Coronavirus. Ma vie de télétravailleur. Episode VII. L'allégorie

Tribulations d'un journaliste échoué à son domicile. "Ce qui ne peut être évité, il faut l'embrasser", disait Shakespeare. Alors j'embrasse ce qui m'arrive. Je travaille dans mon salon.
Jeudi 2 avril 2020. Jour 17 du confinement en plein Covid-19.

Société
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Le télétravail a au moins un point positif. Quand le cerveau ne suit plus et que le besoin de faire une pause s'impose, nous sommes peu ou pas jugés sur nos activités de temps libre à la maison, si ce n'est par le chat. Dans l'entreprise, difficile d'éviter les quolibets quand vous passez une heure à la machine à café, quand vous trouvez un coin calme pour vous allonger un court instant ou quand vous vous accordez une partie de belote en ligne.
En télétravail, nous ne prenons pas inévitablement plus de pause que d'ordinaire. Elles sont sans doute plus efficaces car les conditions d'exercice du repos sont logiquement bien meilleures. Le canapé qui nous tend les bras, les fraises du jardin en fleur qui demandent un peu d'attention, un puzzle de 1.000 pièces, la console de jeu qui risquerait de prendre la poussière... Et vous aurez bien compris l'option que j'ai choisie. Vautré dans le canapé avec, cette fois-ci, l'ordinateur.

Depuis le début du confinement le 17 mars 2020, je me suis remis à jouer à Two Point Hospital, un jeu de gestion d'hôpital, sorti en 2018 sur plusieurs supports. Vous êtes dans la peau d'un gestionnaire qui doit construire et entretenir un hôpital dans le comté fictif de Two Point. Votre mission (évidemment): soigner un grand nombre de patients aux pathologies variées et plutôt surprenantes. L'humour tient une belle place dans ce jeu. Il tenait aux développeurs de créer un univers loufoque pour éviter une atmosphère un peu gênante si l'expérience vidéoludique était un peu trop proche de la réalité. Ça m'arrange aussi, parce que cet exercice aurait été difficile à réaliser en cette période. Je vais donc vous faire vivre une partie de Two Point Hospital, un jeu un peu drôle, parfois cynique, qui fleurte avec la dure réalité économique de l'hôpital aujourd'hui.

Bienvenue au gestionnaire

Vous voici donc débarqué à la tête de votre premier hôpital, entièrement vide pour l'instant. Seuls les murs sont déjà là. On reconnait déjà le charme discret du milieu hospitalier, le sol vert pastel, les murs gris et beige.
On s'y croirait déjà. Ça sent bon l'austérité.
Et, effectivement, un coup d'oeil à votre budget vous fait comprendre que ça ne va pas être (que) de la rigolade. 200.000$, ce n'est pas bien épais! Mais c'est dans l'air du temps, il n'y a qu'à voir le budget 2020 de la Sécurité sociale. Nos collègues de France Info titraient, le 17 octobre 2019: "L'hôpital à la diète". Au moins, on sait sur quelle jambe de bois danser. 
Et donc on se lance avec la création des premières salles.
Un bureau d'accueil est installé à proximité de la porte d'entrée. Vous devrez ensuite installer un bureau de généraliste. C'est la première étape pour vos futurs patients, afin qu'ils soient réorientés correctement dans les différents services de l'hôpital. J'embauche donc le docteur Karen Noise, aux qualités étonnantes: elle a mauvais caractère, elle est hygiénique et confond bluetooth et wifi.

Du personnel sous-payé, génial!

Il est temps d'embaucher une infirmière qui s'occupera entre autre, des salles où sont alitées les patients. J'ai alors la possibilité de recruter Katherine Peters pour... 14.454$ par an (on va faire simple et convertir un dollar en un euro). Soit un salaire mensuel de 1.200€. Voilà un jeu décidément bien réaliste, jusque dans les moindres détails. Le personnel hospitalier demande depuis des années la revalorisation des carrières, avec en apogée la crise de l'hôpital sous le quinquennat d'Emmanuel Macron. Selon les grilles indiciaires, le salaire de base d'un(e) infirmier(e) est de 1.615€ brut, soit un peu plus de 1.300€ net. 
Et avec votre budget de départ, impossible de recruter Tony Hurricane à un salaire deux fois supérieur.
Vous n'avez décemment pas les moyens. Le lance-pierre est bien plus pratique pour payer vos employés, et ça vous sauvera sur le long terme.
Et c'est sans compter tout ce qu'on va lui demander de faire, à notre infirmière. Au moins trois patients par chambre, quelques minutes seulement par patient, à l'instar de Carmen Blasco, infirmière depuis 35 ans, rencontrée par France Info en juillet 2019.
Votre hôpital va donc pouvoir évoluer tranquillement, mais avec des patients aux pathologies étranges.
Parmi eux:
  • Angela Malalaise, atteinte de canard freudien, "une tendance à avancer les lèvres de manière excessive devant un appareil photo."
  • Sammy Plum, souffrant de marmitête, "un attachement involontaire aux ustensiles de cuisine, provoqué par une maîtrise culinaire déplorable."
  • Lauran Wielder, atteint de cubisme, "une maladie courante chez les visiteurs de galeries d'art. Elle se transmet au contact des toiles. Les impressionnistes en sont immunisés."
Il vous faudra donc créer de nombreuses salles de spécialité pour soigner décemment tous ces patients:
  • psychiatrie
  • salle des injections
  • chirurgie
  • salle des fractures
  • labo de marmiton.
En pleine crise de coronavirus, j'ai tenu à installer des distributeurs de gel hydroalcoolique en quantité suffisante, afin de ne pas faire face à une pénurie (toute allusion à une situation existante n'est pas fortuite).

Gérez l'affluence

Si vous êtes un(e) gestionnaire rigoureux/rigoureuse, comme vous le demande l'administration, vous arriverez à développer votre hôpital de manière sereine et organisée.
Mais attention aux urgences qui peuvent survenir à n'importe quel moment. Un grand nombre de jambes cassées pour votre hôpital installé en zone montagneuse va nécessiter des machines à plâtrer, etc. Et c'est là que tout peut dégénérer, et ressembler à la situation actuelle dans l'hôpital public. Si vous n'avez pas anticipé suffisamment, si vous n'avez ni les praticiens, ni le matériel en nombre suffisant, vous serez en difficulté dès lors qu'une crise surviendra.
Et là, impossible de renvoyer ses patients vers l'hôpital militaire de campagne installé à proximité.Vous pouvez bien sûr vous séparer de vos salariés. Mais c'est risqué.
Evitez donc les coupes dans le personnel et ne soyez pas radin dans la création des unités spécialisées.
Elles vous serviront à un moment (ou à un autre, peut-être au printemps 2020, allez savoir). Le 25 mars 2020, le secrétaire général de l'intersyndicale des internes, Léonard Corti, était clair sur la situation de l'hôpital: "Le manque de personnel est lié à des politiques d'austérité budgétaire mises en place depuis des années." Alors pour ne pas vous retrouver dans la délicate situation de François Fillon en mars 2017, en pleine campagne présidentielle face à des personnel hospitaliers de l'Ehpad de Bry-sur-Marne (Val-de-Marne), ne coupez pas dans le personnel, embauchez! Vos limiterez l'impact des crises sanitaires que vous allez subir dans votre hôpital virtuel.

Vous voulez que je crée de la dette?!
- François Fillon, candidat à l'élection présidentielle de 2017

Pour limiter l'impact des crises, vous pouvez vous appuyer sur vos employés toujours volontaires, et former le peu qu'il reste pour les rendre plus performants.
Pourquoi pas une formation pour augmenter leur motivation? Ce serait un bon investissement. Ce qui est à la mode en ce moment, ce sont les discours conquérants et le champ lexical de la guerre. Pas sûr que ça marche pour tout le monde, mais vous aurez au moins tenté de sauver la face.
Pour la théoricienne du soin, Pascale Molinier, interviewée sur le site ASH, le discours guerrier, et particulièrement celui du président de la République Emmanuel Macron, est "un discours qui est fait pour mettre la pression. Il y a des gens que ça sidère et ils arrêtent de penser, ça les terrifie." 

Prenez soin de votre personnel soignant

La fatigue est un facteur important dans le jeu, et vos soignants ne peuvent pas travailler sans s'arrêter (ce serait trop beau). Ils auront besoin de faire régulièrement des pauses.
A cet effet, construisez une salle de repos, et aménagez-là au mieux. Outre les canapés, vous pourrez débloquer, au fil des parties, la télévision, le jeu de fléchettes, l'indispensable machine à café ou une borne d'arcade. J'ai opté pour une salle assez grande et confortable, j'espère que ce sera suffisant.
Pour certains, l'Etat a failli à sa mission. C'est à d'autres de les soutenir.Et, s'il vous plait, pas de courrier anonyme dans l'immeuble, comme chez cet aide-soignant de l'Aube. C'est pas très classe.

Pour conclure

Two Point Hospital est un jeu de gestion assez sympa, pas anxiogène malgré le contexte actuel. Une fois quelques heures passées dessus, les obstacles ne paraîtront pas insurmontables, à condition de prendre soin de votre hôpital.

A bientôt 

J'éteins l'ordinateur jusqu'à demain, je traverse le séjour et m'affale dans le canapé. L'abîme de l'ennui me guette. Je vous laisse, je dois aller nettoyer les touches du clavier. Bonsoir.
 
A propos de l'auteur
Journaliste à France 3 Lorraine, basé à Nancy.
Quand je n'ai pas de caméra ou de micro dans les mains, je joue au snooker. Si vous ne savez pas ce qu'est le snooker, je ne peux plus rien pour vous. 
Essaie d'être féministe et écolo.
Twitter: @michaelmartinf3
Instagram: @michaelmartinf3
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