Elle travaille en psychiatrie dans un hôpital alsacien : cette infirmière qui préfère rester anonyme accueille des malades atteints de troubles psychiatriques et positifs au coronavirus covid19. Elle s'inquiète pour ses patients, qu'ils soit atteints du virus ou confinés chez eux.
"En psychiatrie, on est un peu le parent pauvre de la médecine." Cette phrase, l’infirmière qui m’a contactée la répète plusieurs fois au téléphone. Elle préfère rester anonyme, mais souhaite raconter son histoire et ses inquiétudes. Ses inquiétudes vis-à-vis des patients dans la petite unité covid19 où elle travaille, dans un hôpital psychiatrique alsacien. Ses appréhensions face à "l’après". Mais surtout, sa frustration de ne pas entendre les médias évoquer la psychiatrie, alors que se sont succédé les reportages dans les services d’urgences et les Ehpad, au début du confinement. "Avec les collègues, on s’est même demandé si on allait bien toucher la prime promise aux soignants", dit-elle.Des patients renvoyés seuls chez eux
Elle raconte : "Quand l’unité covid s’est mise en place à l’hôpital, il a fallu renvoyer de nombreux patients chez eux. Schizophrénie, troubles bipolaires, dépression, toutes pathologies confondues. Des patients stabilisés, mais qui restent tout seuls chez eux et ne comprennent pas toujours ce qui se passe. On les voit parfois se balader dans la rue. Et je doute qu’ils saisissent l’importance des gestes barrières..."Ses collègues appellent régulièrement ces personnes à domicile pour prendre des nouvelles. "Les familles ne sont pas toujours présentes. Il est difficile de s’occuper d’une personne atteinte de troubles psychiatriques, alors il ne faut pas leur en vouloir de jeter l’éponge." Son ton devient plus grave lorsqu’elle évoque ce patient hospitalisé en psy à de nombreuses reprises suite à des tentatives de suicide. Il a récidivé chez lui, souffrant sans doute du confinement. Il a été évacué aux urgences, mais trop tard. Le patient est décédé.
Pour ce qui est des conditions de travail, elle se dit un peu rassurée, au bout de quelques semaines. A présent, les infirmières disposent de deux masques par poste et de lunettes de protection. Mais les masques FFP2 sont toujours périmés. Et il n’y a plus de surblouses intissées. "Maintenant, nous portons les surblouses en tissu de nos anciens", sourit-elle.
L'infirmière a rédigé une lettre ouverte pour alerter sur la situation : "Ces patients, s'ils devaient présenter des signes de détresse, seront-ils admis en réanimation?" s'interroge-t-elle.
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"Une bombe à retardement"
Ce qui la préoccupe vraiment, ce sont les patients. Parmi eux, des personnes âgées, démentes, avec des troubles psychologiques. Les lits manquent, leur gestion est un casse-tête quotidien en temps normal, surtout le week-end. Encore plus en période de crise. De nombreux lits ont été fermés, ainsi que des structures extra-hospitalières type accueil de jour. Difficile, dans ces conditions, de préparer la sortie du confinement."Je pense que cela va être une bombe à retardement." D’après elle, le confinement engendre davantage de décompensations ou de dépressions qu’en temps normal. "Et cela peut arriver à n’importe qui, à des personnes comme vous et moi." Quant aux patients habituels, ils pourraient se retrouver dans un état bien plus dégradé, sans professionnels en face d’eux pour repérer les premiers signes de crise. "Il ne faut pas oublier la psychiatrie. Travailler dans cette spécialité a toujours été un vrai choix pour moi, alors je souhaite pousser un cri d’alarme."