Les banques font partie des "établissements autorisés à recevoir du public", selon le gouvernement et donc elles restent ouvertes malgré le confinement. Au Crédit mutuel, le télétravail ne se généralise pas, selon plusieurs salariés, inquiets de compter déjà plusieurs collègues testés positifs.
Le gouvernement a publié la liste des commerces et services qui peuvent rester ouverts. Les banques en font partie, pour continuer à régler les comptes des particuliers et des entreprises, notamment les demandes de crédits qui vont s'accumuler pour certaines. Une nécessité donc en ce moment.
Le Crédit mutuel, cinquième banque de France a son siège au Wacken, à Strasbourg, non loin du Parlement européen. La plupart des cadres, des métiers administratifs et informatiques sont basés à Strasbourg. Le télétravail est déjà envisagé pour certains salariés. Trop peu au vue de la situation et de la propagation du virus dans les deux départements alsaciens.
Ascenseur obligatoire et open space pour tous
"Mon mari accède à son service par l'ascenseur, il ne peut pas faire autrement, et rien n'est prévu pour éviter la contamination : il y a juste du gel à un endroit, explique Laura*, femme d'un salarié travaillant au Wacken pour les Assurances du Crédit mutuel (ACM). Il a demandé à faire du télétravail, mais cela est réservé aux managers ou aux salariés qui ont des enfants à garder, ce n'est pas normal !" Tous deux sont en colère et ne comprennent pas ce choix entre ceux qui peuvent rester en sécurité et les autres. Le télétravail est possible pour tous dans ce service, et c'est devenu une obligation sanitaire.
Le télétravail est réservé aux managers et aux salariés qui ont des enfants à garder, ce n'est pas normal.
- Laura*, femme d'un salarié du Crédit mutuel
Des critères ont été mis en place pour décider quels salariés peuvent travailler de chez eux : prioritairement ceux qui viennent en transport en commun ou qui n'ont pas de mode de garde pour leurs enfants, selon la direction. Un choix qui passe mal pour beaucoup. La ministre du Travail, Muriel Pénicaud l'a annoncé mardi 17 mars sur France 2, "si vous êtes salarié et que votre travail peut être fait en télétravail, il faut rester chez vous. C'est un droit automatique". C'est donc un droit et une obligation pour la ministre.
Dans une note interne (voir ci-dessous) que nous nous sommes procurés, le directeur général du Crédit mutuel, Pierre Reichert a expliqué que le départ en télétravail de certains allait permettre de laisser de la place entre les bureaux de ceux qui restent dans l'open space.
Salariés en pleurs, incompréhension
"Dans son open space, ils sont 30, raconte Laura, la cantine est fermée, pour éviter les contacts. Alors hier, exceptionnellement, il a eu le droit d'apporter un sandwich et de le manger devant son ordinateur !" Une mesure de protection sanitaire dérisoire pour elle et son mari. Surtout que plusieurs collègues ont été testés positifs au coronavirus dans le même bâtiment.
Valérie Missillier, déléguée centrale CGT, reçoit énormément d'appels depuis quelques jours, de "salariés en pleurs, qui ne savent pas s'il vaut mieux rester chez eux et risquer de perdre leur emploi ou venir et risquer de tomber malades", un choix qui ne devrait pas se faire en ces termes pour la syndicaliste. "Le problème au Crédit mutuel, c'est que c'est le manager qui décide : dans certains services, tous sont en télétravail. Dans d'autres, ils restent dans le même open space". Elle constate que, sur certains sites, pour un cas avéré de coronavirus, tous les collègues du même service sont chez eux, en télétravail ou arrêtés. Sur d'autres sites, ce n'est pas le cas.
Des salariés en pleurs, qui ne savent pas s'il vaut mieux rester chez eux et risquer de perdre leur emploi ou venir et risquer de tomber malades
- Valérie Missillier, déléguée centrale CGT, Crédit mutuel
"Aujourd'hui, la situation est dramatique en Alsace, mais on ne ferme pas les agences, parce qu'on estime que c'est un service public", explique Valérie Missillier. Elle souhaiterait que cette obligation de service soit mise en place d'une autre façon.
Problèmes de bande passante
Mais la direction du Crédit mutuel botte en touche : elle assure, par la voix de son porte-parole, que "le chantier informatique est énorme, des informaticiens travaillent depuis plusieurs jours 24 heures sur 24 pour règler le problème de la bande passante". Il explique que tout le monde ne pouvait pas être en télétravail dès le premier jour, pour éviter l'engorgement du système informatique. "Mais maintenant c'est de mieux en mieux, et demain [mercredi 18 mars, ndlr] 25.000 salariés sur les 50.000 salariés du Crédit Mutuel partout en France seront en télétravail"."C'est justement le problème", assène Bruno*, informaticien de la filiale Euro Information du Crédit mutuel. Pour lui, l'entreprise n'a pas du tout anticipé la situation et n'a pas envisagé assez tôt le problème que poserait le télétravail. "C'est délirant : nous n'avons eu aucune communication en interne", explique-t-il. Certains de ses collègues qui ont été les premiers à travailler de chez eux, ont parfois téléchargé de grosses pièces jointes ou envoyé de la vidéo, comme ils faisaient d'habitude au siège. "Il n'y a pas eu de consignes de restrictions, du coup il y a eu un engorgement !" explique Bruno.
Il n'y a pas eu de consignes de restrictions, du coup il y a eu un engorgement !
- Bruno*, salarié d'Euro Information, filiale du Crédit mutuel
Salariés externes dépourvus de portables
Bruno déplore aussi que les salariés externes n'aient pas de portables, et que leurs demandes de télétravail soient refusées à ce titre, "c'est un salarié sur deux, explique-t-il. Moi j'ai eu de la chance, j'ai des enfants et ma femme travaille dans le secteur de la santé, donc j'ai eu le droit de télétravailler, mais beaucoup de mes collègues ont vu leur demande refusée, ce n'est pas normal".Mauvaise communication interne
A 17 heures ce mardi 17 mars en écrivant cet article, nous avions plus d'informations de la part de certains salariés que nous avons joint au téléphone. Pour Bruno, "le Crédit mutuel, c'est une bonne boîte d'habitude, mais la gestion de cette crise est désastreuse, tous les travers remontent. Je suis en colère. Par exemple, quand j'ai fait ma demande de télétravail pour garde d'enfants, j'ai mis 45 minutes à trouver la personne et le papier à envoyer, nous n'avons eu aucune procédure là-dessus. Et parfois nous avions un mail en interne annonçant une réunion de crise le lendemain à 8 heures... et puis plus rien ! La réunion a sans doute eu lieu, mais alors nous n'avons jamais su ce qui s'y est dit".A Strasbourg, il va y avoir de plus en plus de télétravail.
- Un porte-parole de la direction du Crédit mutuel
Pour le porte-parole de la direction que nous avons joint au téléphone, "le problème c'est que certains salariés n'ont pas compris pourquoi certains pouvaient être déjà en télétravail et d'autres non, que c'était évolutif. La situation évolue d'heure en heure, et si tout le monde était à son domicile, sans pouvoir travailler à distance, cela rajouterait de la crise à la crise". Dans les agences, les salariés doivent rester présents, même si "des rendez-vous téléphoniques ou video se généralisent, ces salariés n'ont pas le droit d'avoir les données clients chez eux, donc ça ne changera pas pour eux. Par contre, au siège, à Strasbourg, il va y avoir de plus en plus de télétravail", explique le porte-parole de la direction. Là encore, les salariés du Crédit mutuel vont apprendre des choses en lisant notre article.
* Les prénoms ont été modifiés, à la demande des personnes interrogées.Le Crédit Mutuel précise :
Dans un mail daté du 18 mars 2020, le porte-parole du Crédit Mutuel nous écrit :
"Dès le soir de l’allocution présidentielle, nous avons mis 1/3 de l’effectif d’Euro-Information (notre filiale qui gère l’outil technique et financier) en télétravail. Depuis ce matin [18 mars 2020] ce sont près de 70% de l’effectif qui est en télétravail. Aux Assurances du Crédit Mutuel, il était plus de 40% en télétravail immédiatement après l’allocution présidentielle."