Harcèlement téléphonique, cadence de travail infernale, pratiques commerciales douteuses, pose à revoir… les sociétés qui proposent l’isolation à 1 euro ne seraient pas toutes vertueuses. Un ancien commercial témoigne.
 

Nous l’appellerons Laurent. Ce commercial d’une trentaine d’années préfère rester anonyme par peur de représailles. Mais il a décidé de partir en croisade contre ce qu’il nomme "l’arnaque totale" et de révéler l’envers du décor, peu reluisant, de l’isolation à 1 euro.

Une offre commerciale, proposée par des entreprises signataires d’une charte avec le ministère de la transition écologique, dans le cadre du dispositif "coup de pouce économies d’énergie". En échange du versement d’une prime gouvernementale, elles vous proposent d’isoler vos combles et vos garages pour 1 euro ou gratuitement. Un dispositif normalement rigoureusement encadré, et pourtant…

J’ai tenu 6 mois, dans deux entreprises et puis j’ai décidé d’arrêter. Ce n’était plus acceptable
- Laurent, commercial - 

Après des années à œuvrer pour l’industrie automobile notamment, le commercial, en intérim, a intégré une entreprise alsacienne spécialisée dans l'optimisation énergétique qui se présente comme leader de l’isolation à 1 euro dans le Grand Est. "Je n’y connaissais rien du tout et pourtant, ils m’ont envoyé sur le terrain au bout de deux heures de formation" raconte-t-il. Sa mission : convaincre des particuliers de faire isoler leurs combles et surtout rapporter le plus de contrats possibles à son employeur. "Pour cela, ils n’hésitent pas à vous mettre une grosse pression, à imposer une cadence de travail infernale. J’étais payé au Smic mais je finissais régulièrement à 23 heures, sans heures supplémentaires".

Parmi ses méthodes de travail, le professionnel raconte qu’il devait notamment effectuer du "phoning", démarcher de potentiels clients par téléphone. Un démarchage courant, mais qui serait  pratiqué de manière "agressive". "Tant que la personne ne prend pas rendez-vous, on insiste".
 

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 Des clients qui ne seraient pas vraiment choisi au hasard.  Selon lui, ils seraient ciblés en fonction de leurs "facultés de compréhension". "Les responsables nous poussent à aller voir des personnes âgées notamment, parce qu’ils estiment qu’elles ne comprennent plus grand-chose, et qu’elles ne lisent pas les clauses des contrats correctement. Idem pour les personnes en situation de précarité, pour lesquelles les subventions sont plus élevées."

Quand vous poussez la porte de certains foyers plongés dans la misère, que vous leur proposez de réaliser des économies grâce à l’isolation, mais qu’elles ne viendront pas parce que la prestation est de mauvaise qualité, c’est dégueulasse.
- Laurent, commercial -


Des méthodes que n’a pas constatées Rodolphe. Cet autre commercial a pourtant travaillé plus d’un an pour la même société. En revanche, il décrit aussi des conditions de travail "douteuses". Avec cinq ans d’expérience, il a rejoint le domaine de l’isolation après une formation express. Ce sera une semaine pour lui, pas plus, "alors qu’il en faudrait deux minimum avant d’aller démarcher. Les acquis n’étaient pas totalement maîtrisés lorsque je me suis lancé", affirme-t-il. Recruter à travers Pôle Emploi comme VRP (vendeur représentant placier) multicartes, il exerce sans salaire de base. "Tout marche à la commission. Ce n’était même pas mentionné dans l’annonce de départ. Mais que voulez-vous ? Une fois que vous y êtes, vous prenez parce que vous n’avez pas le choix".  Les voitures de fonction ? Pas assez pour tout le monde. Les pleins d’essence ? Offerts à ceux qui réalisaient le plus grand nombre de rendez-vous. "Pas normal lorsque l’on doit se déplacer tout le temps" dénonce-t-il encore.

Objectif fixé par l’entreprise? Vendre 4.000 mètres carrés d’isolation par mois en moyenne. Un rendement à atteindre à cinq co-équipiers. Pas irréalisable, mais ambitieux. Le problème étant surtout, selon ses dires, la qualité de l’isolation posée, pas toujours au rendez-vous. "Pas mal de clients nous rappelaient pour nous dire qu’ils n’étaient pas contents."

La boîte fait signer les contrats et s’occupe de la pause dès le lendemain de la signature. Autrement dit, s’il a un doute, le client ne dispose même pas des 14 jours légaux pour revenir sur son engagement
- Rodolphe, commercial-


Des coups de fil de personnes en colère, Laurent dit aussi en avoir reçus. "Des personnes nous disaient que c’était bâclé. Il y avait des plaques de polystyrène qui se détachaient du béton, certains matériaux n’étaient pas aux normes. Quand vous poussez la porte de certains foyers plongés dans la misère, que vous leur proposez de réaliser des économies grâce à l’isolation, mais qu’elles ne viendront pas parce que la prestation est de mauvaise qualité, c’est dégueulasse", assène-t-il. D’autant que pour couronner le tout, les délais de rétractation seraient parfois inexistants. "La boîte fait signer les contrats et s’occupe de la pause dès le lendemain de la signature. Autrement dit, s’il a un doute, le client ne dispose même pas des 14 jours légaux pour revenir sur son engagement".
 
 

1 euro, c’est "le prix du silence"

Fatigué, écœuré, le commercial a bien tenté d’aller voir ailleurs. Problème, les mêmes procédés se retrouveraient dans bon nombre des entreprises à s’être engouffrées dans la brèche de l’isolation à 1 euro. Un marché juteux, devenu le terrain de jeu d’escrocs de tout poil.

"Il y a des particuliers qui font effectivement un constat cinglant et qui dénoncent des installations sauvages, non-conformes, qui laissent craindre d’éventuels débuts d’incendies dans les habitations, avance Michel De Abreu, secrétaire général de la Capeb Grand Est (confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment). L’attrait du reste à charge est une façon de vampiriser le marché pour des entreprises peu scrupuleuses, qui n’honorent vraiment pas la profession".
 
En Haute-Saône, un service d’assistance téléphonique a été mis en place par la Capeb pour les clients qui rencontreraient des problèmes à la suite d’une installation. Une centaine d'appels ont déjà été enregistrés depuis début juillet. "Nous avons des personnes qui appellent pour dire qu'elles sont harcelées par les commerciaux, d'autres pour alerter sur des travaux faits de manières catastrophiques. On a eu connaissances de canalisations percées, de plafonds crevés suite à des interventions", relate Gilles Morel, secrétaire général.

A Maromme, en Seine-Maritime, Gérard Prairial lui, n'a rien eu de "cassé". Mais à cause de la mousse projtée directement sur une laine de verre vieille de 40 ans que les ouvriers n'ont pas pris la peine de retirer, il ne peut plus dormir dans ses chambres, situées sous comble. "Avec la canicule, les températures grimpent jusqu'à 45°c. Ce qu'ils ont fait est inefficace. C'est inadmissible" tempête-t-il. 

La charpente a pris feu, en pleine nuit, juste au-dessus de nos chambres
- Virgine Lacaze qui a fait refaire l'isolation de ses combles -


Parfois, il se produit bien pire. Le 30 décembre 2018, Virginie Lacaze a eu "la peur de sa vie". Cette habitante de Fresne-Saint-Mamès (Haute-Saône) a vu les combles de sa maison partir en fumée. "La charpente a pris feu, en pleine nuit, juste au-dessus de nos chambres. Heureusement que nous nous en sommes aperçus, sinon, je n'ose imaginer ce qui aurait pu nous arriver, à nous et à nos enfants" relate-t-elle. En cause ? De la laine de verre posée trop proche du conduit de cheminée lors de travaux d'isolation réalisés trois semaines plus tôt. Il faudra quatre heures aux pompiers pour venir à bout du sinistre. L'étage de l'habitation est aujourd'hui à refaire, l'assurance ne couvrira pas l'ensemble des frais... et l'entreprise est depuis aux abonnés absents.

"Ce qui en ressort aussi de ces témoignages, c’est que les personnes qui se sentent flouées ou qui ont des doutes, ne savent pas vers qui se tourner. Mais surtout, elles estiment que parce qu’elles n’ont payé qu’un euro, elles n’ont pas le droit de faire valoir un défaut de conseil et contester", commente Michel de Abreu.
 
Evidemment, les contestations sont possibles et nécessaires, mais "les leviers sont limités" reconnaît Gilles Morel, face à "des sociétés souvent éphémères, qui disparaissent du jour au lendemain". En réaction aux dérives, la profession a décidé de s'organiser. La Capeb projette d'interpeller le gouvernement dans les jours qui viennent pour demander un meilleur encadrement du dispositif. "Il ne s'agit pas de le dénigrer mais de dire qu'il doit être contrôlé pour avoir une efficacité réelle". Elle voudrait aussi le retrait des qualifications RGE (reconnu garant de l'environnement) aux entreprises contrevenantes. Toutes les fraudes sont invitées à être remontées via la hotline : 03.84.75.98.25.
 
Sur son site internet, l’Ademe (l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) émet une série de recommandations à destination des particuliers. Elle les incite notamment à ne jamais donner leur accord sur une proposition dans la foulée d’un entretien (physique ou téléphonique), à faire réaliser au moins trois devis pour comparer les prix et les propositions techniques, ainsi qu’à privilégier les entreprises ayant une convention de partenariat avec les organismes listés sur le site du ministère de la Transition écologique et solidaire.
 
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