L'ancien maire de Kaysersberg, un restaurateur et un sans-papier, comparaissaient vendredi 15 mars 2024 devant le tribunal de Colmar. Les deux premiers pour avoir aidé le troisième, suspecté d'avoir contracté un mariage blanc. Seul Henri Stoll a été reconnu coupable, mais il bénéficie d'une dispense de peine.
Ils étaient trois à être convoqués conjointement au tribunal correctionnel de Colmar, ce vendredi 15 mars 2024 à 8h du matin : Henri Stoll, maire écologiste (EE-LV) de Kaysersberg (Haut-Rhin) entre 1995 et 2016, Jean-Joseph Ancel, gérant du restaurant Au Lion d'Or, et Armand Ndountsop Ngouana, un jeune homme d'origine camerounaise qui vit dans la commune depuis 2015.
L'ancien édile était accusé d'avoir "prêté un appartement meublé (…) prêté un véhicule, donné de l'argent (…) et facilité ou tenté de faciliter le séjour irrégulier en France d'Armand Ndountsop Ngouana". Le restaurateur comparaissait pour avoir employé "un travailleur étranger sans s'être assuré de l'existence d'une autorisation de travail", et le jeune Camerounais était soupçonné d'avoir "contracté mariage aux seules fins d’obtenir un titre de séjour ou d’acquérir la nationalité française."
Le verdict est tombé en fin de matinée : la relaxe pour Armand Ndountsop Ngouana, et la prescription pour les faits reprochés à Jean-Joseph Ancel. Seul Henri Stoll a été reconnu coupable d'avoir mis un logement à la disposition du sans-papiers, notamment dans le but d'entraver l'action de la police et l'interpellation de l'intéressé. Mais il bénéficie d'une dispense de peine, et de la non-inscription au casier judiciaire.
"Le fait de mettre un appartement à la disposition d'un étranger en situation irrégulière, à titre humanitaire, désintéressé, (…) ne peut pas être considéré comme une infraction" explique maître Clément Pialat, l'avocat des trois prévenus. Mais dans ce cas précis, Henri Stoll a déclaré aux policiers et à l'audience que l'une de ses motivations avait été de cacher Armand Ndountsop Ngouana. "La seule raison pour laquelle il a été condamné, c'est qu'il a dit qu'un de ses motifs était de le faire échapper à la police" précise l'avocat. "Le juge a donc reconnu que l'infraction était matérialisée, mais a choisi de ne pas lui donner de peine."
À la sortie du tribunal, Henri Stoll a exprimé son soulagement au micro de France 3 Alsace : "On est soulagés d’avoir enfin pu nous exprimer et enfin mettre fin à ce dossier complètement délirant, dont on ne connaissait même pas les tenants et les aboutissants, s'est-il exclamé. Il était tout à fait évident qu'Armand allait être relaxé, et qu'il allait être régularisé. Ou sinon, je ne comprendrais plus rien à la justice."
Une histoire kafkaïenne
L'histoire d'Armand Ndountsop Ngouana à Kaysersberg commence voici neuf ans. Arrivé dans la commune en 2015, il s'y intègre rapidement, en devenant notamment capitaine de l'équipe de foot locale. De 2017 à 2022, Jean-Joseph Ancel l'embauche comme plongeur dans son établissement, et constitue pour lui un dossier de demande de régularisation par le travail, resté sans réponse.
En 2019, la circulaire Valls permet au jeune Camerounais de déposer une nouvelle demande de régularisation, basée sur le fait qu'il vit en France depuis cinq ans, et travaille à Kaysersberg depuis deux ans. Refus de la préfecture, qui lui envoie une OQTF (obligation de quitter le territoire français). Deux ans plus tard, la PAF (Police aux frontières) l'interpelle chez lui, et l'emmène au CRA (centre de rétention administrative) de Geispolsheim (Bas-Rhin).
C'est alors que la compagne d'Armand, Carla, appelle Henri Stoll à l'aide. Celui-ci embauche un avocat, qui réussit à faire sortir Armand du CRA. Mais depuis, chaque année, l'OQTF d'Armand est renouvelée. Il vit la peur au ventre d'être à nouveau arrêté.
Nouvelle interpellation en 2022. Le jeune homme, qui a épousé Carla en octobre 2021, découvre que sa belle-mère a déposé plainte contre lui pour "abus de faiblesse", estimant qu'il s'est seulement marié pour obtenir des papiers.
Une situation qui a donc abouti à une conclusion heureuse, ce vendredi 15 mars 2024, devant le tribunal. Cette décision de relaxe n'a pas étonné Maître Clément Pialat. Ce qui l'a étonné, en revanche, c'est "l'instruction complètement à charge de la PAF", avec cette "enquête sur 400 pages, où la police a souhaité faire croire que c'était un faux couple." Alors qu'Armand et Carla vivaient ensemble déjà bien avant leur mariage, s'échangeaient des mots d'amour par textos, et sont parents d'une petite fille depuis novembre dernier.
Dorénavant, leur horizon s'éclaire enfin. "Armand Ndountsop Ngouana a demandé sa régularisation, et normalement, vu la décision du tribunal, je pense que ça devrait suivre son cours" espère Agnès Girardin, membre du collectif Comprendre les Migrations Centre Alsace, venue devant le tribunal ce matin pour soutenir les prévenus. Une régularisation que la préfecture est censée accorder de plein droit, estime de son côté maître Clément Pialat. Puisque le jeune Camerounais est désormais parent d'un enfant français, et peut largement prouver qu'il participe à ses frais d'entretien.
"Pour mon cas personnel, je m'en fiche, lance encore Henri Stoll. Mais je veux que ce couple puisse vivre normalement, retrouver un travail, élever leur enfant, s’intégrer dans la société. Et vivre comme moi. Ils sont tout simplement des êtres humains, juste avec une autre couleur de peau que moi. Mais à part ça, ils ont les mêmes droits. Il n’y a pas d’étrangers sur terre."