Jean Paul Gobillard a 80 ans. Maître des lieux, il s'inquiète pour l'avenir de son château depuis la fermeture des lieux culturels et il ignore s'il se relèvera des 70 % de pertes de son chiffre d'affaires.
"J'essaie de résister. Je ne suis pas mort du covid, mais la culture l'est un peu ". Orateur et stoïque, Jean-Paul Gobillard, le propriétaire du château de Pierry (Marne) a 80 ans. Il vient d'avoir sa première injection du vaccin et attend la seconde. "J'ai connu la guerre de 40, la guerre d'Algérie et là, je connais la 3ème guerre celle de l'insécurité " confie-t-il. Depuis le second confinement en octobre, le château est désert. "Je viens tous les jours et j'y reste seul car il faut l'entretenir malgré tout". À son âge, il n'entreprend pas de grands travaux, mais bricole et aère les pièces comme pour tenir compagnie à ce domaine du 18ème siècle qui a toujours été habité.
Situé aux portes sud d’Epernay, capitale du Champagne, ce bel ensemble de caractère se visite ainsi que son jardin anglais et ses dépendances vitivinicoles. Il est le lieu privilégié de dégustations d’exceptions pour des groupes et des cercles d’amateurs de champagnes. Il se révèle être un bel écrin pour toutes les cérémonies de mariage et les séminaires… Ce bel ensemble a été édifié vers 1734 par Monseigneur de Choiseul-Beaupré, évêque de Châlons-en-Champagne. Son histoire est liée à la naissance du champagne.
La famille Gobillard en deviendra propriétaire et Jean-Paul Gobillard rétablit l’unité originelle de cette belle demeure dans les années 70. Depuis qu'il a pris officiellement sa retraite dans l'exploitation de ses vignes, il a tout fait pour faire de ce château un haut lieu touristique. Un pari réussi jusqu'à l'arrivée du virus Covid-19 et la fermeture des lieux de culture qui dure trop longtemps pour lui. "J'ai l'impression d'avoir acheté un château en 1789, on tue les propriétaires de petits châteaux privés" dénonce Jean-Paul Gobillard.
Dans sa vie, Jean-Paul Gobillard a vécu de nombreuses péripéties avec son château, mais aujourd'hui la crise sanitaire le plonge dans l'incertitude la plus totale. "C'est le manque d'informations qui me plonge dans une grande inquiétude". Le fait de ne pas savoir quand les lieux culturels pourront ouvrir freine toutes les initiatives. "Je suis régulièrement avec mon comptable pour savoir si notre trésorerie va supporter cette fermeture" explique-t-il. Le château -qui est également un musée- a perdu l'apport financier des visiteurs. Et la situation ne va pas s'arranger.
Marilyne Da Silva est assistante de direction et chargée de communication au château de Pierry "J'ai déjà été contacté par les tours opérateurs de Paris qui ont annulé nos touristes canadiens et anglais pour juin prochain " annonce-t-elle. "Pour nous, c'est déjà l'annonce d'une année 2021 difficile avec cette perte de clientèle d'habitude fidèle et qui adore les châteaux" enchaîne-t-elle.
Les mariages de nouveau reportés
À cela, s'annoncent les mariages annulés pour 2021. Sans compter ceux de 2020, déjà reportés et qui vont finir par s'annuler si la situation sanitaire ne s'améliore pas. "C'est terrible ce que nous vivons et nous sommes tous seuls à gérer ça. Moi, je m'inquiète pour Monsieur Gobillard qui a un certain âge et pour qui le stress n'est pas bon, en plus du risque du Covid. Heureusement, il a eu sa première injection du vaccin, donc c'est rassurant mais je vois bien que la situation financière le préoccupe".
Jean-Paul Gobillard a pu bénéficier du prêt garanti par l'état qui se base sur son chiffre d'affaires de 2019. Mais pour lui, c'est un prêt qu'il faudra rembourser et il a déjà été bien entamé pour payer les charges courantes, en plus des impôts et des taxes. Il a dû faire le choix de ne pas chauffer son château cette année. "J'ai 400 € par jour de chauffage, vous imaginez la facture si je chauffe dans le vide 6.000 m2 ".
Marilyne s'inquiète des conséquences pour le bâti. En temps normal, le château est chauffé pour les pièces qui concernent les visites et là, tout s'est arrêté. Les températures qui ont été particulièrement basses ces dernières semaines n'ont pas rassuré le propriétaire. De plus avec ces annonces successives, Jean-Paul Gobillard ne sait pas s'il pourra rembourser les arrhes de 30% des futurs mariés.
"Nous avons donné la priorité aux mariés de 2020 pour 2022 maintenant, car tous annulent leurs mariages reportés à 2021. Nous avons dû anticiper, car nous ne savons rien. Pourtant, nous pourrions préparer certains mariages si on avait la certitude d'une réouverture au printemps. Mais actuellement, tout est bloqué." Un mariage se prépare pendant plusieurs mois, "du coup face à cette incertitude, les mariés préfèrent encore attendre et pour nous, c'est une trésorerie en berne", explique Maryline.
Un planning 2022 surchargé
Pour Marilyne, cette situation est une double peine. Elle s'arracherait presque les cheveux avec tous ces reports. "Tout le monde veut la même période pour se marier en 2022, mais nous avons donné la priorité à ceux qui ont annulé leur mariage en 2020, explique-t-elle. Elle ne compte plus ses heures de travail. En présence et en télétravail, car elle veut pouvoir rencontrer son employeur ne serait-ce que pour voir qu'il se porte bien. Tout seul, il trouve le temps long et ne sait pas remplir certaines formalités. Et je regarde s'il ne se blesse pas en bricolant, car il faut bien qu'il s'occupe".
En télétravail, il lui arrive de travailler jusqu'à 23 heures. Les clients se font rares alors elle répond toujours pour montrer qu'ils sont encore présents au château. Elle alimente le site consacré au château aussi. Même si elle avoue que pour la première fois, elle a pensé à arrêter à cause de l'agressivité de certains clients. "Parfois, je reçois des appels de personnes qui ne comprennent pas qu'on priorise les reports de 2020 et ils nous hurlent dessus. Ou encore des personnes qui veulent visiter le château sous prétexte qu'ils ne sont que 4, mais nous, on répond qu'on n'a pas le droit". Cette violence est rare, mais jamais elle ne l'avait vécue. Un sentiment partagé par son mari qui travaille à l'office du tourisme à Reims et qui reçoit des messages odieux sur internet parce que les lieux culturels sont fermés.
Autre activité complètement à l'arrêt, c'est l'œnotourisme. Le château de Pierry, ouvert aux réceptions privées, compte parmi les atouts de la Champagne. C'est un lieu privilégié de dégustations d’exception pour les bouteilles de cette famille, vigneron depuis quatre générations.
"Pourtant se demande Jean-Paul, je suis dans ma propriété, c'est un chateau privé. Je comprends qu'on me condamne mon activité de dégustation étant donné le contexte sanitaire, mais je ne vois pas pourquoi je dois refuser des visites quand la jauge ne dépasse pas 6 personnes. Si je pouvais faire des groupes de 6 personnes toutes les heures, cela pourrait me permettre d'avoir une trésorerie, qui certes ne sauverait pas tout, mais ce serait déjà un plus". Lui, qui a vu son chiffre d'affaires chuter de 70 % . "J'ai déjà perdu plus de 60.000 euros, les années suivantes s'annoncent compliquées", confie-t-il.
L'espoir du printemps
Pour les châteaux en général, le printemps est synonyme de reprise. Entre les mariages, la chasse aux œufs de Pâques, les séminaires et les jardins à visiter, cette période annonce la reprise économique. Du coup, Jean-Paul Gobillard et Maryline ne baissent pas les bras. L'optimisme et l'espoir animent le duo. Pour le propriétaire, la priorité est de sauvegarder ces emplois. L'équipe a toujours été au minima. Maryline et quelques ouvriers pour entretenir les bâtiments et les jardins. "Je suis surtout soulagé de pouvoir garder la petite et que mes ouvriers ne perdent pas leur emploi, car ils ne sont plus tout jeunes", reconnaît le propriétaire.
Maryline se souvient de la bonne nouvelle, qui avait rendu éligible le château de Pierry au Pass Patrimoine. Lancé en octobre 2019 en partenariat avec la Fondation du Patrimoine, la Mission Stéphane Bern, soutenu par la Demeure Historique et Les Musées Nationaux, ce Pass n'a même pas eu le temps de vivre. "Le pass patrimoine permet de découvrir des trésors de notre patrimoine avec un accès illimité aux plus beaux châteaux, monuments, musées, parcs et jardins de France et de Belgique, comme notre Château" explique Maryline. " J'ai eu des appels, juste avant le premier confinement par des personnes qui avaient acheté ce pass pour venir visiter le château. Mais depuis plus personne" regrette Maryline. Pourtant, ce pass était très attendu. Il permet aux gestionnaires privés de bénéficier d'un soutien financier.
"Avec l'été, peut-être que l'activité touristique repartira", espère-t-elle. Et c'est dans cet esprit, qu'elle continue de travailler. Maryline prépare avec une prestataire de la région un événement pour avril qui serait une sorte de jeux de rôles dans le château, inspiré du film culte "les visiteurs" où un ascendant de Jean-Paul Gobillard serait plongé au moyen-âge et remonterait le temps pour atterrir dans ce château du 18ème siècle. Toutes les éventualités sont envisagées, comme celle d'une ouverture plus tardive et l'adaptation de l'événement à Halloween. " Nous sommes obligés d'avoir des initiatives dans le temps, car nous ignorons vraiment tout concernant notre avenir" admet Maryline.
Jean-Paul Gobillard tente de rester optimiste aussi, même s'il regrette de n'avoir aucun soutien de la part des élus." Je regrette par exemple que notre maire ne vienne pas nous voir ou nous demander comment on se porte, j'ai connu une époque où le maire frappait à toutes les portes pour savoir comment les habitants se portaient et ça n'existe plus". Avant d'enchaîner : " Le principal, c'est que tout le monde se sorte de cette crise, mais j'ai peur que le plus dur reste à venir. Nous ne nous remettrons pas de cette crise économique. Je me demande comment toutes les entreprises vont bien pouvoir rembourser tous ces prêts de l'état ".
En attendant, Jean-Paul espère que les couples qui ont reporté leur mariage les maintiendront. L'occasion aux futurs mariés de prendre le temps pour se dire "oui" pour le meilleur comme pour le pire. Les mariages 2020 et 2021 seront des cuvées d'exception !