe Bouland, kiné de profession et escrimeur médaillé, est la preuve que le handicap n'est pas synonyme de misérabilisme. Yves Wansi, président de l'association Vue d'ensemble, se bat lui aussi pour cela. Sans épée mais à force de convictions.

Lui même déficient visuel, il milite depuis des années pour sortir les déficients visuels de leur ghetto."Notre association combat la sédentarisation des déficients visuels. Via les loisisrs, via l'insertion professionnelle. Nous mélangeons les voyants et les non-voyants, car la mixité est source de richesses pour tout le monde."
 

Ainsi Yves refuse qu'on l'enferme lui et tous les déficients visuels dans une logique victimaire. "A force de trop parler, de trop se plaindre, les gens ne nous entendent plus. Il faut avoir un message positif. Oui on peut faire de l'escrime quand on est déficient visuel, oui on peut réparer des vélos, faire du yoga, faire une expédition en Sibérie."
 L'année prochaine, Yves vise l'Himalaya. Sept déficients visuels strasbouregois partiront à l'assaut de la mythique chaîne de montagnes. Encadrés par deux voyants. Libres.
 

Ici, on ne se sent pas obligés de venir. On est pas dans la pitié.
-Yves Wansi, pdt de Vue d'ensemble-


Sans aller jusque si haut, ce samedi, la fête qu'organise Yves est un grand pas. Pour la mixité. Une vingtaines d'activités sont proposées. A tout le monde. "J'en avais marre de parler du handicap visuel dans des salons dédiés ou sur des stands confinés. Je voulais sortir. Je voulais que ce soit festif. Les déficients visuels peuvent faire toutes les activités possibles ... en plein air aussi. Et puis surtout ils peuvent s'amuser. Ici quand on vient, voyant ou pas, on s'amuse. On ne se sent pas obligés de venir. On est pas dans la pitié." Belle intiative que celle-là. Qui ouvre les yeux de ceux qui, a priori, voient bien. 
 
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