Coronavirus : "ça me rappelle l'ambiance de l'attentat", le confinement à Strasbourg dans le viseur d’un photoreporter

Si Elyxandro Cegarra arpente les rues de Strasbourg avec son appareil photo, ce n'est pas pour faire du tourisme. Il est photoreporter. Pour lui aussi, la pandémie a tout bouleversé. Dans son quotidien. Dans son regard. Dans ce que peut capter son objectif. Il nous livre ses impressions.
 

"C'est tellement bizarre de voir Strasbourg déserte". Depuis l'entrée en vigueur du confinement, Elyxandro Cegarra ne reconnaît pas la ville dans laquelle il habite depuis maintenant cinq ans. "Ça me touche de voir les rues vides. Surtout la Petite France où normalement il y a des touristes partout qui se bousculent sur les terrasses. Là il n'y a plus personne. Tout est fermé. On dirait une ville fantôme. C'est choquant."


Quand, le 17 mars 2020, nous avons tous été invités à rester autant que possible à domicile, Elyxandro Cegarra a dû faire comme tout le monde. S'adapter. Photoreporter indépendant, il travaille principalement pour l'agence parisienne Panoramic, pour la ville de Strasbourg et la Commission européenne (on le voit dans le post ci-dessous au Conseil de l'Europe, il figure au premier plan en chemise grise). Certains de ses clichés sont aussi parfois repris par l'AFP (Agence France-Presse). Mais avec le confinement, il voit toutes ses commandes de reportage s'annuler, les unes après les autres.  
 


"Lorsque j'ai entendu qu'on allait devoir rester à la maison, je me suis dit que ça allait être compliqué pour moi. Surtout qu'en même temps, il se passe quelque chose qu'il faut couvrir, qu'il faut raconter. Alors je suis sorti. J'ai fait mes premières images de fermetures, du bouclage du centre-ville, je me suis baladé à la cathédrale. Toute vide." Equipé de son Canon 5D, de son autorisation dérogatoire pour motif professionnel, de sa carte de presse étrangère et d'un certificat d'employeur délivré par son agence parisienne, il a repris le travail.

Mais que photographier quand tout s'arrête. Comment capter le vide, l'absence, le silence ?

C'est peut-être ce qui fait le plus bizarre au photographe en ces temps confinés. "Ça me rappelle l'atmosphère qui avait suivi l'attentat de Strasbourg". Elyxandro avait alors couvert l'attaque dans la soirée et les jours d'après. "Cela m'a saisi quand je suis retourné à la cathédrale après le confinement. J'ai retrouvé ce même silence, ce même vide. Un sentiment très dur'".

Il y a les rues silencieuses. Et puis il y a l'urgence, la fièvre des hôpitaux. C'est aussi cela qu'Elyxandro veut et doit raconter, lui qui de surcroît réside au coeur de l'un des foyers épidémiques. Les hôpitaux débordés de Mulhouse, les transferts de malades sur des quais de gare à bord de TGV sanitaires : sur sa pellicule numérique se fixent des images qui marqueront. Longtemps.

Une journée l'a plus marquée que les autres depuis le début de l'épidémie : celle passée à la mi-avril dans un service de réanimation à la clinique de l'Orangerie, à Strasbourg. Première fois qu'il pénétrait une unité, un univers covid. J'avais échangé avec lui la veille de ce reportage. il appréhendait. Dix jours plus tard, quand il raconte sa journée dans ce service si sensible, on sent que les visions remontent. Comme des flashs. "Les patients dans le coma sont dans des boxes. Il y a le box 3. Le box 4. Pas de noms. Juste des affichettes "patient covid". Les personnes sont intubées, on ne les voit plus à cause des tuyaux. On oublierait presque que ce sont des personnes".
 
Une ambiance froide, technique, aseptisée à l'extrême, où l'on ne croise que blouses et visages masqués. Et malgré tout une infinie humanité. "L'un des clichés que je retiens de cette journée, c'est cette soignante qui masse le pied d'un patient." La photo dégage de la sérénité, de la tendresse, comme si dans cette chambre d'hôpital, le temps s'écoulait lentement, comme si la pandémie était en pause.

C'est presque avec admiration Elyxandro parle des soignants. "Je les ai vus en action. Quand il faut retourner un patient par exemple, il faut qu'ils soient 5 ou 6. A chaque fois, ils doivent tous réenfiler toute une tenue de protection. Et il faut faire cela pour chaque patient plusieurs fois par jour. Ils font vraiment un travail très dur. Même quand on voit bien qu'un patient est sur le point de mourir, les soignants continuent des les aider. Jusqu'au bout."

Dans les yeux des soignants, au-dessus de leur masque, on lit de la fatigue. Mais pas du tout de renoncement ou de désespoir. Il y a beaucoup d'énergie. Je n'ai senti que du positif.
- Elyxandro Cegarra, photoreporter indépendant


En se rendant dans ce service de réanimation, c'est cette humanité calfeutrée sous des blouses que le photographe voulait saisir. Mais difficile de lire des visages masqués. La salle de pause des soignants est plus propice pour cela." Je voulais pouvoir faire des prises de vue dans un moment plus relaxe. Le moment de la coupure, quand ils enlèvent les masques, c'est là que les émotions ressortent."

Elyxandro a auto-censuré certaines des photos qu'il a prise ce jour-là. Il ne les enverra pas aux agences. Toutes celles où l'on voit des patients intubés. "Quand je suis sur place pendant une prise de vue, je prends tout ce qui se présente à moi. Après je fais le tri. Il faut savoir prendre de la distance avec son sujet, avoir des limites. Le sensationnalisme, ça ne m'intéresse pas."

On le pressent en l'écoutant, Elyxandro restera marqué par cette crise du coronavirus, lui qui en a pourtant déjà vu pas mal dans sa carrière de photoreporter entamée il y a dix ans, après une première vie comme éducateur social auprès d'adolescents. Son nom - et son accent chantant - lui viennent du Vénézuela, pays en proie à une grave crise politique, économique et sociale qu'il a décidé de quitter en 2015.

ll s'installe alors dans le pays d'origine de sa femme. La France. "J'ai dû totalement faire mon trou ici. Mais d'autres photographes strasbourgeois comme Jean-Marc Loos ou Jérôme Dorkel m'ont pris sous leur aile. Et puis j'avais déjà pas mal de photos à mon actif. Ça aide à se faire repérer."

Au Vénézuela est restée une grande partie de sa famille, inquiète de le savoir dans une région très touchée par la pandémie. "Au Vénézuela, on sait qu'il y a beaucoup de malades et de morts en France. Dès que je publie une photo d'hôpital sur les réseaux sociaux, je reçois des messages me disant que je suis fou. Mes amis ont très peur pour moi quand ils savent que je vais à Mulhouse."

Elyxandro, lui, c'est pour ses proches qu'il s'inquiète. "Je ne sais pas si on peut faire confiance au gouvernement vénézuelien quand il donne des chiffres sur la contamination, déplore-t-il. Le ministère de la Communication du pays annonce 10 décès et 331 cas de contamination au 29 avril 2020. Et puis les services de santé dans mon pays n'ont rien à voir avec ceux de la France. J'ai vu ici comment ça se passait. J'ai vu des malades. Je dis à mon père resté là-bas de faire très attention, de bien se protéger."

Ce qui lui manque le plus depuis l'entrée en vigueur du confinement ? "Les manifestations. J'adore ça". Le photographe reporter en a couvert beaucoup avant la pandémie. Celles des gilets jaunes notamment. A Paris. A Strasbourg. Des images, des clameurs que l'on aurait presque oubliées avec le confinement. Quand elles seront de retour dans le viseur d'Elyxandro, ce sera peut-être alors le signe que la vie a normalement repris son cours.
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