Les trames vertes, bleues, brunes, noires ou violettes, c'est la nouvelle palette de notre jardinier expert Eric Charton; il a même inventé un mot concept pour cela : "l'horto-écologie". Il s'agit d'élargir son angle de vue pour mieux concevoir son jardin et plus largement mieux aménager sa ville. Explications.
Prendre du recul et avoir moins la tête dans sa problématique personnelle, c'est la conception du jardin et des espaces verts revendiquée par Eric Charton. Notre expert jardinier, sollicité par les collectivités et les associations, pour son regard global sur la nature, donne des pistes d'aménagement des terrains et des territoires, qui s'inscrivent dans leur environnement. Une autre façon de réfléchir sur les espaces verts, en tenant compte des milieux qui les entourent. Une vision de peintre, ou de tisserand paysagiste.
Des trames vertes et bleues
Sans rentrer dans le détail, le parallèle avec le trait du peintre ou la trame du tisserand est bien éloquent. L'autre nom de la trame, c'est le corridor écologique. L'image est simple. Il s'agit d'un milieu de vie (terrestre ou aquatique) dans un espace continu, qui accueille des êtres vivants (animaux, hommes...). Là, ils peuvent se nourrir, se reproduire, faire une pause ou se déplacer. Une zone linéaire, continue, comme un trait de peinture ou un fil de tissu.
Or, l'industrialisation et l'urbanisation sont venues, petit à petit, fragmenter ces corridors écologiques, ces réseaux d'échanges entre les espaces et les espèces. Ici, une route vient couper le chemin des crapauds vers leur lieu de reproduction. Là, un étang a été asséché et ne permet plus aux oiseaux migrateurs de se reposer ; là enfin, un lotissement s'est construit entre deux forêts et a créé de la distance entre elles, empêchant le gibier de passer de l'une à l'autre.
Pour permettre de rétablir une certaine continuité dans ces espaces fragmentés, une politique d'aménagement du territoire, dite de la trame verte et bleue, s'est mise en place, aussi bien en milieu rural qu'en milieu urbain.
Et les services des espaces verts des communes font désormais appel à des experts pour les aider à recomposer des corridors écologiques perturbés. Un crapauduc est construit, une passerelle à gibier surplombe une autoroute ou encore un toit végétalisé recouvre un immeuble d'habitation. Les solutions sont multiples. Et la biodiversité regagne du terrain.
Mais cette trame verte et bleue est aussi applicable dans nos jardins
Si les collectivités doivent s'attacher à restaurer ces trames, qu'elles ont contribué à fractionner, tout un chacun peut, avec un peu d'observation, participer à sa petite échelle parcellaire. Eric Charton, qui conseille les municipalités dans les réaménagements de cours d'école, ou dans la dés-imperméabilisation des parkings, incite aussi les jardiniers amateurs à "s'imprégner de l'esprit des lieux". Il s'agit d'observer les jardins alentours, ainsi que les espaces verts et d'imaginer combler les espaces manquants.
Pour cela, il n'hésite pas à consulter des outils en ligne qui permettent de voir sa maison et son environnement direct, comme Géoportail ou Google maps et son calque photo. Ainsi, vous pouvez repérer les zones vertes, forestières, les zones bleues, humides ou aquatiques, et pouvez modeler votre jardin dans une sorte de continuité de ce qui l'entoure. Il n'y a pas assez d'arbres, près de chez vous ? C'est le moment de vous poser la question d'en planter. Trop de parkings et de zones bétonnées, penser à planter une haie pour que les passereaux et petits mammifères puissent venir s'y réfugier.
De jardins en jardins, les trames peuvent ainsi se recomposer grâce à la participation de tous les amoureux de la biodiversité. En associant plantes sauvages et horticoles, arbres, arbustes et arbrisseaux, mais aussi herbes, potager et plantes à fruits. Le tableau sera complet.
Bleues et vertes, mais aussi des trames brunes, noires et violettes
Il ne suffit pas de recomposer que des trames vertes et bleues. D'autres types de trames font l'objet d'aménagements :
La trame brune qui reconstitue la continuité des sols, en les rendant à leur perméabilité naturelle par exemple. Ou en élargissant les fosses de plantations d'arbres en ville : au lieu de ne leur laisser qu'une fosse arrondie autour de chaque tronc, des larges bandes de terre sont laissées entre tous les arbres qui constituent une allée. Les racines sont plus libres de s'y épanouir, le sol, au contraire d'un sol bétonné, garde la fraîcheur et les petits insectes y reprennent leurs droits, attirant leurs prédateurs.
Quant à la trame noire, c'est l'espace nuit. L'obscurité de la nuit, qui permet le repos d'une partie de la faune et de la flore, mais aussi l'éveil des animaux nocturnes. Un rééquilibre se fait, qui n'est pas possible quand les zones urbaines, qui restent allumées toute la nuit. La nuit, c'est aussi l'alternance des températures. Une zone bétonnée va restituer la chaleur accumulée dans la journée, empêchant l'alternance des températures. Tandis qu'une zone enherbée, va permettre un temps de respiration et de fraîcheur aux zones chauffées par le soleil. Un rééquilibre tout naturel que la bétonisation nous a fait parfois oublier.
Et ainsi de suite, certains chercheurs évoquent désormais une trame aérienne, pour les espèces volantes, une trame souterraine, pour les espèces du sous-sol. Mais aussi une autre contre les produits phytosanitaires et même une trame violette, pour contrer les ruptures liées au ruban violet des routes et des autoroutes. La palette pour la biodiversité n'en finit pas de s'enrichir.