Les cigognes blanches n'ont jamais été aussi nombreuses en Alsace. Un comptage précis des couples par la LPO devra en déterminer le nombre exact. Il est évalué, d'après les estimations, à un millier, alors que l'espèce a frôlé l'extinction il y a cinquante ans.
Par groupes entiers on les voit picorer dans les champs. Dans le ciel alsacien il n'est pas rare de les voir voler. Bref, elles font partie du paysage. Les cigognes blanches ont conquis, ou plutôt, reconquis l'Alsace. Au point qu'elles seraient aujourd'hui de plus en plus nombreuses. Alors, impression ou réalité ? Question à laquelle la LPO Alsace va s'attacher à répondre en procédant à un comptage précis et exhaustif des couples de cigognes blanches en Alsace et qui a choisi de faire de l'année 2021 "l'année de la cigogne".
Un millier de couples en Alsace aujourd'hui contre neuf en 1974
"On espère repérer au moins 95% des couples, on pourra s'appuyer sur la localisation précise de tous les nids au cas où quelques-uns nous auraient échappé", explique Yves Muller, le président de la LPO Alsace. Un travail minutieux auquel va s'atteler des centaines d'observateurs bénévoles au cours des prochaines semaines, en avril et surtout en mai. Il faut remonter à 2004 pour disposer d'un chiffre basé sur un comptage du même genre. La LPO avait recensé à l'époque 368 couples. Dix ans plus tard, en 2015, le chiffre avait doublé, c'est ce qu'une évaluation intermédiaire établissait : on en comptait 300 dans le Bas-Rhin et 500 dans le Haut-Rhin. Aujourd'hui la population est estimée à environ un millier de couples en Alsace. "La population n’a jamais été aussi importante aujourd’hui qu’elle ne l’a été dans des temps historiques", souligne Yves Muller, qui rappelle que l'espèce comptait un peu plus d'une centaine de couples en 1950-60 avant sa quasi-disparition en 1974 avec seulement neuf couples.
La réintroduction a dépassé les attentes
L'effort de réintroduction opéré à partir des années 1970 a porté ses fruits, les chiffres parlent d'eux-mêmes. "Il y a eu des renforcements de population avec des oiseaux gardés en enclos et des jeunes qui étaient relâchés. Ce renforcement de population a permis d’augmenter progressivement la population", fait remarquer le président de la LPO. A tel point que le seuil d'équilibre semble maintenant atteint, voire dépassé. "Aujourd’hui il n’y a plus de lâchers de cigognes parce que la population est suffisamment importante. On veut même qu’elle ne soient plus nourries en hiver, on veut qu’elles soient libres, qu'elles retrouvent une situation naturelle", affirme Yves Muller. Ce qui est déjà le cas officiellement depuis 2016, date à laquelle il a été décidé d'arrêter d'aider artificiellement les cigognes. La LPO le réclamait depuis 2002, rappelle Yves Muller: "on avait fait un communiqué de presse disant que l'objectif était atteint, la cigogne était sauvée".
Stabilisation de la population ?
Sans l'assistance humaine, la population de cigognes devraient donc se stabiliser, estime Yves Muller: "On est peut-être passé par un maximum, c'est bien cela qu'on veut étudier". Et voir comment la cigogne évolue en milieu naturel, sans apport de jeunes comme dans les années précédentes. Les résultats significatifs seront connus d'ici quelques années, le temps de lisser les fluctuations saisonnières dues aux variations météorologiques d'une année sur l'autre. En tout cas, précise Yves Muller, "les cigognes seront limitées par la possibilité de trouver de la nourriture. Elles ont besoin de prairies humides qu'on trouve dans le ried alsacien". La qualité du milieu naturel sera donc déterminante pour l'avenir de l'échassier.
Des conditions d'hivernage plus clémentes
Avec le changement climatique, les distances parcourues par les cigognes blanches ont été raccourcies. "Elles hivernaient classiquement en Afrique équatoriale, au sud du Sahara. On observe qu'elles partent moins loin depuis quelques années. Elles passent maintenant l’hiver en Espagne ou dans le sud de la France", fait observer Yves Muller. Des cigognes passent même l'hiver en Alsace, celles qui ont été sédentarisées après avoir été gardées en captivité. Une fois relâchées, elles perdent leur instinct migratoire. On les estime à environ 10% de la population. En Afrique, celles du grand voyage étaient victimes de la chasse, de la sécheresse et des lignes électriques rencontrées sur leur parcours. Ces conditions d'hivernage plus clémentes ont joué en faveur des cigognes.
Comptage et protection
Le comptage devra préciser les effectifs mais pas seulement. La répartition des couples sera cartographiée, ainsi que les supports de nidification : "On veut savoir si elles nichent sur les maisons, sur les arbres ou sur des poteaux électriques, ce qui pose des problèmes dans ce dernier cas car elles risquent l’électrocution, on déménage donc les nids sur des mats à proximité", précise Yves Muller. Il faudra aussi définir le taux de succès de reproduction car "il ne suffit pas de localiser un couple sur un nid, on veut voir si la reproduction réussit et le nombre de jeunes qu’il y a". Après la ponte en mars et les premières naissances en avril, les jeunes restent six semaines au nid. Chaque observateur contrôlera les nids avant l'envol des jeunes à la mi-juin. "On pourra voir s’il un ou deux jeunes, ce qui est la moyenne, ou plus rarement trois ou quatre."
Tous ces relevés vont alimenter la base de données de la LPO, au niveau régional et national. "D'ici septembre, le temps d'exploiter les données, on sera en mesure de donner un chiffre exact", confie Yves Muller. Et surtout de brosser un tableau de l'espèce dans son milieu, un outil de connaissance et de protection de l'oiseau indispensable pour l'observatoire régional de la diversité.
La cigogne blanche bénéficie d'une protection totale sur le territoire français depuis l'arrêté du 17 avril 1981. Elle est aussi inscrite à l'annexe I de la Directive Oiseaux de l'Union Européenne.