Procès à Reims : "un esclavagisme des temps modernes", dans le milieu du champagne

C’est un procès fleuve qui a démarré ce mercredi 1 juillet à Reims. En cause, 6 personnes et 3 sociétés accusées d’avoir fait travailler dans des conditions indignes une centaine de travailleurs viticoles.
 

Fixe, le couple est resté presque immobile toute la journée au milieu de la salle d’audience. Lui ne dit rien, reste mutique, écoute l’interprète. Elle, se défend à voix basse, sans détourner son regard des juges. Pendant toute la journée, elle défendra sa position : le couple ne savait rien, n’a rien vu, n’a pas compris, n’est pas responsable. 

Les deux mariés, comparaissent devant le tribunal de Reims pendant trois jours à partir du mercredi 1 juillet, pour avoir fait travailler plus d’une centaine d’ouvriers viticoles dans des conditions de vie et de travail jugé insoutenables. 
 

« Les chefs d’équipe », au coeur de la défense


Contrats de travail, rémunérations, transports… À chaque question du président, la dirigeante de société Rajviti pointe les mêmes coupables : « Les chefs d’équipes ». Ce serait eux, les responsables des conditions de travail misérables des vendangeurs. Ils constitueraient la clef de voûte d’un système étendu d’acheminement des travailleurs précaires. 

Pour ramener cette main d’oeuvre, ce sont des dizaines de trajets qui ont été effectués à de nombreux points de rendez-vous. Parfois à Amiens, parfois à Meaux. Plus souvent à Paris autour du quartier de la Goutte d’Or ou de la Porte de la Chapelle. L’une des victimes raconte : « On m’a dit d’attendre près d’un parc près de la gare de l’Est, on m’a dit que j’aurais un emploi. »

Des promesses d’embauches, qui serait le résultat du bouche-à-oreille d’anciens travailleurs viticoles, jure la prévenue. « Un hasard », ironise le président, alors qu'il décrit des vendangeurs attendant tous ensemble sur le parking d’un Leclerc à Bar-sur-Aube, avant d’être emmenés en voiture. 

Les victimes l’assurent, ils auraient tous reçus les mêmes consignes et les mêmes promesses d’emploi, parfois d’un mois. « Vous leur promettez un mois de travail, alors que la vendange ne dure que de 6 à 12 jours. Vous le saviez non, qu’il ne resterait pas un mois ? » lance le président du tribunal. « Oui, je l’ai dit aux chefs d’équipes, ce n’est pas de ma faute s’ils n’ont pas transmis les bonnes informations » réplique-t-elle. 
 


Pour Me Mehdi Bouzadia, avocat de trois victimes qui ont rejoint la partie civile et du Comité de lutte contre l’esclavage moderne, le sujet n’est pas dénué d’enjeu : « L’acheminement est l’un des éléments qui permet d’identifier la traite d’êtres humains. Ce n’est pas le seul, l’hébergement par exemple en fait partie, il peut même suffire à caractériser la traite. »
 

« C’est un dossier exceptionnel dans son ampleur »


Une fois transportés en Champagne, les travailleurs ont vite déchanté. Répartis sur plusieurs sites, tous ont été confrontés à l’insalubrité des lieux d’habitations. À Oiry dans la Marne, c’est un hôtel en location qui sert de baraquement. C’est le propriétaire d’un café voisin qui alerte les gendarmes. 

Sur place, ils découvrent un lieu insalubre. Le sol est poussiéreux, le réfectoire a été transformé en dortoir, où des sacs de couchages sont disséminés. Dans la cave, aussi, d’autres lits de fortune sont trouvés. La cuisine baigne dans une odeur nauséabonde, des aliments sont stockés à même le sol. Ce sont 77 employés viticoles qui vivaient dans l’hôtel réaménagé par le couple.

Au pressoir de Dolancourt (Aube), la même scène se répète. Lorsque les gendarmes se rendent au bâtiment, ils découvrent le personnel assis à terre, certains allongés sur le sol du hangar. Tout laisse croire aux militaires que le lieu de travail sert également de dortoir. La présence d’installation sanitaire et de douches le laisse penser. « C’est une demande des travailleurs, j’ai installé tout ça par humanité », répond le prévenu via sa traductrice. Il maintient qu’il n’a jamais été question de faire du pressoir un lieu d’hébergement. 
 


« C’est un dossier exceptionnel dans son ampleur, mais c’est loin d’être un cas isolé dans le monde agricole », explique Annabel Cauzian, juriste au Comité de lutte contre l’esclavage moderne. « Le problème, c’est qu’il y a près de 190 victimes dans ce dossier, et très peu qui se manifestent. »

Le procès reprendra jeudi, et se poursuivra jusqu’à vendredi. La responsabilité des sociétés ayant passé commande auprès de l'entreprise Rajviti devrait être à l'ordre du jour.
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