Il faut du temps, de la patience et une sacré dose de passion : à Habsheim, trois amis ont reconstruit un planeur, à partir de deux autres planeurs abîmés. Quatre ans et 3.500 heures de travail plus tard, Némo a pris son envol.
C’est une aventure. Une aventure humaine et technique. A Habsheim (Haut-Rhin), trois amis se sont lancés un défi : celui de reconstruire un planeur en bois et toile à partir de deux appareils abîmés. "Némo", c’est son petit nom, a effectué son premier vol à la mi-avril 2021, après plus de 3.500 heures d’un travail aussi acharné que passionnant.
Une histoire de "fous furieux"
Dans cette bande de fous, je demande Joseph Rieth. Passionné de planeur, il s’est amusé à en construire un en bois et toile. 15 ans de travail et une furieuse envie de recommencer.
Il entraîne alors Jean-Marie Kistler, ancien mécanicien dans le sport automobile, arrivé sur le tard dans l’aéronautique. Voler en planeur, autrement dit sans moteur, a été pour lui une révélation. Il est aujourd’hui responsable technique Planeurs-Mulhouse à l’aéroclub de Rixheim.
"Je ne me sentais pas de consacrer 10 ou 15 ans de ma vie à construire un planeur comme Joseph", explique-t-il, "mais j’avais repéré une annonce dans une revue spécialisée qui proposait à la vente deux planeurs abîmés".
Le N° 07 immatriculé F-CCXX, sorti d’usine en 1966, avait volé entre 1967 et 1986 à Colmar. Le fuselage était cassé au niveau des cadres 7 et 8. Les ailes et la profondeur étaient intactes à première vue. Quant au N° 17 immatriculé OO-ZTA, il était sorti d’usine en 1967 sous l’immatriculation F-CDDI. Il avait volé en Hollande jusqu’en 1997. L’aile gauche était cassée, le reste tenait la route. Enfin, façon de parler.
C’est décidé : les deux hommes se lancent dans la reconstruction d’un planeur bois et toile à partir de ces deux engins. Les appareils sont rapatriés sur Habsheim en 2015. Michel Henn, chef d’entreprise à Burnhaupt-le-Haut, spécialisé dans les constructions métalliques et passionné d'aéromodélisme, sera le troisième larron de la bande.
Le projet M-200
Dans le jargon aéronautique, le M-200 fait partie des biplaces à l’ancienne. Dans ce planeur en bois et toile, pilote et passager sont côte à côte, en léger décalé. C’est ce qui en fait sa spécificité et sa convivialité. Conçu à l’origine par Alberto et Piero Morelli, le M-200 a été construit par le club de vol à voile de Turin en vertu d'un contrat avec l’aéro-club d'Italie dans les années 1960.
Avoir une compétence "bois et toile" n’est pas donné tout le monde. Joseph va en faire profiter ses deux compères. "C’est une vraie aventure humaine. On est très complémentaires", raconte Jean-Marie Kistler, subjugué par l’incroyable ingéniosité de la construction. La restauration envisagée consiste à monter les ailes du 07 sur le fuselage du 17, ce qui ne se fera pas sans mal.
Le fuselage du planeur est constitué de quatre baguettes sur lequel on enroule du contreplaqué. Tout est collé, plaqué et cintré : "Il n’y a aucun clou, aucune vis. Le bois utilisé est un contre-plaqué spécial utilisé en aéronautique. Il s’agit de hêtre ou de bouleau sans aucun nœud. Il faut pouvoir être sûr qu’il n’y ait aucun pont de rupture".
Place ensuite à la délicate opération de l’entoilage, suivi de la peinture : "Contrairement à un revêtement plastique sur lequel la chaleur peut déformer les coloris, là, sur la toile, on est libre". Après une petite négociation sur les goûts et les couleurs, ce sont les stries noires, oranges et blanches qui l’emportent. Un peu de fantaisie ne nuit pas. Et le nom de baptême s’impose : "Némo", comme le héros du dessin d’animation signé Pixar en 2003 : "Le Monde de Némo".
Au total, quatre ans de travail, 3.500 heures pour un joli bébé de 18 mètres d’envergure, 8,50 mètres de long, 362 kilos. Leur projet un peu fou a été suivi de près par la commune de Habsheim qui a pris en charge un tiers des 15.000 euros de matériel.
Le certificat de navigabilité est délivré à la mi-mars. Un mois plus tard, le 14 avril 2021, Jean Denis Viriot, instructeur fédéral de Belfort, est aux côtés de Jean-Marie Kistler pour le premier vol inaugural. Ce dernier se souvient : "Une fois le décollage passé, j’étais serein, relax. C’était parti pour une demi-heure de vol au-dessus de Mulhouse !". RAS, rien à signaler. En clair : tout s'est très bien passé.
Le planeur : une école de vie et de pilotage
Esprit d’équipe, convivialité et humilité : voilà les trois valeurs développées par la pratique du planeur. "Sans aide, on ne fait rien", précise Jean-Marie Kistler. "On a besoin d’aide pour sortir du hangar, pour se faire tirer et au retour, c’est pareil, les copains sont là pour rentrer le planeur". Et ça, c’est quand tout se passe bien.
Quand il arrive que le pilote « fasse une vache », comprenez qu’il se pose dans les pâturages, il faut aller « le dévacher ». Là aussi, on peut compter sur les copains, en veille téléphonique, prêts à partir, quitte à laisser en plan une tablée familiale.
Rien de tel que le planeur pour apprendre à piloter à petit prix. C’est même une excellente école de pilotage. Jean-Marie Kistler se souvient d’un ancien élève de club, devenu pilote de chasse puis pilote sur Airbus après avoir fait ses armes en planeur. Il disait toujours "qu’un avion de chasse et un planeur, ça se pilote. Le reste, c’est du taxi !".
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, planer, c’est avant tout réfléchir. Jean-Marie Kistler y voit des similitudes avec le jeu d’échec : "Tous les joueurs ont le même plateau et pourtant, il y en aura forcément un qui sera meilleur que les autres. Pour nous, c’est pareil : le ciel est le même pour tout le monde et pourtant, il y en aura un qui arrivera à faire 400 kilomètres en planeur, alors que les autres ne dépasseront pas les 200 kilomètres".
"C’est un sport cérébral. On réfléchit constamment au parcours, aux ascendants, aux instruments. Il faut sans cesse anticiper. Le pilote a franchement d’autre chose à faire que d’admirer le paysage !". Et pourtant, ça vaut le coup d’oeil.
Le M-200 a été construit en 59 exemplaires de 1964 à 1972 par la société CARMAM (Coopérative d’Approvisionnement et de Réparation de Matériel Aéronautique de Moulins) en France. Aujourd’hui, selon Jean-Marie Kistler, il n’en reste que quatre, dont Némo.