C'est un métier de l'ombre mais qui a décidé de donner de la voix. Les directeurs de greffe ont manifesté hier devant la cour d'appel de Reims pour alerter sur leur situation, leur manque de moyens et de reconnaissance. À tel point que les tribunaux ne peuvent plus payer toutes leurs factures de 2024. Une situation liée au fait que l'Assemblée nationale n'a toujours pas voté de budget pour 2025.
Avec leur robe noire et leur rabat blanc, on les confondrait presque avec des greffiers. Pourtant, ce sont bien des directeurs de greffe qui se sont rassemblés ce lundi après-midi devant la cour d'appel de Reims, suite à un appel national.
Ce métier, peu connu du grand public, englobe pourtant plusieurs casquettes : manageur, responsable des ressources humaines, du budget, de l'immobilier, de l'informatique, des archives, des statistiques. Ils sont également les gardiens des minutes et des scellés judiciaires... Bref, un rôle essentiel pour que la justice soit rendue : "sans nous, les juridictions ne fonctionnent pas".
Pourtant, à les entendre, c’est une profession mise à mal. La vingtaine de directeurs de greffe rassemblés dénonce "une charge de travail écrasante, conséquence de sous-effectifs chroniques", un management "en mode crise", une absence totale de revalorisation de leur statut et de leur revenu ainsi qu'un sentiment d'abandon grandissant, qui menacerait leur engagement.
L'une des directrices de greffe s'exaspère de devoir organiser ses services avec beaucoup de sous-effectifs chroniques. Une situation aggravée par le fait que l'embauche de contractuels a été gelée, faute de budget. Ils sont pourtant précieux pour aider les titulaires dans leur charge de travail.
Les experts judiciaires ne sont pas tous payés
Comme souvent, le nerf de la guerre, c'est l'argent : faute de budget voté par l'Assemblée nationale pour 2025, le ministère de la Justice n'a obtenu cette année que 25% du budget de l'an dernier. Insuffisant pour faire fonctionner normalement un tribunal : "ce budget ne peut être utilisé que pour des nécessités de continuité de service public et pas pour des dépenses nouvelles" nous explique Pascal Cernik, directeur délégué du service administratif régional sur les juridictions des Ardennes, de la Marne et de l'Aube.
Mais 25% d'un budget, ça part vite. "On doit faire des choix" nous explique Aurore Alexandre, directrice de greffe responsable du budget à Reims. En clair, des arbitrages doivent être faits dans les factures à honorer, notamment pour rémunérer les experts judiciaires. Ces professionnels jouent un rôle clé pendant un procès : rendre une expertise psychologique, une enquête sociale, déceler si un document est authentique ou retouché...
Le mois de janvier est habituellement celui où les dernières factures de l'année précédente sont payées, concernant ces experts. Mais la justice doit exceptionnellement décider qui elle paiera ou non: "à un moment donné, il faut voir quels sont les experts les plus fragiles, ceux qui ne vivent que des expertises judiciaires", détail Pascal Cernik
C'est compliqué pour les entreprises avec lesquelles on travaille, puisqu’eux aussi ont une entreprise à faire tourner, des salariés à rémunérer
Aurore Alexandre, directrice de greffe
Même cas de figure pour les factures courantes : si le chauffage, le nettoyage et le gardiennage des palais de justice sont toujours honorés, l'achat de nouveaux codes de procédure (les célèbres livres rouges), le remplacement d'un bureau qui tombe en ruine ou le renouvellement d'ampoules de rechange est reporté.
Aurore Alexandre détaille par un exemple concret : "si on a une grosse réparation, comme une fuite d'eau, on va la privilégier par rapport à une facture d'affranchissement ou d'électricité. C'est compliqué pour les entreprises avec lesquelles on travaille, puisqu’eux aussi ont une entreprise à faire tourner, des salariés à rémunérer".
Une situation inédite
Pascal Cernik l'assure : "l'an dernier, on pouvait régler tous les experts en début d'année". Cette situation d'absence de budget est inédite. Habituellement, le budget est voté par l'Assemblée nationale à l'automne. Mais en raison de l'absence de majorité, suite à la dissolution de l'Assemblée par Emmanuel Macron et de la censure du gouvernement de Michel Barnier, aucune loi de finance n'a été votée.
"L'an dernier, on pouvait régler tous les experts en début d'année"
Pascal Cernik, directeur délégué du service administratif régional
Le directeur délégué espère donc qu'un vrai budget sera voté dans les prochains mois pour reprendre un fonctionnement normal.
Quoi qu'il en soit, cela ne réglera pas le mécontentement des directeurs de greffes qui n'ont pas vu leur salaire revalorisé depuis plusieurs années et qui dépendent d'un point d'indice "qui n'évolue pas énormément".
Le garde des Sceaux, Gérald Darmanin, devait recevoir les représentants des directeurs de greffe le 11 février prochain.