Coronavirus: séisme ou guerre, ils ont déjà connu un confinement, ils témoignent

Parce qu'ils ont connu dans leurs pays des guerres ou des catastrophes naturelles, ils peuvent témoigner du confinement qu'ils ont vécu. A Nancy, nous avons rencontré un étudiant haïtien et deux réfugiés ukrainiens qui nous racontent leur expérience et la façon dont ils vivent la situation actuelle.

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Mercredi 18 mars 2020 au matin, sur une place Carnot déserte, j'ai rencontré par hasard un réfugié ukrainien. Il se dégourdissait les jambes, et avait envie de discuter. "Nancy ressemble de plus en plus à Donetsk (la capitale du Donbass)" m’a-t-il confié dans éclat de rire, "sauf que les bâtiments sont encore debout et qu’il n’y a pas de bombardements par l’armée ukrainienne".
Il m’a raconté brièvement la population civile terrée dans les caves pendant des jours, cernée par les hélicoptères de l’armée régulière. Et puis il est reparti en trottinant, un brin moqueur. Je me suis alors demandé comment ceux qui avaient déjà connu un confinement, à cause de la guerre ou d’une catastrophe naturelle, vivaient celui que le coronavirus nous imposait.

Haïti

Depuis trois semaines, nous avons en stage dans la rédaction de France 3 Lorraine un étudiant haïtien de 26 ans, Mackly Ford Cenor. Malgré son jeune âge à l’époque, il se rappelle très bien le tremblement de terre du mardi 12 janvier 2010. "A 17h53 j’étais en cours de littérature haïtienne, lorsque le lycée s’est mis à trembler" m’a-t-il raconté: "nous sommes sortis, et quelques minutes après, tout l’intérieur du bâtiment s’est effondré, nous avons dénombré par la suite dix morts, neuf élèves et un professeur". Il a dormi dehors pendant trois jours, sa maison était fissurée et penchée. Le tremblement de terre a fait 230.000 morts.
Lorsque la vie a repris, c’est l’instabilité politique qui a enfermé la population haïtienne chez elle. En 2018, par trois fois, les hommes armés se réclamant de l’opposition au Président Jovenel Moïse lui ont interdit de sortir pour des périodes d’une à plusieurs semaines. "C’était très dangereux, il y avait des barrages partout. Pour sortir chercher à manger on pouvait se faire tabasser, et même tuer par ces groupes armés, j’avais peur en permanence" tremble Mackly, d’autant que "rien ne fonctionnait, impossible de voir un médecin, ou d’aller à l‘hôpital". Et puis… il s’est habitué, comme la majorité: "la répétition engendre la banalité, on s’est organisé et maintenant le confinement fait partie de la vie des Haïtiens".

Le dernier en date a duré trois mois, de septembre à novembre 2019. Les pénuries d’essence ont de nouveau jeté des hommes en armes dans la rue. Mackly l’a vécu deux mois, "je préparais alors mon départ pour la France, une fois j’ai dû sortir malgré tout pour aller à l’ambassade de France qui se trouve à côté du Palais Présidentiel, je me suis trouvé au milieu d’échanges de coups de feu entre la police et des groupes armés" explique-t-il très calmement.

Aujourd’hui étudiant en sciences politiques, il accepte sans broncher le confinement lié au coronavirus: "je sais m’organiser, je lis, je fais de l’exercice physique, et j'écris pour France Télévisions en télétravail". Paradoxe de l’histoire: Haïti se prépare également au virus, avec deux cas positifs, et prend des mesures de confinement de la population. Ultime pied de nez, Mackly ne peut plus retourner chez lui pour le moment: le pays a fermé ses frontières!

Donbass

La piste ukrainienne m’a mené jusqu’à une institutrice de 33 ans, originaire de Lyssytchansk, ville de 100000 habitants dans l’est du pays. Nous l’appellerons Lilia. Grande, les joues roses, elle se tient à distance, coronavirus oblige, mais pas assez pour ne pas voir qu’elle broie ses doigts, tant l’émotion la submerge. Elle a fui sa ville en septembre dernier, avec sa fille de 7 ans. En juillet 2014, alors que sa ville est tenue par les séparatistes, l’armée ukrainienne la bombarde pendant trois jours. Lilia et sa famille se réfugient dans les caves "mais il n’y avait pas assez de places pour tout le monde, alors certains restaient au rez de chaussée, simplement assis sur des chaises".
De toute façon, impossible de sortir: des snipers sont installés sur les toits. Ceux qui veulent fuir sont abattus sur le seul pont encore debout. "Lorsque les séparatistes avaient pris la ville, la police et les autorités avaient disparu. Ceux qui avaient des armes faisaient la loi. Des gens disparaissaient. Il n’y avait plus rien, ni téléphone, ni internet, ni transport, ni médecins" raconte la jeune femme. Son mari est mort. Elle n’a personne pour la protéger.

Le confinement est bref, mais la suite encore plus pénible: "nous n’avions plus de travail, les entreprises ont été pillées, les commerces et les banques dévalisés, et comme pour le gouvernement ukrainien il ne s’agissait pas d’une guerre , nous n’avons évidemment reçu aucune aide sous prétexte que nous avions soutenu les séparatistes...". Redevenue ukrainienne, la ville n’est pas reconstruite, ses habitants sont suspects: "même ailleurs en Ukraine, on nous accusait de tous les maux parce que nous venions du Donbass, comme si on était responsable de tout".

En septembre 2019, Lilia fuit l’Ukraine avec sa fille pour la France. Elle est hébergée depuis dans un foyer. Elle a accueilli la nouvelle du confinement en France avec sagesse: "ici au moins, on vous dit la vérité, le Président est honnête, il prend des mesures". L’entretien terminé, elle tient à ajouter que si elle continue à souffrir psychologiquement de ce qui lui est arrivé, elle se souviendra toujours de "la solidarité des habitants des villes alentours qui venaient nous amener à manger, nous conduisaient dans leurs voitures, nous donnaient des affaires".

Donbass encore

Notre traducteur, nous l’appellerons Vladimir, a lui aussi été chassé d'Ukraine par la guerre: "en 2015, j’ai été enlevé par des paramilitaires qui voulaient que je m’engage avec eux pour aller me battre contre les séparatistes. Mais je suis russophone, je refusais d’aller tuer mes frères dans l’est du pays! Ils m’ont battu et torturé pendant trois jours dans une cave. Trois jours de chaos total, je ne savais pas si j’allais vivre ou mourir. Je ne savais pas où j’étais. J’ai réussi à m’enfuir, mais ils ont tabassé mon père ensuite. Quand j’ai su par un ami policier qu’ils étaient toujours à ma recherche, ma sœur a payé un passeur, et je suis arrivé à Nancy".
Le confinement le fait sourire: "j’ai une épicerie dans ma cave, je peux tenir des mois". Plus sérieusement, Vladimir nous confie dans un français impeccable: "moi aussi j’ai confiance dans les autorités de votre pays, j’ai l’impression que votre gouvernement met tout en œuvre pour vous protéger, dans le mien c’est l’inverse".

Avant de me quitter place Carnot, le réfugié ukrainien qui m’avait soufflé cette idée de sujet m’avait dit quasiment la même chose: "j’ai regardé votre Président à la télévision, je l’ai trouvé convaincant et honnête. Mais lorsqu’il parle de guerre, il ne sait pas ce que ce mot signifie vraiment. Même si j’aime votre pays et que je vous apprécie, vous les Français, je veux vous dire que vous n’êtes pas du tout prêts à subir une guerre".
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