Le personnel hospitalier de Strasbourg appelle à manifester samedi 19 mars à 15 heures, place Kléber pour dénoncer "la mort programmée de l'hôpital public". Le docteur Floriane Zeyons, co-organisatrice du mouvement, répond à nos questions.
Les personnels des hôpitaux universitaires de Strasbourg veulent faire entendre leur colère. Après trois mois d'hommage à l'hôpital public en état "de mort programmée", ils n'ont pas l'impression d'avoir été entendus.
Malgré les annonces de Jean Castex en décembre, les soignants déplorent des conditions de travail en constante dégradation. C'est pourquoi ils ont décidé de manifester, en appelant la population à participer à la marche pour la santé, le samedi 19 mars à 15 heures, place Kléber.
Floriane Zeyons, cardiologue au Nouvel hôpital civil, revient pour France 3 Alsace sur toutes les raisons qui poussent médecins, aides-soignants et personnel non soignant à manifester.
Après la minute de silence hebdomadaire lancée il y a trois mois, pourquoi passez-vous à un autre mode d’action ?
"C’est complémentaire. La minute de silence a été mise en place le 10 décembre, jour de la visite de Jean Castex à Strasbourg. Malgré son annonce de 20 millions d’euros d’investissement, on s’est dit qu’il n’était plus possible de ne rien faire et juste regarder le bateau couler. La minute de silence du vendredi était un moyen de rassembler les gens et de voir qu’on était tous touchés par cette situation".
"Cette action était facile à mettre en place au sein de l’hôpital. Elle a eu un certain impact dans le sens où elle s’est étendue au reste de l’Alsace et ailleurs en France. Elle a permis de créer une cohésion dans les différentes strates de l’hôpital et de se rendre compte que le mal était systémique. Mais l’action est restée confidentielle car très peu traitée dans les médias au niveau national. D’où la nécessité de passer à un mode d’action plus visible qu’est la manifestation".
Par quoi se traduit l’agonie de l’hôpital que vous dénoncez ?
"La situation actuelle, c’est du jamais vu. Pour prendre un exemple parlant, aux HUS (Hôpitaux Universitaires de Strasbourg), 150 à 200 postes d’infirmiers sont vacants. Alors qu’on nous parle de créer des postes, on n’arrive même pas à trouver le personnel requis pour pourvoir les postes qui existent déjà. Les autres professions de l’hôpital sont aussi concernées : dans mon service, en cardiologie, il y a des postes de médecin non pourvus, même chose chez les aides-soignants et le personnel non soignant ainsi que chez les secrétaires et les techniciens de laboratoire. Tous les services sont touchés. Il y a une fuite massive du personnel hospitalier, soignant et non soignant. Cela engendre un problème pour les patients et le personnel encore présent."
"La charge de travail reste la même quelle que soit l’effectif, elle ne diminue pas si on est moins nombreux. On a moins de lits mais autant, voire plus de patients. La population est vieillissante, avec plus de pathologies lourdes. Les patients légers vont en clinique parce que ce sont des actes rentables. L’hôpital public, lui, se retrouve avec une patientèle aux pathologies beaucoup plus lourdes, tout en ayant l’objectif d’aller toujours plus vite. Tout le monde a l’impression de faire du mauvais travail, avec la pression constante de faire au plus pressé."
Le Ségur de la santé n’a rien changé ?
"Le Ségur a apporté des choses positives. Il y a eu une revalorisation salariale, notamment pour le personnel soignant, autour de 183 euros. Ces mesures étaient attendues. Mais ce qui fait partir le personnel hospitalier ce n’est pas le salaire, ce sont les conditions de travail."
Que demandez-vous ?
"Il faut un plan d’attractivité massif. Le système de tarification à l’acte, mode de financement des hôpitaux à 60%, a des effets pervers catastrophiques. Cela implique pour les hôpitaux, en déficit chronique, d’augmenter leurs activités, de travailler plus. Résultat, le tarif des actes est revu à la baisse vu qu’il n’y pas l’argent pour les payer. Il faut sortir de ce système et allouer des budgets aux hôpitaux qui soient adaptés au bassin de population et au contexte socio-économique. On demande à avoir le personnel de base suffisant, puis éventuellement des embauches pour avoir un ratio personnel-patient plus favorable."
"Dans mon service, en cardiologie quand j’ai commencé, il y avait deux aides-soignantes et deux infirmières la journée pour 23 patients, avec des pathologies moins lourdes qu’aujourd’hui. Avec des patients plus lourds, ce n’est plus gérable. Ce sont des questions à traiter dans chaque service, pour que les infirmières n’aient plus à prioriser ou à délaisser des patients. Quand on vous dit : on vous propose 200 euros de plus par mois mais vous ne pourrez toujours pas vous regarder dans le miroir le soir, c’est ça qui vous fait partir. Au-delà d’un certain seuil de manque d’effectifs les embauches deviennent difficiles, car les conditions de travail deviennent de plus en plus rédhibitoires."
Qui va aller à la manifestation ?
"On attend pas mal de monde de l’hôpital. Mais le grand public est invité à y participer, un peu comme les marches pour le climat qui concernent tout le monde. L’hôpital est un bien public, un pilier fondamental de notre république et on ne veut pas qu’il disparaisse. Vous avez applaudi pendant la pandémie à vos fenêtres, là c’est la même chose : vous avez utilisé vos mains et bien maintenant utilisez vos pieds pour montrer votre soutien."