Le maire de Nancy assure qu'il n'est pas en campagne. Depuis le report du second tour des municipales et la crise du Covid-19, Laurent Hénart assure agir pour le bien des Nancéiens mais en coulisse, des voix s'élèvent. Si la période impose l'action, doit-elle se prêter autant à la communication ?
C'était sur le plateau de France 3 Lorraine le soir du premier tour des élections municipales. Laurent Hénart commentait le score obtenu par sa liste (34,71%). Un score “décevant” qui le plaçait en seconde position, trois points derrière son challenger, le socialiste Mathieu Klein. Laurent Hénart, soutenu par LR et LREM est en ballotage défavorable... Un dimanche historique pour la gauche. Un dimanche catastrophique et à oublier pour la droite et le centre. Pour expliquer cette contre-performance, Laurent Hénart avance alors plusieurs arguments : ceux de l'abstention mais surtout son emploi du temps : “ Depuis qu'on est passé au stade 2 puis au stade 3, mon temps est consacré à la gestion de la crise. Il faut savoir risquer une élection pour faire son travail de maire”. En clair : il lui a été impossible de faire campagne en raison de la gestion de la crise du coronavirus... contrairement à son adversaire. Le combat n'a finalement pas été loyal... Des arguments massues dans un contexte où règne l'incertitude électorale. Le report du second tour n'est annoncé que le lendemain par le président de la République en raison de la propagation du coronavirus. Officiellement, la campagne est suspendue. Mais une autre campagne a déjà débuté.
L'après 15 mars
Dès lundi, Laurent Hénart se met en ordre de bataille. Sur son site de campagne, on peut désormais lire : “Depuis trois semaines, la nécessité de gérer la crise du Covid-19 m’a conduit à me consacrer uniquement à ma responsabilité de maire... Vaincre l’épidémie et protéger les Nancéiens sont les seules priorités. Seul le retour au calme permettra un débat démocratique serein et constructif”. Rendez-vous donc après la crise qui remettra les compteurs à zéro ! D'ici le 21 juin, date annoncée du second tour des municipales, Laurent Hénart, qui reste maire, doit prouver qu'il est l'homme de la situation... Il doit marquer d'entrée les esprits. Imposer son visage comme celui de la lutte contre l'épidémie. Inutile de changer de chef. La crise du coronavirus apparaissait comme un boulet avant le premier tour, elle semble maintenant lui donner des ailes.
Lundi 16 mars 2020, sa première communication concerne les enfants des personnels soignants. La ville de Nancy a tout mis en oeuvre pour les accueillir et permettre à leurs parents de travailler. Quoi de plus respectable à une nuance près. Pour communiquer sur le sujet, Laurent Hénart se met (déjà) en scène. C'est lui, sans masque, qui ouvre la porte aux enfants. Pourquoi pas ?
Mais tout s'accélère et le rendez-vous qui va donner la pleine mesure de cette personnalisation de la gestion de crise, c'est la mise en place d'un Facebook Live à partir du lundi 16 mars 2020. “Ah le bulletin météo de Laurent Hénart !” ironise un élu. Pas un membre du service de communication pour le porte-parolat, c'est le maire en personne qui s'y colle. Un pupitre, une plante verte... et même une traduction en langue des signes au bout de quelques jours. Le rendez-vous, du lundi au vendredi à 12h15 a des allures de communication gouvernementale.#COVID19
— Laurent Hénart - Compte institutionnel (@LHenartMaire) March 16, 2020
Dès 7h30 ce matin j’ai accueilli les enfants à l'école Émile Gallé à #Nancy. Toutes les mesures de sécurité sont prises (thermomètres, désinfection des locaux, gels...) par @VilledeNancy et je suis entièrement mobilisé pour le suivi de cette crise sans précédent. pic.twitter.com/Z7RnpIuEzp
La présence de Laurent Hénart sur Facebook, c'est clairement un outil de communication pour sa réélection
- Loïc Ballarini, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication
“Il manque cependant le drapeau français et européen” tempère ironiquement Loïc Ballarini, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Lorraine et coresponsable du Master Journalisme et médias numériques à Metz, “c'est fait avec les moyens du bord mais ça reste très pro sauf le jour où il annonce le couvre-feu... Il y a un problème de son et il rate son effet d'annonce... C'est assez drôle. Mais au delà de l'anecdote, la présence de Laurent Hénart sur Facebook, c'est clairement un outil de communication pour sa réélection. Il prend soin de ne froisser personne, de remercier ses services... La situation est compliquée pour Laurent Hénart depuis le soir du premier tour, il est clair que la politique ne s'arrête pas. De toute façon, le sortant est toujours accusé de mettre les moyens de la ville à sa disposition, pour ses ambitions personnelles. Mais ce Facebook Live quotidien a bien évidemment une double fonction.”
Pour ce rendez-vous, Laurent Hénart distille pendant une vingtaine de minutes les mesures prises par la ville de Nancy et répond aux questions des Nancéiens sur la crise du Covid-19. Des problèmes de stationnement à la fermeture des parcs en passant par la garde d'enfants, le spectre d'intervention est très large et à dominante pratique. 32 000 vues pour le premier Facebook Live qui cartonne mais qui a du mal à tenir la distance. Le 30 mars, l'audience a déjà été divisée par trois.
Chef de guerre, comme Emmanuel Macron
Qu'importe, la stratégie de communication est affichée. Laurent Hénart marche, à sa façon, sur les traces du président Macron. Lui aussi, endosse le costume local de chef de guerre pour fédérer. “ll y avait une période où la presse municipale, la presse institutionnelle était souvent accusée de mettre le maire en photo, quatre fois par page” poursuit Loïc Ballarini, “ça s'est calmé ! Les politiques se sont rendus compte qu'il ne pouvaient plus communiquer comme ça. Mais en période de crise, on y replonge ! Chez Laurent Hénart, avec ce rendez-vous, il y a une envie de se bâtir une stature quasi gaulienne... et de monter une marche ou deux pour le prestige. Il affirme qu'il prend personnellement les choses en main. Il occupe le terrain et il donne le tempo. C'est aussi très risqué car il s'expose beaucoup. C'est hyper-personnalisé... Si un jour, il y a un couac, le retour, ce sera pour lui et personne d'autre !”
Une stratégie qui atteint des sommets dimanche 29 mars 2020 à la gare de Nancy lors de l'évacuation de malades lorrains vers l'ouest de la France. “Moi, je connais du personnel hospitalier qui a été excédé par son comportement, notamment le personnel soignant” rapporte ce connaisseur de la vie politique nancéienne, “je ne doute pas de sa démarche mais en ce moment, il en fait parfois un peu trop ! Le grand public ne voit souvent que l'action et là, c'est évident, Laurent Hénart cherche à incarner l'action. C'est aussi une façon de rassembler les gens autour de lui sans oublier les services de la ville où il n'avait plus trop la cote !” Qu'il agisse et qu'il soit nécessaire d'agir, personne ne le conteste mais la méthode est finalement très discutée.
Autre confession de ce journaliste qui a assisté à l'opération de transfert de TGV médicalisés au départ de Nancy : “Laurent Hénart a sorti le grand numéro. Il était en campagne, c'était flagrant. Il est clair qu'il veut en tirer un bénéfice. Mes confrères, eux aussi, ont halluciné !” Laurent Hénart n'a pas manqué de communiquer sur le sujet. Et parmi les photos sélectionnées : la première, la plus importante, celle qui donne le ton. La presse qui s'adresse solennellement à lui : c'est vraiment l'homme de la situation.
Le #TGV transportant des patients du @CHRU_de_Nancy et de #Metz est parti de #Nancy vers 11h. Respect et hommage à l'ensemble des personnels mobilisés pour ce tour de force logistique et médical.@samudeparis @CHUBordeaux @CHCoteBasque #Pau @ch_libourne @Protec54 @chr_metz_thion pic.twitter.com/nWGJPKEUP6
— Laurent Hénart (@LaurentHenart) March 29, 2020
Car ses fonctions de maire de Nancy lui confèrent aussi d'être président du Conseil de surveillance du CHRU (Centre Hospitalier Régional Universitaire). C'est aussi à ce titre que sa présence se justifie sur place. Mais si la période se prête à l'action, doit-elle se prêter autant à la communication ? Son rôle et sa mission de maire, personne ne les remet en doute. C'est leur application formelle qui en fait tousser plus d'un.
Car en amont de cette opération de “Transfert sanitaire”, Laurent Hénart n'a pas manqué de cultiver sa stature d'homme d'état. Le maire de Nancy, par ailleurs président du Mouvement radical, peut parler d'égal à égal avec le ministre de la Santé, Olivier Véran. Qui peut rivaliser avec lui à Nancy ?
Nous en avons effectivement parlé hier avec @olivierveran et la direction générale du @CHRU_de_Nancy, dont je préside le Conseil de Surveillance.
— Laurent Hénart (@LaurentHenart) March 27, 2020
Les équipes travaillent actuellement sur ce train pour libérer des lits. #Nancy #COVID19france https://t.co/GnC40yJWWR
Et lorsque le 22 mars, Laurent Hénart y va de son petit tweet en allemand pour remercier Tobias Hans, ministre-président de Sarre pour la prise en charge des patients français par les hôpitaux du land allemand de Sarre, c'est aussi une façon de rappeler que le maire de Nancy a une stature internationale. “Ich spreche deutsch”... Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires Etrangères, n'aurait pas fait mieux !
#COVID19
— Laurent Hénart (@LaurentHenart) March 22, 2020
Wir danken Tobias und unseren Freunden aus dem Saarland für ihren Vorschlag, der es französischen Patienten mit Covid-19 ermöglicht, in Deutschland behandelt zu werden ! ?? ??
1/2 https://t.co/lfWiszwDHw
Conséquence de toute cette opération, un plan média inespéré. “Il n'a jamais fait autant de télés“ ironise cette observateur de la vie politique locale. La semaine, le Facebook Live fait presqu'office d'entrainement pour le week-end où Laurent Hénart a trusté les plateaux des chaines infos. De Cnews à France Info, il était partout. Dans le monde médiatico-politique, on appelle cela l'hyperprésence.
Ces évacuations de patients par TGV, hélicoptères et avions médicalisés montrent la solidarité entre nos régions et en Europe. C’est un bel encouragement pour tous les personnels qui sont en première ligne. Vous n’êtes pas seuls, c’est une immense communauté qui s’organise ! pic.twitter.com/L7WajWCF4r
— Laurent Hénart (@LaurentHenart) March 29, 2020
A tel point que certains membres de sa liste ne peuvent s'empêcher de l'encenser. Illustration avec Amina Dahoun, 16ème sur la liste Nancy Positive, menée par Laurent Hénart, qui n'hésite pas à parler de “vrai maire” pour saluer les initiatives de l'élu. A part ça, la campagne est en suspens...
Un maire en responsabilité qui prend à bras le corps la crise sanitaire et qui s'implique sans relâche dans la protection de ses administrés et qui en fait une priorité : un vrai maire pour la ville ??
— Amina Dahoun (@AminaDahoun) March 19, 2020
Bravo à Laurent HENART https://t.co/TY8ypzUo8i
Couvre-feu : le coup de maître
Mais son plus beau coup, c'est assurément la mise en place du couvre-feu. D'abord à Nancy mais aussi dans les 19 autres communes de l'agglomération nancéienne. “Vous imaginez un maire ou un opposant lui dire qu'il n'est pas d'accord avec cette mesure“ rapporte un élu, “en ce moment, il se grille !”
“Il y a une chape de plomb, on ne peut finalement rien dire, ni rien faire car on doit être dans l'unité ou la solidarité dans cette crise. Mais certains en profitent pour se refaire une santé politique” poursuit cet autre observateur “et actuellement, c'est très déplacé de parler politique ou d'enclencher une polémique ! Ce serait hors-sol !”
#covid19
— Laurent Hénart (@LaurentHenart) March 26, 2020
J'ai pris la décision d'instaurer un #couvrefeu et d’interdire les regroupements à #Nancy pour faire en sorte que les efforts de #confinement consentis par une large majorité de la population ne soient pas compromis par le comportement de quelques uns. @CNEWS pic.twitter.com/xPaA2aRs33
#COVID19
— Laurent Hénart (@LaurentHenart) March 26, 2020
?? Je reviendrai à 11h sur @BFMTV sur la mise en place du couvre-feu à #Nancy, nécessaire pour protéger les Nancéiens dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire.
? @NunezLaurent, sur les couvre-feux :
— TF1LeJT (@TF1LeJT) March 26, 2020
"Ces mesures que l'État prend avec les communes comme c'est le cas à #Nancy sont très efficaces. Nous avons quelques dizaines de mesures prises sur l'ensemble du territoire".
? #LE13H @TF1. pic.twitter.com/itZLDxRIJl
La ville de Nancy, citée par Laurent Nuñez, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Intérieur, au 13h de TF1, c'est le début de la consécration. Bingo ! “Un des premiers réflexes en temps de crise, c'est de prendre des décisions sécuritaires pour montrer qu'on maîtrise la situation” explique Loïc Ballarini. “Laurent Hénart soutient le gouvernement et la politique d'Emmanuel Macron. Il a d'ailleurs eu les soutiens de LREM lors de sa campagne” poursuit l'universitaire, “le problème, c'est qu'en ce moment, la crise fait apparaître toutes les contradictions du pouvoir. Un pouvoir aux abois et dépassé, car il n'a rien anticipé, et qui donne des injonctions parfois contradictoires... Laurent Hénart doit composer avec tout ça et s'en détacher localement. A Nancy, il doit montrer qu'il n'est pas dépassé et à la ramasse comme le gouvernement. Ici, il doit montrer qu'il gère intelligemment la crise et la mise en place du couvre-feu, c'est une réponse.”
L'exemple de Laurent Hénart, c'est Estrosi à Nice
- Un élu
“Franchement, la situation n'est pas plus dangereuse ou compliquée à Nancy qu'à Metz ou Strasbourg. L'exemple de Laurent Hénart, c'est Estrosi à Nice“ analyse cet ancien élu politique. Il faut dire que l'ancien directeur général adjoint des services de Laurent Hénart, Bastien Nespoulos, travaille aujourd'hui au même poste mais auprès du maire de Nice. Laurent Hénart n'a pas été jusqu'à mettre en place une opération de désinfection dans les rues de Nancy comme à Nice, “mais lorsque la ville de Christian Estrosi a instauré le couvre-feu le 20 mars, Nancy lui a emboîté le pas. Si vous voulez savoir ce que la ville de Nancy va mettre en place, j'aurai tendance à dire : regardez ce qui se passe à Nice ! Après le premier tour, Laurent Hénart a parfaitement analysé la situation. Il n'avait pas d'autre choix que de rebondir. C'est quelqu'un de très solitaire mais qui est tout le temps dans l'analyse. Avec le couvre-feu à 22h, il part aussi à la conquête d'un certain électorat qui l'avait délaissé au premier tour ! Instaurer le couvre-feu à Nancy et l'étendre à toutes les communes de l'agglo, presqu'au garde à vous, c'était très intelligent ! C'est une logique imparable ! C'est de la politique !”
Un boulevard pour Laurent Hénart
Sur la page Facebook de la ville de Nancy, lors des Facebook Live, il y a parfois quelques questions qui fâchent mais nombreux sont les commentaires de ce type : ”Merci M. Hénart, ces vidéos nous rassurent”, “Merci M le Maire pour vos réponses claires et précises. Vous gérez cette crise sanitaire d'une main de maître. Bravo !”, “Bravo monsieur le maire de Nancy, Vous êtes présent pour rassurer les Nancéiens dans ce moment difficile pour tous. C'est ça être maire au service de la population. Pendant se temps d'autres se la coulent douce en attendant le deuxième tour !”
Un maire qui gère aussi bien cette terrible crise doit être réélu
Sur les réseaux sociaux, il y a même une petite musique qui monte : “Un maire qui gère aussi bien cette terrible crise doit être réélu. Merci à vous Monsieur L. Henart”
Un maire qui gère aussi bien cette terrible crise doit être réélu.
— VIEL (@VielEmmanuel) March 28, 2020
Merci à vous Monsieur L.Henart ?
Rassurer, agir, communiquer … A part ça, craché, juré, Laurent Hénart n'est pas en campagne. Et même sa plus farouche opposante, Françoise Hervé, n'a pas souhaité commenter son action : “Je m'abstiendrai d'en parler, je garde mon opinion pour moi dans ces moments difficiles.” Laurent Hénart a finalement réussi à tout verrouiller. Plus personne n'existe derrière lui... en ce moment. Mathieu Klein gère les affaires du Conseil départemental de Meurthe-et-Moselle. Médiatiquement, il a quasiment disparu des radars et a décidé de ne pas entrer dans une opposition frontale. Un boulevard... pour la réélection de Laurent Hénart !