Coronavirus : être "nareux", un mot local qui entre dans le dictionnaire

Employé dans le Grand Est, le mot « nareux » désigne un certain dégoût à partager sa nourriture ou tout simplement ses microbes. Avec la pandémie et l’apparition des gestes barrières, cet ancien mot de patois est désormais d’actualité, il a même fait son entrée dans le dictionnaire.

Avec la pandémie de Covid-19, nos habitudes ont bien changé. Partager sa nourriture, la même assiette ou les mêmes couverts ne fait pas franchement partie des gestes barrières à respecter. Et les « nareux » s’en réjouiront sans doute. Si ne plus boire dans le même verre que quelqu’un d'autre est devenu une évidence pour tous, le mot « nareux » n’est pas employé dans toute la France.

C’est un mot bien de chez nous, un régionalisme. Sur Twitter, "Pianococktails" un habitant de Reims, raconte le 15 septembre 2020, que "le moment où j'ai découvert le mot "nareux" est vraiment gravé à jamais dans ma mémoire. J'ai l'impression que c'est ce jour là dans le mcdo de la zone industrielle de Reims, que j'ai compris qu'il y avait un monde immense autour de moi dont je ne connaissais pas l'existence". 
 

 
Hasard ou non du calendrier, le mot « nareux » est entré dans le dictionnaire, le 4 juin dernier, pour l'édition 2021 du Petit Robert, la même année que des termes du champ lexical sanitaire comme « covid » ou « déconfinement ». Ironie du sort pour un mot qui désigne tout ce qui a trait à l’hygiène de la table et de la nourriture. La « covid » nous aurait-t-elle donc tous rendu « nareux » ?
 

Un mot du Grand Est

Si le terme "nareux" devient en 2020 un mot de la langue française, il est d’abord originaire du Grand Est et d’une partie de la Belgique. Dans son livre,  Le parler de Champagne, Michel Tamine, spécialiste des dialectes ardennais et marnais donne cette définition : « sourcilleux quant à la propreté de la vaisselle et la pureté de la nourriture ».
 
« La difficulté pour ces mots régionaux, qui ne figurent pas dans les grands recueils de dictionnaire académique, c’est de trouver leur étymologie » explique Patrick Demouy, historien et spécialiste du Moyen-Âge. Ancien professeur à l’université de Reims et Rémois, il emploie lui aussi volontiers le mot « nareux » : « en ancien Français, la narine se dit « naris » et il est assez vraisemblable que ce soit à l’origine du mot « nareux ». Tout simplement parce que quand quelque chose nous dégoûte, on fait une mimique, on fronce le nez », argumente-t-il.

Linguiste de formation Mathieu Avanzi est maître de conférence à l’université Paris-Sorbonne. Il travaille notamment sur la géographie linguistique du Français. Dans son livre Comme on dit chez nous, à paraître le 15 octobre aux éditions Robert, le chercheur a mené l’enquête sur ces spécificités régionales. Grâce à des questionnaires, il a réussi à déterminer l’aire d’usage du mot « nareux ».

Sur la carte ci-dessous, plus il y a de rouge, plus le mot est utilisé par les habitants. Ainsi, il apparaît clairement que dans la Marne, les Ardennes, mais aussi une partie de l’Aube et de la Haute-Marne, le mot « nareux » fait partie du langage courant.
 
 

Malaucoeureux, naxieux, zirou

Mais les habitants du Grand Est, n’ont pas le monopole du dégoût ou de l’hygiène alimentaire. En Champagne-Ardenne, il est coutume de dire qu’il n’existe aucun autre mot de la langue pour désigner des comportements nareux. « En fait, il n’y a pas que dans le Grand Est que l’on connait « nareux ». Ce que l’on ne sait pas, c’est qu’il y a d’autres régions où il existe des termes différents pour exprimer la même idée, nous apprend Mathieu Avanzi. Par exemple, en Normandie, on dit « malaucoeureux » pour désigner quelqu’un à qui ces comportements donnent mal au coeur. Dans le Nord-Pas-de-Calais, le mot « naxieux » désigne exactement la même chose que le fait d’être nareux » ajoute-t-il.

« En général, les régionalismes décrivent une réalité locale mais pour « nareux », ça se n’applique pas vraiment, car il existe des mots concurrents dans d’autres régions. Dans l’Ouest de la France, on pourra dire « zirou ». Mais en général, les régionalismes disent quelque chose de l’histoire d’une population. »

Alors, les habitants du Grand Est ont-ils donc plus de mal à partager leur nourriture que les autres ?  « Pour la sensation d’être nareux, vous êtes un des rares groupes en France qui a un mot pour cela mais on ne peut pas dire que les gens de l’Est sont plus nareux que les autres » conclue Mathieu Avanzi. Une chose est sûre, nous sommes les seuls à pouvoir nous « empierger » en « passant la bâche ».
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