Tribunal de Strasbourg: "Vous prenez quoi? Du speed? Parce que là, vous n’avez pas l’air trop speed"

Conduite en état d’ivresse, violence d’un fils sur sa mère invalide, conduite sous l’emprise de stupéfiants et vol étaient au programme de la séance des comparutions immédiates ce jeudi, au tribunal de grande instance (TGI) de Strasbourg. Chronique de la justice ordinaire.
 

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Quatre affaires étaient au programme des comparutions immédiates, jeudi 4 avril, au tribunal de grande instance de Strasbourg, sous la présidence du juge Louis-Albert Devillairs. Conduite en état d’ivresse, violence d’un fils sur sa mère invalide, conduite sous l’emprise de stupéfiants et vol. Récits d'audience.
 

"La chance que l’on a, c’est que votre permis est déjà annulé"

Le public se lève. C’est parti pour une nouvelle après-midi d’audience dans la salle 101 du tribunal de grande instance de Strasbourg. Cheveux mi-longs légèrement bouclés, lunettes alternativement sur le crâne ou sur le nez, le juge Devillairs prend place. Dans la force de l’âge, il parle vite et n’est pas venu regarder passer les trains. Le premier prévenu à se présenter dans le box va vite le comprendre.

Accusé, d’avoir, en récidive, conduit en état d’ébriété, le juge l’interpelle:
"Que pensez-vous des faits que vous avez commis?
– J’ai très mal dormi cette nuit, j’ai pris conscience que…
– Je ne vous demande pas comment vous avez dormi! Que pensez-vous des faits que vous avez commis?", le coupe le président.

L’homme, qui a passé la nuit en prison, semble un peu perdu. Suivi depuis vingt ans, deux fois par mois, par un médecin pour traiter son problème d’alcoolisme, il a été retrouvé, le 3 avril 2019 en travers de la bande d’arrêt d’urgence, dans sa voiture, entre Saverne et Strasbourg. Il présentait un taux d’alcoolémie de 0,92 milligramme par litre d’air expiré (la limite est de 0,25). Il se serait immobilisé après avoir touché la glissière de sécurité, mais ne se souvient plus de grand-chose.
 

Qu’est-ce qu’il faut pour que vous arrêtiez de prendre le volant après avoir bu?
La procureure de la République

Âgé de 55 ans et domicilié à Rohrwiller, il n’a pas de travail. Invalide, il s’occupe de sa mère et dit "se sentir seul". Déjà condamné pour des faits similaires, il n’a cependant jamais fait de prison ferme.

"La chance que l’on a, c’est que votre permis est déjà annulé! lance le président.
– Pour toujours? 
– Non, malheureusement on n’a pas le pouvoir de vous l’enlever à vie.
– Jusqu'à quand ?
– Au lieu de vous occuper de cela, vous feriez mieux de changer de comportement", assène le président.

Son avocate explique que son client a une forte tendance à la dépression, que son père s'est suicidé par pendaison il y a vingt-huit ans et qu’il s’occupe de sa mère… "Qu’est-ce qu’il faut pour que vous arrêtiez de prendre le volant après avoir bu?" demande la procureure de la République qui requiert, après des sanctions passées clémentes, huit mois de prison dont quatre mois ferme. Le tribunal le condamne à six mois de prison dont trois mois de sursis avec mise à l’épreuve pendant deux ans, la confiscation du véhicule, une interdiction de repasser le permis pendant six mois et 150 euros d’amende.
 


"Votre mère est la prunelle de vos yeux? On ne dirait pas au vu de votre dossier"

Le deuxième prévenu à prendre place dans le box est un homme de 32 ans, accusé de violence à l’encontre de sa mère, invalide à 80%, chez qui il réside. Ce 2 avril, l’homme rentre vers 20 heures très éméché. Sa mère lui demande des explications. Il l’insulte avant de la pousser avec ses deux mains sur la poitrine. La femme tombe dans le couloir, sa tête heurte le mur et elle se blesse au gros orteil. Après avoir appelé la police, les forces de l’ordre trouvent le jeune homme avec un taux de 1,25 milligramme par litre d’air expiré.

La maman ne souhaite pas porter plainte mais le parquet, lui, a "l’opportunité des poursuites". L’homme dit ne plus très bien se souvenir des faits.

"Franchement je suis choqué. Ma mère, c’est la prunelle de mes yeux, assure-t-il.
– Votre mère est la prunelle de vos yeux ? On ne dirait pas au vu de votre dossier!" rétorque le président.

Si vous vous mettez la tête à l’envers deux fois par semaine, c’est sûr que, pour aller bosser, vous n’allez pas être frais
Le président

Le prévenu raconte boire régulièrement, deux fois par semaine, de la vodka et "avoir parfois du mal à s’arrêter". Son casier judiciaire porte onze mentions toutes liées à la violence. Travailleur intérimaire, il dit avoir effectué une mission en janvier 2019 et une autre de quinze jours en octobre 2018.

"Et à part travailler deux fois par an, vous faîtes quoi? interroge le président.
– C’est de l’intérim, je prends ce qu’on me donne, se défend l’intéressé.
– Si vous vous mettez la tête à l’envers deux fois par semaine, c’est sûr que, pour aller bosser, vous n’allez pas être frais", tacle Louis-Albert Devillairs.

C’est ensuite à la procureure de la République de mener la charge.
"Vous avez dit que vous faisiez tout pour votre mère, c'est-à-dire, vous faites quoi?
– Les courses, le ménage.
– Vous vivez là-bas, donc vous faites ça pour la communauté, pas pour elle. Donc qu’est-ce que vous faites?
– Ce qu’elle veut", se contente de répondre le prévenu qui écope finalement de six mois de prison dont deux mois de sursis avec mise à l’épreuve pendant deux ans ainsi qu’une obligation de soins et de travail.

 

"Vous prenez quoi? Du speed? Parce que là vous n’avez pas l’air trop speed"

Changement d’ambiance. Celui qui s'avance dans le box pour la troisième affaire du jour à la tête basse, la voix qui tremble. Arrêté pour avoir forcé un passage à niveau alors que les avertisseurs lumineux clignotaient déjà, l’homme roulait sous l’emprise d’amphétamines qui ont également été retrouvés sur lui et lors de la perquisition à son domicile. Problème supplémentaire, il a déjà été condamné à de multiples reprises pour des faits similaires.

"Vous prenez quoi du speed? Parce que là vous n’avez pas l’air trop speed!", dit le président devant les temps de latence avant chaque réponse de l'homme de 28 ans.

J’avais arrêté depuis un mois et demi mais j’ai dû faire piquer mon chien. J’ai replongé bêtement.
Le prévenu

L’homme raconte fumer du cannabis depuis l’âge de 16 ans et prendre désormais aussi de l’ecstasy et de la cocaïne. Il a des difficultés à s'exprimer. Il explique, contrit: "J’avais arrêté depuis un mois et demi mais j’ai dû faire piquer mon chien. J’ai replongé bêtement." Triste ironie du sort, suivi à Haguenau, il se rendait justement à l’hôpital pour demander un sevrage. Le soupir du président en dit long sur la difficulté à trouver une solution, la plus adaptée possible, face à ce cas. "Je suis désolé. Je vais essayer de tout faire pour décrocher de ces drogues de merde", lâche le prévenu, les yeux embués de larmes.

Pour "donner un coup d’arrêt", le tribunal le condamne à six mois de prison avec mandat de dépôt (départ immédiat en prison) plus 300 euros d’amende. L’homme écoute la sentence les mains jointes sur le menton, visiblement choqué. Au moment de quitter le box, des larmes pleins les yeux, il adresse un baiser à sa mère, dans la salle, elle aussi en pleurs.
 


"C’est peut-être moi. De toute façon, j’en ai fait tellement... Si vous le dites, c’est moi"

Ce n’est pas vraiment la repentance qui se lit sur le visage de l’homme de vingt ans qui lui succède dans le box des prévenus. Condamné à de nombreuses reprises pour vol, il est en prison suite à la révocation de son sursis pour motif de non-présentation.

Mais c’est une autre affaire qui l’amène devant le tribunal ce jeudi. En juillet 2018, des policiers de la brigade anti-criminalité l’observent à Strasbourg "vérifier si des véhicules étaient bien fermés". Ils le perdent ensuite de vue et, quelques minutes plus tard, un vol est commis dans une voiture dont on a préalablement brisé la vitre. Une témoin fait alors une description qui correspond au jeune homme. Une fois celui-ci arrêté, elle déclare le reconnaître "sans aucun doute possible".

Je jure devant Dieu que je n’ai pas touché cette voiture.
L'accusé

«Vous avez déclaré, lors de votre audition: "C’est peut-être moi. De toute façon, j’en ai fait tellement... Si vous le dites, c’est moi"», rappelle le président.

Mais, cet après-midi, la ligne de défense a changé. "Les policiers ne m’ont pas attrapé sur le fait. En plus, en plein été, avec le soleil qui brille, elle me voit de son balcon et elle me reconnaît un an après... Et d’ajouter, j’ai été incarcéré en 2017 et je me suis juré de ne plus faire ça. Donc je ne comprends pas. J’ai fait des bêtises mais je jure devant Dieu que je n’ai pas touché cette voiture." Un plaidoyer peu convaincant pour le tribunal qui le condamne à trois mois de prison avec mandat de dépôt. Une peine qui viendra s’ajouter à celle qu’il est en train de purger.

Les dossiers claquent. La salle se lève. C’en est fini pour aujourd’hui.
 
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