Depuis plusieurs mois, la station d'assainissement de la ville de Reims est aux confluents de plusieurs projets scientifiques, tous liés aux traces de Covid-19 dans les eaux usées.
Pas un bruit dans les environs, à part celui des mouettes qui se répondent. Puis, en tendant l'oreille, le son léger de l'écoulement des eaux. Si l'on ferme les yeux très forts, on peut presque croire qu'on vient de trouver un bout de mer, au nord de Reims.
Lorsqu'on rouvre ses paupières, retour au réel : des cuves massives en béton dominent l'horizon de la station d'assainissement des eaux de Saint-Brice-Courcelles. Profondes de 4 mètres chacune, les piscines sont remplies par les eaux usées provenant de la ville de Reims, et de 22 communes de son agglomération.
"Dans ces cuves, on peut trouver des informations très utiles", lance le directeur de la station, Jean-Christophe Inglard. En hauteur, les mains agrippées à la passerelle, il balaie du regard les eaux fangeuses. "C'est ici qu'on peut retrouver les traces de virus que les personnes atteintes rejettent. Nous pouvons nous en servir par la suite pour comprendre l'évolution de la situation sanitaire à l'échelle de la ville." Des échantillons sont ainsi prélevés chaque jour par le laboratoire de la station d'épuration, avant d'être envoyé à deux équipes de chercheurs.
De Reims à Paris, les eaux usées décortiquées
En aval, au laboratoire des eaux de Paris, on attend tous les jeudis le paquet en provenance de Saint-Brice-Courcelles. C'est dans l'austère bâtiment scientifique, en banlieue parisienne, que sont centralisées toutes les analyses du réseau Obépine. Il s'agit d'un maillage de plusieurs stations d'assainissement – une trentaine pour l'instant – envoyant chaque semaine quelques centilitres de leurs eaux usées, dont seront ensuite extraits les génomes de Covid-19. Si le niveau présent dans l'eau est supérieur à la normale, les villes concernées sont rapidement prévenues.
Moins de 24 heures après avoir reçu les fioles rémoises par exemple, les résultats tombent déjà. Rien d'alarmant pour l'instant, comme depuis plusieurs semaines : la teneur en Covid reste très basse. "Les résultats sont bien plus rapides à obtenir que pour les tests classiques, car on n'attend pas l'apparition des symptômes, explique le virologue Sébastien Wurtzer. Avec les eaux usées, on touche un spectre plus large, en incluant les personnes infectées dont les symptômes ne se sont pas encore manifestés, et les asymptomatiques."
Si le niveau des traces ADN de covid-19 restant dans les eaux usées d'une ville est élevé, le réseau Obépine peut ainsi déceler une recrudescence des contaminations. "L'inconvénient, c'est qu'on ne peut pas avoir de données plus précises, notamment sur le nombre de personnes infectées. Ça reste un outil qui accompagne les tests sérologiques, mais ne les remplace pas."
Retrouver les traces du Covid, grâce aux moules d'eau douce
Dans un laboratoire plus proche, celui de l'Université de Reims en périphérie de la ville, on s'intéresse à d'autres types d'échantillons. L'eau fournie par la station d'épuration est différente ; certaines fioles viennent juste d'être traitées. Car l'équipe du professeur en éco-toxicologie Alain Geffard, porte son attention sur ce que devient le covid après que les eaux usées aient été traitées. "Notre objectif, c'était de savoir si l'eau allant des stations aux rivières contenaient encore des traces du Covid, résume le chercheur. Et nos résultats sont concluants : c'est bien le cas."
Pour arriver à cette conclusion, son équipe compte sur de petits organismes pour collecter les données sur le virus : des petites moules d'eau douce. " Si vous allez à une rivière prendre de l'eau dans une éprouvette, l'échantillon ne sera déjà plus pertinent au bout d'une heure. C'est logique, puisque la rivière, par définition, s'écoule en continu. Mais avec ces petites moules qui restent dans l'eau, on pourrait retracer sur un temps long la teneur en génome de Covid." De la même manière qu'avec le réseau Obépine, les hausses significatives de traces de Covid-19 observées dans les eaux pourraient servir à alerter les autorités sanitaires.
Que les eaux usées soient traitées ou non, que la teneur en génomes de Covid-19 soit élevée ou faible, la transmission du virus par ce biais reste pour l'instant totalement exclue.