Des témoins et des documents recherchés pour le centenaire de l'usine Lalique à Wingen-sur-Moder

En 2022, cela fera exactement un siècle que René Lalique a créé sa verrerie à Wingen-sur-Moder (Bas-Rhin). L'association des Amis du musée Lalique cherche à rassembler un maximum de témoignages et de documents qui permettront de raconter l'histoire de ce siècle de manufacture verrière en Alsace.

Peu après la Première guerre mondiale, René Lalique, un bijoutier d'origine champenoise, veut fabriquer des flacons de parfum en verre. Il pense d'abord implanter son usine en Moselle, à Meisenthal ou Saint-Louis-lès-Bitche, où des verreries existent déjà. Mais il est perçu comme un concurrent. Finalement, il jette son dévolu sur Wingen-sur-Moder. Là, il est bien accueilli, car la commune alsacienne n'a plus de verrerie depuis la fin du 19e siècle, mais le savoir-faire s'y est perpétué.

L'usine Lalique de Wingen-sur-Moder, un siècle de prestige

En 1922, René Lalique a déjà 62 ans. Mais son usine ("d'Fàwrik", comme disent alors les habitants de Wingen-sur-Moder) prend rapidement de l'essor. D'autant plus qu'il bénéficie d'un appui financier de l'Etat, prêt à soutenir des projets français d'excellence dans les "provinces restituées".

A la mort de René en 1945, son fils Marc remplace le verre par du cristal, et sa petite-fille Marie-Claude prend le relai dès 1977. Le nom de Lalique est associé à la décoration de paquebots français et d'hôtels de luxe. Par la suite, l'entreprise est rachetée par l'un des actionnaires. Puis, en 2008, par le groupe suisse Art et Fragrance, qui continue de faire rayonner la marque dans le monde.  

Les Amis du musée Lalique collectent des témoignages

Le musée Lalique a ouvert ses portes en 2011, à deux kilomètres de l'actuelle cristallerie. Il expose les créations emblématiques de l'entreprise, et raconte son histoire. Mais aujourd'hui, dans la perspective de ce centenaire, l'association des Amis du musée Lalique souhaite faire un pas de plus. "Un siècle, c'est quatre générations" explique Gérard Fischbach, son président. "On a toujours des regrets, de n'avoir pas interrogé tel ou tel, qui n'est plus là pour raconter. C'est pourquoi nous nous sommes dit que ce centenaire était une occasion unique de solliciter toutes les personnes qui savent encore quelque chose, ou qui possèdent encore des documents."

Pour l'association, la moindre photo, la moindre anecdote familiale, des témoignages récents comme anciens, sont intéressants. "On a toujours des dates et une histoire officielle" ajoute Gérard Fischbach. "Mais on oublie les individus, tous les simples ouvriers verriers, qui d'habitude ne disent rien. Nous voulons leur rendre la parole. Car s'il n'y avait pas eu cette industrie, notre village serait resté tout petit."

Certains membres de l'association ont travaillé chez Lalique

Plusieurs membres de l'association sont personnellement concernés. Certains, jeunes retraités, ont fait toute leur carrière à la cristallerie. Ainsi Laurent Grussi, qui a commencé chez Lalique comme apprenti, et terminé comme responsable du contrôle qualité. "Mon travail était de contrôler toutes les pièces" précise-t-il. Un travail qui n'a pas changé depuis son départ à la retraite. "Il faut vérifier si tous les détails sont là, si la pièce est entière, n'est pas déformée et ne contient pas de bulle d'air (…) Pour faire cela, il n'y a pas de machine. Ça reste un travail manuel."

Jeannot Gaeng, en revanche, ancien responsable de la moulerie, a vu son métier énormément évoluer après sa retraite, prise en 2009. "J'étais responsable des moules, de la conception à la réalisation", raconte-t-il. "Je dessinais tout à la main, en prévoyant la manière dont la pièce serait retravaillée dans les ateliers de gravure et de taille. Au niveau des charnières, les éléments devaient s'ajuster au millimètre près, pour qu'à l'ouverture du moule, rien ne se brise."

Mais depuis son départ, la conception numérique a remplacé la planche à dessin. Et aujourd'hui, des machines permettent de fabriquer les moules directement sur place, alors que de son temps, les modèles étaient envoyés dans une fonderie en Normandie. 

D'autres membres sont des descendants de verriers

D'autres membres de l'association sont enfants ou petits-enfants de verriers. Eux ont ressorti leurs documents familiaux, et ravivé leurs souvenirs. Marc Dorschner, raconte que "chaque année à Noël, le 24 décembre de 16h à 18h" son père l'emmenait à l'usine : "On longeait les fours brûlants, après le froid du dehors, et on allait chez les gaziers ("Schierrer") en tee-shirt, leur apporter les bredele que ma mère avait préparés."

Marie-Reine Geyer, elle, a exhumé deux photos de la grand-mère de son mari, également salariée de la verrerie. Sur l'une, celle-ci pose devant l'usine, en sabot comme toutes ses collègues femmes, "alors que les hommes portent déjà des bottes de cuir." Sur l'autre photo, toujours en sabots, "elle sort ses deux vaches après le travail." Car bon nombre de ces verriers étaient des ouvriers-paysans ("Arweiter-Büüre").

Isabelle Burgun a retrouvé "une revue hebdomadaire, l'Alsace française, du 18 août 1923, qui parle de l'installation de la verrerie Lalique à Wingen." Elle a aussi remis la main sur une photo de groupe de 1924, "prise au verre chaud", où sa tante "a fidèlement noté au dos les noms de tous les ouvriers présents."

De son côté, Gérard Fischbach a conservé un globe en verre, fabriqué au noir par un verrier, voisin de ses parents. "A l'âge de 10 ans, j'ai gagné un poisson rouge" se souvient-il. "Alors mon père m'a dit : va demander à Henri (…). Et deux jours plus tard, Henri est revenu avec cet aquarium. Ce n'était pas une production officielle de Lalique, mais à une époque, les verriers étaient autorisés à faire quelques à-côté. On appelait cela 'mootze'."

Chaque témoignage a de la valeur

Pour l'instant, l'association n'a pas encore eu beaucoup de retours suite à son appel à témoins lancé dans la presse quotidienne. "Les gens sont pudiques" résume Isabelle Burgun. L'une des premières à s'être manifestée est Thérèse Lanno, dont le beau-père était verrier. Elle a conservé plusieurs courriers le concernant, des photos, ainsi que le livre qu'il a reçu avec sa médaille d'or du travail, dédicacé par Marie-Claude Lalique en personne.

"Immédiatement, je me suis dit : si on a quelques documents, il faut les donner à l'association" explique-t-elle, enthousiaste. "Les laisser dormir au fond de l'armoire n'a pas de sens. Il faut les partager avec les autres."

Les membres de l'association peuvent se déplacer à domicile, pour prendre note de toutes les histoires qu'on leur confie. Et il restituent rapidement les documents remis, après les avoir scannés. Ils espèrent que le fruit de leur collecte leur permettra de publier un hors-série de leur revue et, si possible, de monter une exposition sur les 100 ans de l'usine Lalique.

 

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