Agnès-Pannier Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, a annoncé ce vendredi 5 avril étendre la possibilité d’utiliser un pesticide, Movento, dans le cadre de la culture de betterave. Jusqu’à cinq passages sont désormais autorisés contre deux auparavant. Les agriculteurs aimeraient aller plus loin, quand les associations environnementales tirent la sonnette d’alarme.
Au mois d'avril, on sème la betterave. Les 4 700 planteurs de Champagne-Ardenne vont donc être bien occupés dans les semaines à venir pour cette première étape de la campagne 2024 : ensemencer 100 000 hectares sur les départements de la Marne, l’Aube, la Haute-Marne ou encore les Ardennes. Mais avec les semis viennent pour ces cultivateurs les premières inquiétudes : l’hiver a été doux, le risque de jaunisse de la betterave est donc particulièrement élevé, une jaunisse provoquée par la piqûre de pucerons.
"Le modèle climatique de l’année nous fait apparaître une année assez précoce en pucerons, un peu à l’image de 2020", remarque Ghislain Malatesta, directeur du département expérimentation et expertise régionale de l'Institut technique de la betterave. Et ces prévisions sont loin d'être une bonne nouvelle, puisque la campagne betteravière de 2020 a été particulièrement difficile. La filière avait subi de grosses pertes de rendements à cause d’une épidémie de jaunisse particulièrement virulente, sur des plants de betterave très jeunes. En Champagne, certains betteraviers avaient constaté jusqu’à 35% de baisse de leurs rendements.
Une annonce accueillie avec tiédeur
C’est pour cela que la ministre déléguée auprès du ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Agnès Pannier-Runacher a annoncé, ce vendredi 5 avril, étendre l'utilisation d’un insecticide bien connu des betteraviers : le Movento. Un produit phyto-sanitaire qui vise à tuer ces pucerons pour éviter la propagation de la jaunisse de la betterave. Cinq passages au lieu de deux jusqu’à présent sont désormais autorisés.
Mais pour Cyril Cogniard qui cultive des betteraves dans la Marne et dans les Ardennes, ce n’était pas forcément la meilleure option. "Le Movento, c’est un produit que l’on connait, que l’on a déjà utilisé en 2020. Il a montré ses limites dans une situation d’arrivée massive et précoce de pucerons, se rappelle-t-il. Nous, ce que l’on souhaite, ce sont des molécules efficaces sur pucerons, telles qu’il y en a chez nos voisins européens". L’agriculteur, qui est aussi président de la Confédération générale des planteurs de betteraves Champagne Bourgogne fait référence à deux molécules en particulier : l'acétamipride et le flupyradifurone, tous deux néonicotinoïdes par leur mode d’action. Cyril Cogniard reprend : "Ce sont des molécules efficaces contre les pucerons, et il vaut mieux passer une fois avec des molécules efficaces, que de passer plusieurs fois avec des molécules dont l’efficacité est incertaine". Mais si ces molécules sont encore autorisées dans certains pays, elles sont interdites en France : depuis 2018 pour l'acétamipride et 2019 pour le flupyradifurone, et ce, pour des raisons environnementales et de santé publique.
Une suspicion de toxicité pour la reproduction
Pour l’association de défense de l’environnement Générations futures, qui a publié un communiqué suite aux annonces d’Agnès Pannier-Runacher, l’utilisation étendue du Movento est une très mauvaise nouvelle : "C’est une dérogation pour un produit qui est suspecté d’être toxique pour la reproduction, explique François Veillerette, porte-parole de Générations futures. C’est-à-dire qu’il peut avoir des effets sur la fertilité, sur le fœtus, qui ont été mises en évidence sur l’animal". Le militant écologiste s’interroge aussi sur le nombre de passages autorisés pour le Movento : "Dans d’autres cultures que la betterave, [comme les arbres fruitiers, ndlr] le nombre de passages maximum est de quatre, pour la betterave c’était deux. Il va falloir que l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, nous donne des garanties sur ces quantités qui n’ont encore jamais été expérimentées en France".
Générations futures met aussi en évidence dans son communiqué que l’autorisation européenne de la substance spirotetramate (principale molécule active déclarée) va expirer le 30 avril 2024. En cause, Bayer, qui fabrique et commercialise le Movento, n’aurait pas fait de demande de renouvellement de son autorisation. "Cela signifie que ce n’est pas un produit d’avenir, c’est un produit qui est sur la voie de la sortie au niveau européen. On pense donc que c’est une mesure complètement à rebours de ce qu’il faudrait faire, si l’on veut conjuguer agriculture et protection de la santé et de l’environnement », poursuit François Veillerette.
Un plan de recherche d'alternatives
L’association écologiste se positionne donc en faveur de solutions agronomiques pour lutter contre le puceron de la betterave, concédant la nécessité d’utiliser parfois des pesticides de moindre impact mais insistant sur les bons résultats obtenus lors de phases de recherches, notamment sur le fait de planter conjointement de la betterave et une culture compagne, comme l’avoine, par exemple, afin d’avoir un effet leurre sur le puceron.
Une méthode saluée aussi par l’Institut technique de la betterave, même si elle n’est pas efficace à 100 % . "Aujourd’hui, on associe plusieurs solutions pour combattre les pucerons, explique Ghislain Malatesta, directeur du département expérimentation et expertise régionale Institut technique de la betterave. Aucune solution n’est efficace à 100%. Toutes les solutions sont des bribes de réponses qui permettent de réduire de 20, 30, 40 % les populations de pucerons, mais jamais 100%. Donc il faut multiplier les traitements, multiplier les passages, multiplier les produits dont les coûts augmentent". Et le technicien de souligner, aussi, le risque que les pucerons développent une certaine forme de résistance face à des expositions répétées à la même molécule.
Un plan de recherche, conduit et financé par l’état, est en cours depuis 2021 pour trouver des alternatives viables à l’utilisation des néonicotinoïdes et autres pesticides interdits. Les différents résultats obtenus en laboratoire doivent être testés grandeur nature dans les exploitations betteravières lors de la campagne 2024.