Le devoir de mémoire… une dizaine de jeunes Châlonnais y dédient une partie de leurs vacances. Pendant huit jours, ces pré-ados valorisent l’ancien siège dit de la Gestapo, l’unique Musée de France de ce type installé dans les sous-sols d’origine, cours d’Ormesson.
''Mais la Gestapo, qu’est-ce que c’est ?'' Une question toute simple et assez logique de la part d’enfants de huit à treize ans, 80 ans après le début de la seconde guerre mondiale. Elle émane de certains jeunes issus des centres sociaux et culturels châlonnais Vallée Saint Pierre et Emile Schmit. Une dizaine d'entre eux participent actuellement à la valorisation de l’ancien siège dit de la Gestapo, l’organe de répression de l’Allemagne nazie. ''Si l’on veut être strict c’est en fait le service de renseignement des Allemands occupants ou SD qui a occupé le site'', précise Antoine Carenjot, directeur du service départemenal de l’Office National des Anciens Combattants de la Marne.
''Je ne savais pas grand-chose en arrivant'' avoue Zaïneb. ''J’ai appris que les allemands ont torturé les résistants et que certains ont réussi à ne pas parler. Ils ont donné leur vie pour que nous soyons libres!'' Cette jolie brune masquée est agenouillée dans la cour du Musée en train de peindre d’un filet bleu les rebords d’un cadre qui reste à remplir de photos et de documents. ''Certains seront bleu blanc rouge pour rappeler les couleurs de la France'', précise-t-elle.
''J’aime bien l’histoire'', renchérit Robin du haut de ses 8 ans. Il s’applique de son côté à orner le bord d’un autre cadre des couleurs bleue, jaune et verte de la ville de Châlons. ''Je m’intéresse à beaucoup de choses … notamment à ce que d’autres ont vécu, pour notre bien !''
Des sous-sols devenus lieux de mémoire
A la prise de Châlons en 1940 et jusqu’à sa libération en août 1944, les nazis ont réquisitionné la Chambre d’agriculture pour installer leurs bureaux. ''Ils ont utilisé les sous-sols qu’ils ont transformés en cellules des plus sommaires. Dans le vide sanitaire, ils ont même jeté à l’isolement des détenus qui demeuraient en permanence dans le noir et avec de l’eau jusqu’aux genoux. Ils pouvaient à peine s’y tenir debout'' explique Antoine Carenjot de l’Onac. Le lieu comprend également deux salles de torture dont une est visible.
Cette ancienne maison de la Gestapo est devenue un musée en 1994 sous l’impulsion de deux résistants, Jacques Songy et Jean Chabaud. Elle ouvre ses portes occasionnellement, notamment lors des Journées du patrimoine. La valorisation de ce patrimoine original, c’est justement l’idée maîtresse du service Ville d’Art et d’Histoire de Châlons-en Champagne avec l’appui de l’Office National des Anciens combattants pour monter cette opération.
En février dernier, certains enfants des centres de loisirs ont rencontré quatre seniors qui ont connu la période. ''Ils étaient donc déjà préparés à ce devoir de mémoire'' explique l’un des deux animateurs Christian Magrit, directeur du centre de loisirs Vallée St Pierre.
Une visite plus chronologique avec toujours de l'émotion...
''Ces derniers jours, nous leur avons demandé de visiter les lieux librement et de donner leur avis sur ce qui pouvait être modifié pour le rendre plus accessible. Ils ont trouvé qu’il fallait introduire davantage de chronologie du début de la guerre au procès des chefs de la Gestapo en 1987 '' poursuit-il.
Pour préparer 17 panneaux qui évoquent l’histoire du lieu, les enfants ont classé et surligné des documents ou situé sur un plan des photos de lieux bombardés. A tour de rôle, ils ont aussi déchiffré pour leurs camarades des témoignages de résistants. Anaé, 11 ans, a lu la lettre de Camille Soudan, fusillé en février 1944. Quelques mots sobres, et pourtant ce sont ceux d’un condamné :
Je serai certainement exécuté aujourd’hui. Le prêtre est passé dans ma cellule il y a un instant. Je vous fais mes adieux d’un cœur bien lourd.
''Cette lettre me touche beaucoup tout de même" réagit Anaé. ''Je m’imagine vivre la même chose, je serais vraiment triste.''
Difficile même pour un adulte de prendre conscience de ce qui s’est passé ici… alors des enfants ? Ce n’était pas forcément gagné mais il fallait le tenter car ''le site est unique pour au moins deux raisons'' selon Antoine Carenjot de l’Onac. ''D’abord, il était central pour la région. Toutes les figures de la Résistance de la Marne mais aussi de l’Aube et de la Haute-Marne ont été transférées ici. Plusieurs centaines de personnes y sont passées pour y subir des interrogatoires poussés.''
Parmi les plus connues, rappelons la vingtaine de membres du groupe de Robert Tritant, ou Roger Romagny un agent de liaison qui a été arrêté, torturé ici et déporté, il fut une figure de la mémoire de la résistance châlonnaise. Enfin, il faut citer l’Abbé Pierre Gillet, aumônier des missions de Châlons. Torturé ici, il a dit une messe dans les sous-sols avec les familles de déportés peu de temps après la Libération et il est devenu historien de la Résistance.
Un lieu unique en France
''L’autre raison qui fait de ce lieu de mémoire abject un endroit exceptionnel'' reprend Antoine Carenjot, ''c’est qu’il conserve des traces des sévices qui ont été subis, comme du sang sur les marches ou des crochets dans la salle de torture. En Europe, seuls Munich et Cracovie ont jugé utile de conserver en l’état. En France, il existe d’autres ''maisons de la Gestapo'' mais elles ne sont généralement plus que des murs réoccupés avec une plaque commémorative. Aujourd'hui, cela n'empêche pas les locaux attenants d'héberger des bureaux pour Châlons Habitat.''Je les ai félicités'' ajoute Antoine Carenjot de l’Onac. ''Nous avons absolument besoin de nouveaux porteurs de mémoire et ils se sont montrés très dignes.
Inauguration le 29 Aout
La force du projet, c’est aussi d’unir des jeunes originaires de quartiers et de milieux très différents. Des 8-13 ans qui seront fiers d’amener leurs familles à l’inauguration prévue le 29 août prochain, pour le 76e anniversaire de la Libération de Châlons-en-Champagne.
Et qui auront peut-être ensuite à cœur de mieux vivre ensemble...