Pour lutter contre les commerces vacants dans son centre-ville, la ville de Huningue (Haut-Rhin) vient de voter une taxe sur les commerces vacants. Elle s'ajoute ainsi aux nombreuses communes qui ont eu recours à cet outil depuis quelques années. Mais est-ce une bonne idée ?
Ça ne grouille plus autour des tables, aux cafés du 4 et du 23 de la rue Abbatucci. Pas plus que les chopes de bière ne se remplissent au bar Le Shakespeare, quai du Maroc. Ou que les assiettes ne s'engloutissent au restaurant Le Meisan, fermé depuis 10 ans maintenant, avenue de Bâle. Ces commerces vacants de la ville de Huningue, dans le Haut-Rhin, ne sont plus que volets fermés et pièces vides. D'où la décision unanime du conseil municipal, jeudi 21 septembre, en faveur de l'instauration d'une taxe sur les friches commerciales.
Le principe est simple : les propriétaires de ces locaux devront désormais payer un montant chaque année, soit 20% de la valeur locative (loyer annuel théorique que pourrait produire le lieu s'il était loué dans des conditions normales) la première année, 30% la seconde et 40% à partir de la troisième année d'imposition. L'objectif est de lutter contre la rétention foncière délibérée en alourdissant la facture, et ainsi "accélérer la remise sur le marché" de ces locaux vacants, selon un rapport de l'Association des maires de France.
Huningue est loin d'être la seule commune à employer la manière forte vis-à-vis des propriétaires réticents à louer leurs commerces. En Alsace, Saint-Louis, Niederbronn-les-Bains, Erstein ou encore Colmar l'ont fait ces dernières années. Et en France, la pratique se démocratise : 1 200 villes l'avaient mis en place en 2018 et des dizaines d'autres ont sauté le pas depuis. Pour autant, les commerces vacants n'ont pas disparu des radars, loin de là. Est-ce bien efficace ?
La taxe peut marcher seulement si...
Les universitaires que nous avons interrogés n'ont pas de réponse définitive, tout simplement parce qu'aucune étude scientifique complète et rigoureuse n'a été menée pour l'instant sur les effets de cette taxe. "On aimerait bien avoir des données complètes dessus mais pour l'instant, ce n'est pas le cas", regrette Anne Epaulard, professeure d'économie à Paris Dauphine et co-autrice d'un article sur le déclin des petits commerces.
Ce qui n'empêche pas les spécialistes de constater que l'outil ne peut fonctionner "tout seul". "La taxe peut marcher à condition que la collectivité prenne d'autres mesures en parallèle pour l'attractivité des investisseurs et des éventuels locataires, ajoute Anne Epaulard. Taxer les propriétaires ne servira à rien s'ils n'arrivent pas à trouver de locataires intéressés. Le loyer doit être abordable et la zone suffisamment intéressante pour se lancer."
Les maires disposent d'une série d'outils complémentaires à mettre en place en plus de la taxe. "Certains engagent un manageur du commerce, donc une personne exclusivement dédiée à l'animation et à la diversification commerciale, explique Philippe Schmit, auteur d'une étude sur la réutilisation des friches commerciales. D'autres proposent des subventions à la rénovation, car les locaux peuvent être très vétustes et le coût des travaux peut être dissuasif. Il y aussi tout un accompagnement à prévoir pour le volet administratif...En bref, c'est le principe de la carotte et du bâton. Le bâton c'est la taxe, la carotte tous les dispositifs d'aide pour les éventuels locataires."
Il arrive aussi que la vacance des commerces soit le fait de propriétaires dont l'objectif ne correspond pas du tout à l'intérêt de la ville. "On a constaté qu'il y avait parfois des entreprises derrière ces locaux vacants, révèle Philippe Schmit. Leur but est spéculatif : ils attendent que la valeur du bien augmente pour pouvoir le revendre. La taxe n'a aucun impact sur ces entités, qui sont prêtes à payer une taxe qui n'est pas si élevée que ça."
À Colmar, le bilan est plutôt négatif
Mais tout cela reste théorique. Dans la pratique, le maire de Colmar dispose d'un recul intéressant pour dresser un premier bilan de l'efficacité de cette taxe, instaurée depuis 2018. "On pensait que ça aurait un effet mais ce n'est pas le cas, tranche Eric Straumann. Le problème, c'est que les propriétaires ont trouvé la parade. Ils installent une pancarte "à louer" devant leur bien, la prennent en photo, et l'envoient à l'administration fiscale. Il y a une exonération possible quand l'absence d'exploitation du bien n'est pas du fait du propriétaire. En gros, ils prétendent qu'ils cherchent un locataire mais qu'ils n'en trouvent pas."
Ainsi, le taux de vacance de la ville de Colmar, qui est de 7%, n'a "pas diminué" selon le maire depuis 2018. Selon Eric Straumann, la taxe n'a même pas permis d'identifier les propriétaires réticents puisqu'ils étaient "déjà connus". "On a deux types de propriétaires sur ces biens : les personnes âgées qui ne veulent pas s'embarrasser à gérer un locataire, et les sociétés financières qui font de la spéculation. Dans les deux cas, la taxe n'a rien changé." Pourquoi, alors, la garder ? "Ça représente quand même une petite source de revenus pour la collectivité même si c'est très marginal", assure le maire.
Il faut cependant préciser que Colmar est une ville de 70 000 habitants, où le prix de l'immobilier peut être très dissuasif. "Les prix sont 30% plus chers qu'ailleurs en moyenne", confirme Eric Straumann qui, en bon maire, rappelle que la vacance commerciale y est "moindre qu'ailleurs" et que sa ville est "très attractive". La prudence est donc de mise vis-à-vis de l'effet de la taxe dans une telle agglomération, surtout pour les communes plus petites où le prix au m2 pourrait être plus incitatif pour les éventuels locataires.