A Schirrhein, la pratique de l'alsacien est encore bien vivante. Pour que ça ne s'arrête pas, la jeune association Hàrzknübbe s'investit tous azymuts pour susciter des activités intergénérationnelles, et donner à chacun l'envie de le transmettre.
Hàrzknübbe. C'est l'un de ces mots si typiquement alsaciens qu'ils sont impossibles à traduire avec exactitude. Il signifie "aspérité, grosseur, ou boursouflure de résine", et désigne ces boules de sève ambrées qui se forment sur des troncs. Hàrzknübbe, c'est le nom de l'association schirrheinoise engagée à fond pour défendre le dialecte. Et c'est le surnom des habitants de cette commune, de tradition forestière et bûcheronne, à mi-chemin entre Haguenau et le Rhin. Une commune où l'alsacien est encore largement pratiqué, et l'association fait tout pour que ça continue.
"Cette volonté émane de la commune" précise Frédérique Studer, l'un des membres fondateurs de l'association. "Depuis 2017, on avait commencé à lancer diverses actions : des panneaux de rue bilingues, des sorties commentées en alsacien…" Mais aussi des ateliers "Rüewemänner" (bonshommes en betteraves – la version locale des citrouilles de halloween). Tout un champ de betteraves a d'ailleurs été ensemencé pour fournir suffisamment de matière première aux ateliers de l'automne prochain. Et depuis peu, la vitesse supérieure a été enclenchée, par la création de l'association Hàrzknübbe, qui regroupe divers volets d'actions, et fourmille de nouvelles idées.
Du géocaching… uff elsässisch, bien sûr
Le jeu du géocaching existe depuis une quinzaine d'années, et fonctionne dans plus de 180 pays. A l'aide de données GPS et d'indices qui s'affichent sur leurs portables, les joueurs, préalablement inscrits, doivent retrouver des "géocaches" mises en place par des "cacheurs" : généralement des boîtes étanches contenant un petit carnet des visites, et éventuellement de petits "trésors" à emporter en souvenir. Une manière ludique de visiter une ville, ou de découvrir un secteur donné.
Dans le secteur de Schirrhein, des "cacheurs" particuliers avaient déjà créé une douzaine de ces "géocaches". L'association Hàrzknübbe en a ajouté huit autres, dans des lieux emblématiques. Là, sur l'application du téléphone, les indices sont donnés en alsacien. Et en bonus, les joueurs y trouvent – toujours en alsacien - des petits textes informatifs agrémentés de photos anciennes, pour en apprendre davantage sur le passé de la commune.
Etre "cacheur", pour l'association, signifiait un gros travail préparatoire, mais aussi un travail de suivi et de maintenance, pour vérifier que les boîte et leur contenu sont toujours en place. Mais ses membres n'ont pas hésité, car c'est le genre d'activité en totale adéquation avec le but recherché. "Par le géocaching, on peut transmettre l'histoire de Schirrhein" explique Frédérique Studer. "Notre motivation, c'est de transmettre nos traditions et l'alsacien aux générations suivantes, pour qu'elles puissent continuer à le parler. Et typiquement, le géocaching est une activité familiale, car des plus petits aux aînés, tout le monde peut participer."
Ce matin-là, un petit groupe de Schirrheinois de trois générations, une demi-douzaine d'enfants, une maman et deux grands-mères, est en pleine recherche. "On fait une balade dans les prés et les bois, et il faut trouver des balises. Et puis, on va inscrire notre nom" explique Marius, 11 ans, dans un alsacien fluide. "On avait déjà joué à ce jeu" ajoute Pascale Langenbronn, la maman. "Mais ici, l'intérêt est que c'est en alsacien. C'est vraiment chouette, toute la famille peut participer. On aime être au grand air, mener une quête tous ensemble. Et pour le maintien de notre langue, c'est vraiment important."
En tant que "cacheur", tout le monde peut s'inscrire. Mais pour bien faire les choses, les Hàrzknübbe s'étaient adressés à l'association Alsace géocaching, forte d'une centaine de membres prêts à conseiller les "cacheurs" débutants. "On a immédiatement été séduits par l'idée d'introduire un peu d'alsacen dans ce jeu" explique René Ott, le secrétaire d'Alsace Géocaching. "Pour qu'il n'y ait pas seulement de l'anglais d'Amérique, la langue dominante, ou du français."
Des activités pour les seniors
Autre volet d'action des Hàrzknübbe : les activités pour les seniors, principalement des ateliers de bien-être et de remise en forme. Au départ, ils étaient proposés par la commune, avec le soutien des pouvoirs publics. Mais l'association a remarqué que souvent, ces ateliers étaient des moments intergénérationnels. "Les participants emmènent parfois leurs petits-enfants, qui ne parlent pas l'alsacien" explique Martine Halter, présidente des Hàrzknübbe. "Mais nous, les aînés, nous le parlons spontanément." Une belle occasion de transmission, donc. Histoire de favoriser, voire booster ce type d'échanges, l'association a donc pris les activités des seniors sous son aile.
Dans l'immédiat, crise sanitaire oblige, seul l'atelier de marche nordique a repris. Mais effectivement, en période de vacances, enfants et grands-parents y participent côte à côte. Et en marchant, les langues se délient tout autant que les muscles. Ce que confirme Charlotte Gentner, une participantes : "Oh oui, nos articulations et tout notre corps bougent. Et puis, bavarder, ça fait tellement de bien."
Des cadeaux pour les tout-petits
Mais pour bien parler l'alsacien, mieux vaut commencer le plus tôt possible… idéalement dès le berceau. Les Hàrzknübbe ont aussi aussi décidé de sensibiliser les jeunes parents, dont beaucoup, à Schirrhein, sont encore dialectophones. L'association leur concocte une jolie pochette de naissance: un petit sac de toile contenant les livrets fournis par l'OLCA, auxquels elle ajoute un biberon de la pharmacie locale, un cœur fabriqué dans la commune voisine de Soufflenheim avec l'inscription "Redd wie dir de Schnàwwel gewàchse isch" (parle comme le bec t'a poussé) et un joli bavoir en forme de cigogne, réalisé par une couturière de Nothalten.
Le nombre de pochettes déjà préparées devrait suffire pour fournir les bébés des trois prochaines années. L'association vient de commencer la distribution, et le tout premier bénéficiaire est un petit Ethan de quelques semaines. Dont les parents ont immédiatement compris le message, et promis de s'efforcer de lui apprendre l'alsacien.
Livre de cuisine et travail intercommunal
Par la suite, les Hàrzknübbe envisagent aussi d'organiser pour ces enfants des spectacles dialectaux ou de leur proposer des journées ou une semaine d'immersion en alsacien. "Si on ne tente rien, rien ne se passera", estime Frédérique Studer. "Des idées, on en a chaque jours des nouvelles." La prochaine est un appel à projet pour un livre de cuisine entièrement rédigé en alsacien, avec des recettes locales.
Avant le premier confinement, les Hàrzknübbe avaient aussi pris contact avec les communes alentour, afin d'imaginer d'autres initiatives, tous ensemble. Ils devaient se revoir ce printemps, pour une première mise en commun de leurs idées. Et même si ce bel élan a été freiné par la crise sanitaire, ce n'est que partie remise. "Les municipalités voisines sont très ouvertes pour une collaboration autour du maintien de l'alsacien et de notre culture" assure Frédérique Studer. "Ce qu'on fera exactement, on ne le sait pas encore, mais la volonté est là."
En attendant, l'association des Hàrzknübbe a été repérée par l'OLCA pour son dynamisme et son engagement, et fera partie des prochains bénéficiaires d'un "Schwälmele" (hirondelle), le prix qui distingue ceux qui s'investissent pour la préservation de notre langue régionale. Et qui opposent, à la pratique trop lisse et artificielle du tout français, les aspérités - les "Knübbe" - linguistiquement tellement plus riches des parlers dialectaux de l'Alsace.