Il y a 150 ans : la guerre franco-prussienne de 1870

Il y a 150 ans, la France entrait en guerre contre la Prusse. La première grande bataille s'est déroulée en Alsace du Nord, près de Woerth. Pour cause de covid19, les grandes commémorations sont reportées à 2021, mais un musée et une route mémorielle en donnent un excellent avant-goût.
 

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Le 19 juillet 1870, la France déclare la guerre à la Prusse, qui est soutenue par une coalition de 24 Etats allemands (les membres de la confédération de l'Allemagne du Nord, la Bavière, le Wurtemberg et le grand-duché de Bade). Mais l'armée de Napoléon III, mal préparée, essuie défaites sur défaites. En six mois, 150.000 victimes sont à déplorer. Le conflit s'achève par la signature du traité de Francfort, le 10 mai 1871, qui rattache l'Alsace-Moselle à l'empire allemand nouvellement créé.  Les Allemands occupent tout le Nord de la France. Ils ne reculent qu'au fur et à mesure du paiement, par la France, d'un trésor de guerre de 5 milliards de francs or. Et le roi de Prusse est proclamé empereur dans la galerie des glaces, à Versailles.

Durant cette guerre, la première grande bataille du 6 août 1870, l'une des plus emblématiques, se solde par une défaite cuisante des troupes françaises. Elle annonce déjà l'issue du conflit, à peine trois semaines après son début. Connue en France sous le nom de "bataille de Reichshoffen", elle se déroule en réalité une demi-douzaine de kilomètres plus à l'Est, vers Froeschwiller et Woerth.

Pour commémorer les 150 ans de l'événement, de nombreuses manifestations d'envergure étaient prévues au cours de cet été 2020. A cause de la crise sanitaire,  la majeure partie d'entre elles est reportée à l'année prochaine. Mais le musée de la bataille du 6 août 1870 à Woerth, ainsi qu'une route mémorielle jalonnée de plus de 70 monuments, permettent d'ores et déjà de se plonger dans cet épisode très particulier de notre histoire nationale et régionale.   

Le musée de la bataille du 6 août 189 à Woerth

Le musée de la bataille du 6 août 1870 à Woerth, très pédagogique, a pu rouvrir dès le 3 juin dernier. Il présente l'ensemble du conflit de manière chronologique, et détaille le déroulement de la bataille du 6 août. Tous les objets exposés (armes à feu, armes blanches, uniformes, casques, outils) sont d'origine. Parmi les pièces maîtresses : un diorama constitué d'un millier de figurines en étain, des tableaux, et surtout une tête monumentale de Frédéric III (fils du roi de Prusse et futur empereur allemand Guillaume Ier), qui dirigeait les troupes de la coalition allemande durant la bataille. Cette tête est ce qui reste de la gigantesque statue érigée sur le site, puis détruite par les Français en 1919. 

Cette première grande bataille du 6 août "a démontré que l'armée de Napoléon III n'était pas imbattable" explique Bernard Weber, président des amis du musée. "C'était déjà le début de la fin. Après, toutes les autres batailles, à Metz, Sedan, Paris, Orléans, Dijon, ont également été des défaites pour les troupes françaises."

Cette bataille, c'était déjà le début de la fin.

Bernard Weber, président des amis du musée de Woerth

Pourtant, au départ, les troupes françaises sont sûres d'elles, certaines de pouvoir rapidement savourer leur victoire à Berlin. Mais mal préparées, et sans cartes d'état-major. Avant la bataille de Woerth, prévue à l'origine vers le 7 ou le 8 août, le maréchal Mac Mahon, à la tête de 43.000 hommes, attend des renforts. Mais ceux-ci n'arrivent jamais, car ils se perdent du côté de Bitche. Et en face, il y a les 82.000 hommes de la coalition allemande, sous le commandement du Kronprinz Frédéric III. Le matin du 6 août, avant la date prévue, la bataille se déclenche au débotté. "A 7h du matin, les soldats vont puiser de l'eau dans la rivière Sauer, et commencent à se tirer dessus, raconte Bernard Weber. Chaque camp pense que le combat officiel a commencé (…) A 10h, le Kronprinz décide de poursuivre, il envoie tous ses soldats, et vers midi, la situation devient critique pour les Français."

La bataille se déroule sur un site vallonné de 6 kilomètres sur 4, incluant une bonne demi-douzaine de villages (jusqu'à Morsbronn et Durrenbach). Le terrain est accidenté, couvert de vergers, de vignes et de houblonnières. L'avance des chevaux des cuirassiers français (immortalisés par la chanson "C'était un soir, la bataille de Reichshoffen, il fallait voir les cavaliers charger") est gênée par la configuration des lieux, et les Allemands, cachés dans les haies et sous les arbres, tirent sur eux à bout portant. A 17 heures, tout est terminé. Froeschwiller brûle, et le sol est jonché de plus de 20.000 morts et blessés graves. Mac Mahon bat en retraite jusqu'à la gare de Reichshoffen, d'où il annonce par télégramme sa défaite à Napoléon III.

Les civils réquisitionnés de force mettent 5 jours à enterrer les cadavres, principalement dans des fosses communes, où ils entassent pêle-mêle les morts des deux camps. Les très nombreux blessés sont répartis dans les villages alentour, mais il y a très peu de médecins.

Durant les 150 ans qui se sont écoulés, nous vivons seulement en paix depuis 75 ans.

Bernard Weber, président des amis du musée de Woerth

Au-delà du rappel historique et de l'hommage aux victimes, l'objectif du petit musée de Woerth n'est absolument pas une glorification de la guerre. En maintenant la mémoire de ce conflit vieux d'un siècle et demi, le premier but est de rappeler que toute paix reste fragile. "Durant les 150 années qui se sont écoulées depuis, cela fait seulement 75 ans que nous vivons en paix" rappelle Bernard Weber.

Un regard contemporain

Pour renforcer ce message, le musée propose durant cette années 2020 une exposition temporaire : les œuvres communes de deux artistes régionaux, la photographe Christine Riehl et le peintre Pierre Gangloff, des réalisations en technique mixte, mêlant photos, dessins, peintures sous verre et collages d'objets… Leur travail se veut un trait d'union entre passé et présent. Un regard contemporain sur cet événement historique, dont l'écho se répercute dans bon nombre de conflits actuels.

Pour la photographe Christine Riehl, chaque prairie de coquelicots évoque le champ de bataille. "En allemand, le coquelicot s'appelle 'fleur de feu' précise-t-elle. Il  apprécie les sols ingrats. Ses graines peuvent rester longtemps sous terre avant de resurgir. Comme un souvenir qui refait surface." Dans l'une de ses œuvres, un dessin à l'encre sur plaque de métal, le peintre Pierre Gangloff retrace le calme mortel du soir après la bataille. "Imaginez-vous un grand aigle ouvrant ses ailes, raconte-t-il. Tout devient noir (…) Et cela se passe encore autour de nous. C'est toujours actuel."

Depuis des années, ces deux artistes arpentent la zone où s'est déroulée la bataille du 6 août 1870. Le paysage a peu changé. Des graminées qui ondoient sous la brise, des collines plantées de vergers, un reste de vigne, des villages au loin. Un panorama typiquement alsacien, au charme paisible et bucolique. Mais la beauté des lieux laisse les deux artistes indifférents. Eux y perçoivent bien autre chose.

Ce sol a encore beaucoup de choses à nous dire.

Christine Riehl, photographe

 "La journée du combat était une journée laide, selon Pierre Gangloff, pour qui "cette atmosphère ressurgit et imprègne tout le reste. Elle imprègne mon travail. C'est toujours présent." - "On sent, et on le sait, que sur cette terre des gens sont morts ajoute Christine Riehl. C'est difficile à expliquer, mais c'est encore dans l'air. En se promenant dans cette nature, on arrive bien à s'imaginer ce qui s'est passé. Certains soldats sont toujours enterrés ici, il arrive encore qu'on retrouve des ossements. Ce sol a beaucoup de choses à nous dire."

Même si le promeneur lambda, moins averti ou moins sensible, ne perçoit pas une ambiance particulière, de très nombreux monuments mortuaires sont là pour lui rappeler que ce lieu n'est pas ordinaire. En effet, la petite route entre Woerth, Elsasshausen et Froeschwiller est jalonnée de plus de 70 monuments aux morts, mémoriaux de tous genres, tombes et indications de fosses communes. "En France, c'est la plus grande concentration de monuments nationaux" précise Roland Hoyndorf, membre de l'association des amis du musée de Woerth.

Après une telle bataille, les survivants doivent se reconstruire.

Roland Hoyndorf, membre des Amis du musée de Woerth

La majeure partie de ces mémoriaux provient de l'époque allemande, d'avant 1914. "Peu à peu, une vingtaine d'années après la bataille, les anciens combattants allemands sont revenus sur les lieux raconte Roland Hoyndorf. Car après une bataille, les survivants doivent se reconstruire." Cet hommage aux combattants a d'ailleurs fait la réputation de la petite ville de Woerth. Au tournant du siècle, elle comptait plus d'une douzaine d'hôtels restaurants, et des objets souvenirs (cartes postales, vaisselle) ont été produits en grand nombre.

Sur le champ de bataille proprement dit, les Länder ont tous voulu ériger des monuments à la gloire de leurs propres soldats. Belvédère de grès, montée de granit sous deux immenses chênes, statue d'un lion tourné vers Paris…. toutes les fantaisies étaient permises. Certains monuments ont aussi été modifiés au fil des aléas de l'histoire alsacienne. A l'emplacement d'un monument français érigé en 1956 se trouvait à l'origine une colonne de la victoire allemande. "Après la Première guerre mondiale, les Français l'ont enlevée et remplacée par l'effigie d'un cuirassier français. Ce dernier a été détruit quand les Allemands sont revenus en 1940. Et après la Seconde guerre mondiale, les Français ont installé le monument actuel" détaille Roland Hoyndorf.

A pied comme en voiture, tous ces monuments sont très accessibles. Et pour les personnes intéressées, les bénévoles du musée sont prêts à servir de guides – pour des groupes de 10 personnes au maximum, dans l'immédiat. Par ailleurs, il est possible que, malgré la crise, certaines commémorations puissent malgré tout avoir lieu dès cet été. Pour le savoir, il faut consulter le site de l'association Territoire 1870.

 

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