La crise énergétique conjuguée à celle des vocations multiplie les difficultés dans la gestion des Ehpad. La directrice de l'établissement de Bischheim veut alerter les autorités sur la situation de son établissement, jugée critique, voire désespérée.
Rien ne va plus dans les Ehpad. La crise sanitaire a révélé leur état de faiblesse. Aujourd'hui avec l'inflation et la crise énergétique qui les frappent de plein fouet, les difficultés ne font qu'empirer. Face à ces perspectives alarmantes, le moral est au plus bas parmi le personnel encadrant.
Pour Virginie Schaible, directrice de l'Ehpad La voûte étoilée, à Bischheim (Bas-Rhin), la situation devient même ingérable. Elle se dit dépourvue de moyens pour tenter de conserver son établissement et les 90 salariés qui y travaillent dans leur intégralité. Et surtout pour essayer de maintenir des prestations de qualité aux 94 résidents.
Elle serait loin d'être la seule à faire ce constat parmi les directeurs d'Ehpad. En France, 700 lits ont été supprimés récemment. Pour comprendre ce qu'il se passe, elle a bien voulu répondre à nos questions.
Pourquoi êtes-vous désemparée ?
"Parce que la situation des Ehpad est dramatique. On court à la catastrophe et malgré cela il n'y pas de réaction de la part des services publics. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale a été voté la semaine dernière et rien ne se dégage quant au financement des Ehpad qui est basé sur un modèle complètement obsolète".
"Les difficultés auxquelles on doit faire face sont ingérables et multiples : la crise énergétique, l'inflation et la crise des vocations".
1) "On a d'abord comme tout le monde la crise énergétique en ligne de mire. On a eu 2% d'augmentation sur les prix de séjour, donc à la charge des résidents, à partir du 1er octobre, accordés par la collectivité européenne d'Alsace (CEA) mais ce ne sera, de loin, pas suffisant pour absorber les surcoûts. Et pour l'instant rien n'est mis en œuvre concernant un éventuel bouclier tarifaire dans notre secteur".
2) "Il y a le problème de l'inflation. Notre secteur d'activité est fortement affecté, qu'il s'agisse des dispositifs médicaux ou des denrées alimentaires. Tous nos achats sont touchés par ce phénomène d'inflation".
On est face à une crise des vocations qui fait suite à la crise sanitaire.
Virginie Schaible, directrice de l'Ehpad de Bischheim
3) "Et surtout on est face à une crise des vocations qui fait suite à la crise sanitaire. Cette crise se révèle aujourd'hui vraiment ingérable. On ne parvient plus du tout à faire de recrutement. J'ai des postes vacants dans ma structure que je n'arrive pas à pourvoir. Aujourd'hui, pour réussir à tourner sans dégrader la qualité de prestation aux résidents je dois avoir recours à l'intérim. Cela représente une brèche énorme au niveau de mon budget que je ne parviens plus du tout à tenir".
"Si je veux sauver la structure, il faut que je m'interroge sur le moyen de faire des économies et je ne vois pas trop comment je peux faire. Arrêter de recourir à l'intérim ça veut dire fermer des lits".
"En plus en plus de ça, on a créé des inégalités de traitement au niveau des salariés : certains touchent des primes, d'autres n'en touchent pas, la prime grand âge par exemple. C'est vraiment défavorable par rapport à la notion de recrutement".
Quelles sont les solutions envisageables ?
"J'ai trois solutions qui s'imposent à moi aujourd'hui" :
- "Je continue à fonctionner avec la totalité des chambres qui sont occupées et j'arrête de fonctionner avec l'intérim qui me coûte trop cher. Cela veut dire que je demande à mes équipes d'absorber les cinq postes vacants. Donc j’épuise mes équipes et si je les épuise, j'ai des accidents de travail, j'ai des arrêts maladie et j'ai des démissions. Au final, j'accentue les problèmes liés aux ressources humaines".
Il est moins délétère en terme de budget de fermer des lits que d'avoir recours à l'intérim.
Virginie Schaible, directrice de l'Ehpad de Bisccheim
- "Dans le même scénario, avec une occupation pleine des chambres et sans recours à l'intérim, pour ne pas épuiser mes équipes je leur demande de travailler en mode dégradé. Cela veut dire qu'on détruit la qualité des prestations rendues aux résidents. Et là les résidents ne sont pas contents, on est frustré en tant que soignant parce qu'on ne fait pas le job et j'ai les familles sur le dos".
- "Dans le scénario du pire je ferme des lits mais même dans ce cas si j'en ferme 10, ce ne serait pas suffisant pour réussir à me passer des intérims. C'est catastrophique. Il est moins délétère en terme de budget de fermer des lits que d'avoir recours à l'intérim. Cela veut dire aussi que je ne réponds plus du tout à ma mission qui consiste à répondre aux besoins d'une population qui me sollicite avec une liste d'attente très très longue".
"C'est vraiment l'histoire du serpent qui se mord la queue, voilà pourquoi je suis désespérée. La seule solution qui serait plus acceptable que les autres serait de fermer des lits".