Les clubs sportifs sont à l'arrêt depuis le début du confinement. Beaucoup ne pourront pas rouvrir avant la rentrée. Au-delà des considérations sportives, le monde amateur s'inquiète des répercussions financières de cette fin de saison prématurée et de la crise sanitaire.
Le Premier ministre Edouard Philippe l'a annoncé mardi 28 avril lors de la présentation de son plan de déconfinement à l'Assemblée nationale : à partir du 11 mai, les Français pourront pratiquer une activité sportive individuelle en plein air, en dépassant la barrière actuelle du kilomètre et en respectant les règles de distanciation sociale. Un soulagement pour les sportifs, mais les disciplines collectives sont proscrites. La plupart des fédérations avaient de toute façon déjà entériné la fin des championnats, notamment dans le monde amateur.
Une décision plutôt bien acceptée : la santé doit être au centre des préoccupations, avancent les clubs. Reste que le sport amateur s'inquiète des conséquences financières d'une moitié de saison non disputée et, plus généralement, de la crise sanitaire. Exemples en Alsace.
Sans manifestations, plus de rentrées d'argent
Juste en face de l'école maternelle, sevrée de ses petits pensionnaires depuis déjà huit semaines, les terrains de football de l'ASC Biesheim (Haut-Rhin) sont dépeuplés eux aussi. 450 joueurs viennent en règle générale s'y défouler, du lundi au dimanche. Le complexe sportif de ce village de 2.500 habitants s'est vidé du jour au lendemain. "Un gros manque, pour le président Vincent Schmitt. On est privés de beaucoup d'odeurs qu'on aime : l'odeur des vestiaires, l'odeur du terrain, le plaisir de se retrouver..."Des journées de détection devaient se tenir en cette fin de saison pour renforcer les équipes de jeunes par des joueurs prometteurs. Elles sont annulées, comme les derniers matches de championnat. Le coronavirus bouleverse les plans du club, sportivement et financièrement. Bien que Biesheim évolue au cinquième échelon du foot français, le président compte sur ses bénévoles et des manifestations pour rentrer de l'argent. Trois d'entre elles ne pourront pas avoir lieu.
Une soirée dansante fin mars, un loto le 7 mai et un tournoi de pitchounes (des enfants de cinq à neuf ans) au mois de juin. 40.000 euros de recettes perdues, soit 10% du budget annuel. "Je prends des cheveux gris depuis quelques semaines", confie d'emblée Vincent Schmitt, qui a placé l'entraîneur de l'équipe première au chômage partiel et ne verse plus d'indemnités kilométriques aux joueurs.Je prends des cheveux gris depuis quelques semaines
- Vincent Schmitt, président de l'ASC Biesheim
Il aborde la saison à venir avec beaucoup d'incertitudes : "Je navigue à vue... Il est évident qu'on va devoir faire avec un budget inférieur, il ne faut pas se leurrer. J'attends maintenant que la Fédération ou la ligue du Grand Est nous disent comment elles vont nous aider parce que sans rentrées d'argent, c'est compliqué. On ne sait pas du tout quand on pourra reprendre. On entend parler du mois d'août, à huis clos. Si on nous fait démarrer sans spectateurs, je ne vois pas l'intérêt. On devra payer des charges, par exemple les arbitres, sans avoir d'argent qui rentre. On va craquer... Certains ne vont pas résister. Il va falloir que des choses bougent, sinon, c'est la mort du foot amateur."
Il va falloir se bouger, sinon, c'est la mort du foot amateur.
- Vincent Schmitt, président de l'ASC Biesheim
Les sponsors risquent de faire défaut
Tous les sports sont dans le flou. À Hilsenheim, dans le Bas-Rhin, les handballeurs n'avaient pas de manifestation au programme avant septembre. Le loto, en décembre 2019, a permis de remplir les caisses. Mais l'argent de la buvette manque. Quelques centaines d'euros chaque week-end, que les bénévoles de l'ASLJ Hilsenheim gagnent en proposant des repas, après les rencontres."On a la chance d'avoir un peu de trésorerie de côté", souffle Thomas Giesi, aux manettes du club depuis cinq ans. Il s'attend à voir son habituel budget de 80.000 euros, amputé de 20% à l'aube du prochain exercice et sait qu'il ne faudra pas compter sur les sponsors pour remplir les caisses. C'est une question de bon sens : "On ne va pas se permettre d'aller démarcher des entreprises alors qu'elles sont elles-mêmes en difficulté. Je me vois mal aller demander 300 euros à un restaurant qui est fermé depuis deux mois. Surtout qu'on se tourne en général vers des petits partenaires du coin."Je me vois mal aller demander 300 euros au restaurant qui est fermé depuis deux mois.
- Thomas Giesi, président de l'ASLJ Hilsenheim
L'une des solutions pour compenser ces difficultés serait d'augmenter le prix des licences, en septembre. Elles s'élèvent à seulement trente euros pour les jeunes. "On y laisse presque de l'argent", admet Thomas Giesi. Il dit y réfléchir, mais ne s'y résoudra qu'en dernier recours car il tient à ces tarifs abordables. "C'est une fierté, ça nous a permis d'attirer beaucoup de monde. 95% viennent du village. C'est une grand famille", insiste-t-il.
À l'ASC Biesheim, le président Vincent Schmitt lui-même, fait partie des mécènes du club. Il gère aussi une entreprise de transports, directement frappée par la pandémie. Certains de ses salariés sont toujours en activité, d'autres ont été priés de rester chez eux, faute de travail. Il est bien placé pour savoir que les partenaires seront compliqués à convaincre dans les prochaines semaines : "En tant qu'entrepreneur, je me mets à leur place. Ma priorité en ce moment, c'est de reprendre en vitesse l'activité et de protéger les salariés, évidemment. On espère que l'économie va reprendre, petit à petit. Mais il est clair que les dons vont se réduire." Ils s'élevaient en général à 100.000 euros environ.
Dans les grosses structures, des emplois à sauver
Pour les joueurs de tennis, le cœur de la saison était sur le point de s'ouvrir, avec l'arrivée des beaux jours du printemps, quand le confinement a été mis en place. Beaucoup de tournois et des championnats par équipes n'ont pas pu se jouer. D'après les informations publiées ce jeudi 30 avril par le ministère des Sports, l'activité pourra reprendre le 11 mai, alors que les disciplines collectives ou en intérieur devront encore patienter. La pratique du tennis sera autorisée en plein air, à condition de "respecter une distance physique suffisante d’environ 4m2". Mais les entraînements "classiques" resteront sans doute sur pause jusqu'à l'automne.La santé des athlètes et des pratiquants est ma priorité. Le sport est un enjeu de santé publique mais dans cette période particulière, je souhaite que la pratique reprenne de manière progressive pour limiter les risques de contamination.
— Roxana Maracineanu (@RoxaMaracineanu) April 28, 2020
Le remboursement des cotisations a parfois été évoqué, comme dans tous les sports. Un casse-tête et une source d'angoisse pour les clubs, qui comptent sur la solidarité des licenciés. "Sur 400 enfants et 80 adultes à l'école de tennis, j'ai eu deux questions à peine à ce sujet, explique Frédéric Grandgeorge, le directeur sportif de l'Ill TC, à Strasbourg. Pour l'instant, on ne rembourse pas les cotisations du troisième trimestre, sinon on coule." Cela obligerait en effet la deuxième plus grosse structure d'Alsace à ressortir 60.000 euros de ses caisses, alors que la pandémie l'a déjà privée de certains gros rendez-vous.
Les traditionnels stages de Pâques n'ont pas eu lieu, ceux de l'été sont clairement menacés. "Ce serait une grosse perte, 50.000 euros rien qu'en été", détaille encore Frédéric Grandgeorge. Les dix salariés du club ont été mis au chômage partiel. Parmi eux, les six moniteurs sont impatients de retrouver leurs élèves.
"Pour l'instant, l'inquiétude n'est pas trop grande, selon le directeur sportif. Le club est sain. Mais on ne sait pas vers où on va. Si en août-septembre, on ne peut pas encore organiser de cours, les perspectives risquent d'être plus alarmantes. On se demande aussi tout simplement si les gens vont revenir à la rentrée ou s'ils seront prudents dans un premier temps. S'ils ne reviennent pas et qu'on n'a pas de rentrées d'argent, ça va être compliqué."On se demande si les gens vont revenir à la rentrée ou s'ils seront prudents dans un premier temps. S'ils ne reviennent pas et qu'on n'a pas de rentrées d'argent, ça va être compliqué.
- Frédéric Grandgeorge, directeur sportif de l'Ill TC, à Strasbourg.
Quelques bénévoles ont déjà préparé les terrains en terre battue pour la saison estivale, comme pour conjurer le sort. La terrasse du club, pleine de vie d'ordinaire, ne se voit pas rester vide tout l'été. Car l'Ill TC est aussi "un lieu de vie, de rencontres." Des moments de complicité que certains tentent de prolonger, virtuellement. À Biesheim, les dirigeants proposent des activités ludiques via les réseaux sociaux pour garder des liens avec les footballeurs (voir ci-dessous). Pas grand-chose à voir avec le foot, quoi que...
De son côté, le président du club de handball d'Hilsenheim échange tous les jours par message avec ses jeunes joueurs U13. À Pâques, ils étaient censés partir tous ensemble à Prague pour cinq jours en minibus. Ils devaient participer au "plus grand tournoi international du monde". Un rituel pour lequel les handballeurs se réjouissaient depuis le début de la saison. La déception n'est pas encore digérée. En attendant la prochaine édition, ils espèrent découvrir bientôt, enfin, leur toute nouvelle salle de sport.