Salariés du CAARUD de la Marne, le centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour les usagers de drogues, ils vont chaque semaine à la rencontre des usagers pour leur distribuer matériel et conseils afin de réduire leurs risques de contamination. Rencontre en cette mi-juin.
Garé à l'entrée du jard anglais de Châlons-en-Champagne, jardin de la ville, un camping-car semble tranquillement installé. Mais contrairement aux apparences, il n'est pas là pour faire du tourisme.
Ce camping-car est le bureau de Karen, 44 ans, infirmière et Kevin, 29 ans, éducateur spécialisé. Tous les deux sont des intervenants du Caarud, le centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour les usagers de drogues. Leur mission: réduire les risques de contamination chez les personnes toxicomanes. Chaque semaine, comme en cette mi-juin 2019, ils sillonnent les routes de la Marne à bord de ce véhicule professionnel chargé de matériel stérile.
Distribution gratuite et illimitée
Karen rempote les armoires et tiroirs du camping-car en multiples boîtes et sachets. Tout est bien rangé, étiqueté. On dirait du matériel d'infirmerie. Il s'agit en fait de seringues, garrot, lingettes désinfectantes, cuillères, filtres, pipes à crack, pailles à rouler. Du matériel stérile pour les consommations fumées, sniffées ou injectées."Dans ce kit ", précise Karen en ouvrant un sachet, "on trouve de quoi faire deux injections avec des seringues stériles, de l'eau pour préparations injectables stérile, des lingettes pour désinfecter la peau et des petites cuillères appelées cups dans lesquelles sont préparées et/ou chauffées les injections".
Si quelqu'un vient et veut 200 seringues, on va lui donner 200 seringues. On discute naturellement avec les usagers sur leur façon de consommer afin d'adapter au mieux leurs besoins.
- Karen, infirmière du Caarud Marne
"Un café, un sourire mais pas de conso, pas de deal"
Telle est la devise et la règle affichée dans le camping-car. Ici on fait de la prévention dans un cadre médico-social. Aucun jugement, de l'accompagnement seulement. Et une écoute qui compte.
Geoffrey (son nom a été modifié à sa demande, par pudeur), 42 ans, est un habitué du camping-car. Cela fait cinq ans qu'il fait appel à l'unité mobile car il a de gros problèmes de santé. Geoffrey souffre en permanence. Il est suivi. Son médecin lui prescrit régulièrement de la morphine en médicament mais il la détourne en se l'injectant."Mes douleurs sont tellement intenses, que je me réveille parfois en pleurant de douleur. Si je prends un cachet de morphine, je dois attendre 20 minutes qu'il fasse effet. Si je me l'injecte, en 10 secondes je suis soulagé et je peux me lever et sourire en commençant ma journée", se confie Geoffrey.
Le jeune homme se pique deux à trois fois par jour. Il est l'un des rares à se faire livrer personnellement sur Châlons par l'unité mobile, à sa demande, à proximité de son domicile.
"J'ai consommé durant quatre mois des drogues assez dures, donc je connais un peu la personnalité des gens qui consomment ce type de produits et je ne veux pas me mélanger avec. Je ne veux pas retomber dans ces produits en voyant des gens qui en consomment", explique Geoffrey.
Karen et Kevin le suivent donc régulièrement. Ils se contactent en fonction de ses besoins. Ils lui préparent des kits à injections des seringues. Ce jour-là, ils réussissent même à le faire repartir avec des filtres qui filtrent tous les excipients des médicaments et l'amidon mauvais à s'injecter. Geoffrey n'arrivaient pas à les utiliser. Kevin lui réexplique de manière très pédagogique comment utiliser le filtre dans la seringue. Geoffrey se laisse convaincre, conscient qu'il est très important de faire attention à l'hygiène dans sa pratique de consommation. "Je mourrai moins bête", ironise-t-il.
Pour l'équipe c'est une petite victoire. "Je suis très fier de lui mais surtout je veux qu'il soit fier de lui", rétorque Kevin, l'éducateur spécialisé.Depuis que je fais appel au Caarud et que je fais très attention à l'hygiène de mes injections j'ai diminué de plus de la moitié mes doses quotidiennes de morphine.
- Geoffrey, usager du Caarud
Et Geoffrey de conclure complice: "nous avons créé un véritable lien depuis cinq ans. Parfois ils restent une heure juste pour moi, pour papoter parce que ça ne va pas fort. On parle de la santé, de la famille. Ca fait du bien."
Prévenir et guérir
Le Caarud Marne compte sept salariés comme Karen et Kevin, infirmiers et éducateurs spécialisés qui travaillent en binôme.Donner du matériel de réduction des risques est déjà la première étape vers le soin.
- Kevin Mayeur, éducateur spécialisé au Caarud Marne
Il fait partie de l'ANPAA, l'Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie. Il est chapeauté par l'ARS, l'agence régionale de Santé qui le finance à 100%.
Il propose des dépistages Hépatites et VIH, et des bilans de vaccination. Le camping-car est entièrement équipé pour réaliser les prélèvements sanguins.
Karen et Kevin proposent aussi d'aider les personnes qui le souhaitent dans leurs démarches administratives, ou leurs rendez-vous de santé.
Ils travaillent en collaboration le centre de soins de Reims et les autres associations de suivi des toxicomanes. Ils peuvent orienter et suivre toutes les personnes qui souhaitent décrocher de la drogue.
A Reims, en face de la clinique des bleuets, tout comme à Châlons sur le parking derrière les halles, sont également installés deux distributeurs de kit à injections qui délivrent gratuitement, en échange d'une seringue usagé, un nouveau kit stérile.
Les salariés du Caarud les réapprovisionnent durant leurs tournées.
Pour Karen et Kevin, limiter les risques de contamination est une responsabilité, un combat même, qui a changé leur quotidien. Au-delà des a priori.
Je n'ai aucune difficulté à dire ce que je fais. Je peux comprendre aussi que cela perturbe et que certaines personnes puissent prendre cela comme de l'incitation. Mais moi la seule incitation que je fais c'est de l'incitation à se protéger.
- Geoffrey Mayeur, éducateur spécialisé au Caarud
Aujourd'hui, j'ai une vision beaucoup plus ouverte des choses. Cela m'a appris à ne pas stigmatiser ce public (de consommateurs de drogues) et cela m'a appris surtout beaucoup d'humanité.
- Karen Goretz, infirmière au Caarud
D'après l'agence nationale de santé publique, en France les politiques de réduction des risques ont permis de diminuer les contaminations au VIH chez les toxicomanes, passant de 1800 cas par an en 1994, à 100 cas en 2009.