L’affiche placardée dans la vitrine depuis mercredi 3 juin est un choc pour les Strasbourgeois. Wolf Musique baisse définitivement le rideau après 195 années au service des musiciens amateurs et professionnels. Le commerce est victime d’une double crise : économique et sanitaire.
A Strasbourg, s’il est UNE adresse pour les musiciens, c’est bien Wolf Musique. Une institution dans le paysage musical et culturel : on vient y choisir son instrument, ses partitions ou acheter des billets de concerts. Elle a pignon sur rue depuis 1825. Mais dans quelques jours, le 13 juin exactement, elle baissera son rideau pour toujours, victime de la crise économique et sanitaire.
Depuis le mercredi 3 juin, les vitrines de claviers et de guitares sont occultées par des grandes affiches annonçant la fin de partie de Wolf Musique. A l’intérieur, voilà deux jours que les vendeurs écoutent les témoignages et les souvenirs des clients très choqués par cette nouvelle.
Souvenirs, souvenirs
Un monsieur, âgé et bien mis, raconte que lorsqu’il sortait du lycée Sturm voisin, étant jeune, il venait ici pour flirter dans les cabines d’écoute. Il nous parle d’une époque que les moins de 20, 30 et peut-être plus encore ne peuvent plus connaitre : celle où l’on s’installait dans une petite pièce insonorisée pour écouter un disque avant de l’acheter. Marie Christine se souvient : "c’est ici que ma grand-mère a choisi mon piano quand j’étais enfant. Wolf Musique, c’est une institution à Strasbourg".
Marc Baumann, trompettiste à ses heures et doyen des vendeurs, se souvient avoir accueilli une dame masquée hier après-midi : "je ne sais pas si c’était l’allergie ou autre chose, mais elle avait les larmes aux yeux. En réalité, je pense qu’elle était très émue de ce qui nous arrivait ".
"La musique c’est aussi bien un métier qu’une passion", précise André Meyer. Il travaille depuis 12 ans pour Wolf Musique comme responsable des partitions. "J’ai fait un peu d’orgue, de solfège, j’ai travaillé sur un doctorat de musicologie puis je me suis formé sur le tas ". Quand il ouvre une partition, il entend la musique. Parfois , les clients lui fredonnent un air, à lui de trouver le bon morceau. Il faut avoir une bonne culture générale pour ne pas rester bouchée bée lorsque le client vient chercher des références de musique populaire, classique ou jazz.
Il faut dire que la clientèle de Wolf Musique peut être exigeante. " Les musiciens savent ce qu’ils veulent ", raconte André Meyer, au risque parfois de ne pas savoir évoluer. Difficile pour certains d’accepter de jouer sur des claviers numériques et pourtant, reconnait le vendeur, « il y en a d’excellents ! ».
Il était une fois en 1825
L’histoire de Wolf Musique a débuté alors que Beethoven triomphait avec sa 9e symphonie. 1825, Seligmann Wolf ouvre une boutique de musique rue de la mésange. On venait s’y approvisionner en cahiers de musique. Très vite, son commerce devient le lieu de rendez-vous des musiciens et des amateurs de musique.
A son décès en 1885, son fils Lazare Wolf prend la succession et rajoute à la vente des partitions celle des instruments de musique. Son idée de génie : profiter de l'annexsion de l'Alsace à l'Allemagne pour vendre des partitions de musique française et des instruments de musique fabriqués en France sur le marché allemand et vice et versa. Ceci explique les relations privilégiées qu’il eut avec tous les grands chefs d’orchestre internationaux.
En 29 avril 1932, la famille Wolf fonde et inaugure le premier festival de musique en France : le Festival de Musique de Strasbourg avec l’Orchestre de la Philharmonie de Berlin sous la direction de Wilhelm Furtwängler. Pendant plus de 50 ans ce festival rassemblera de nombreux talents à la réputation mondiale : Charles Munch, Elisabeth Schwarzkopf ou Yehudi Menuhin, pour ne citer qu’eux.
Dès l’après-guerre, Wolf Musique étend ses activités aux appareils de radios et gramophones 78 tours. A partir de 1960, le progrès technique en matière de radios, amplificateurs, platines de disques, et le début du téléviseur auxquels s’ajoute l’avènement du disque vinyle font exploser le chiffre d’affaire de la société, devenue le leader incontesté de la vente de ces produits sur la place de Strasbourg.
1978 : l'arrivée de la Fnac est un séisme pour l'entreprise qui connait ses premières difficultés. L'organisateur de spectacle, Harry Lapp reprend l'affaire en 1980. L'enseigne abandonne la vente de disques et de matériel hi-fi en 1997 pour se concentrer sur la musique dite "vivante" : instruments de musique, partitions et concerts.
Le vent tourne
Marc Baumann, presque 25 ans passés en boutique, sent la fin arriver : "depuis les attentats, depuis que Strasbourg est bouclé à Noël, plus personne ne vient dans notre boutique en décembre ; or c’était notre plus gros mois. On n’imagine pas les touristes pousser la porte de notre commerce. Internet et les grandes zones commerciales ont eu raison de notre activité. Cà et deux mois de confinement, on n’avait aucune chance".
A 73 ans, dont 50 ans de rock qui lui valent quelques douleurs dorsales et cervicales, Harry Lapp dit à peu près la même chose : "autrefois, le mois de décembre, c'était 20% de notre chiffre d'affaire. La fermeture du centre-ville, en période du marché de Noël, à partir de décembre 2015, nous a porté préjudice. A l’annonce de la pandémie, compte tenu de la fragilité financière de l’entreprise j’ai pressenti que nous ne serions pas en mesure de faire face aux conséquences économiques prévisibles". Un bail trop cher, aucun repreneur à l’horizon et des produits sur lesquels il était de plus en plus difficile de faire une marge : il dit avoir sauvé les meubles. Mais pas les employés : ils sont six à perdre leur emploi.
Yannick Bauer, le nouveau dirigeant de son plus gros concurrent Arpèges, rachètera des stocks et s'engagera auprès des clients à reprendre le suivi des garanties en cours qui vont jusqu’à 5 ans pour certains produits. Fin de la partition.