L’intelligence artificielle peut-elle assister les médecins pour rédiger la synthèse de leurs consultations ? C’est le pari et la promesse de Doctolib qui devrait dévoiler son nouvel assistant à base d’IA le 15 octobre. Nous avons posé la question à un médecin bêta testeur du Grand Est.
Depuis le début de l’année, 360 médecins en France testent en avant-première un outil qui pourrait, selon Doctolib, "révolutionner" leur quotidien : un nouvel assistant de consultation basé sur une intelligence artificielle. Ce dispositif sera officiellement dévoilé le 15 octobre.
Dans un premier temps, cet assistant s’adresse aux médecins généralistes et aux pédiatres. Entraîné sur des consultations typiques de ces spécialités, il promet de simplifier la prise de notes et la rédaction de comptes rendus. Une version adaptée aux médecins spécialisés pourrait être opérationnelle en 2025.
La promesse de Doctolib
Doctolib promet monts et merveilles aux médecins. Sur son site l’un des chefs de file de la prise de rendez-vous médicaux en ligne, en France, diffuse une vidéo dans laquelle, elle présente une "petite révolution". Une intelligence artificielle pour se concentrer sur la consultation sans prise de notes "votre patient dans les yeux. Grâce à l'intelligence artificielle, concentrez-vous sur vos patients. Et rien d'autre."
Un représentant de Doctolib nous explique : "C’est un outil qui analyse l’audio de la consultation entre le soignant et le patient. L’ordinateur fait une écoute active. Il ne remplace pas le médecin. Il prépare la synthèse pour lui. Cela permet au médecin de se débarrasser de la prise de notes pendant la consultation, ce qui est assez chronophage. C’est une vraie charge mentale si l’on veut prendre des notes de manière exhaustive. L’outil propose une synthèse structurée qui doit être relue et validée par le médecin."
Sécurité et confidentialité des données
Doctolib insiste sur la confidentialité des données : "L’assistant de consultation est activé par le médecin après en avoir informé le patient qui peut refuser à tout moment. Le dialogue entre le médecin et son patient n’est ni enregistré ni stocké. Les données et informations générées ne vont nulle part. Elles restent dans l’ordinateur du médecin."
Simple à utiliser mais encore un peu limité
Un médecin bêta testeur, basé dans le Grand Est, qui utilise le dispositif depuis quelques mois, a accepté de nous répondre. Il est passionné par l’innovation, en recherche permanente d’outils pour améliorer l’exercice de sa profession pour une meilleure prise en charge de ses patients : "J’avais déjà mis en place un système de dictée vocale sur mon ordinateur pour gagner du temps pour les observations, mais il commettait beaucoup trop de fautes. Je l’ai donc désinstallé. J’ai entrevu qu’avec un système de reconnaissance vocale, couplé à l’intelligence artificielle, on arriverait probablement à améliorer les performances. Et cela m’intéressait de voir si cela pouvait fonctionner."
Le médecin bêta testeur prend son rôle au sérieux et ne compte pas, pour autant, oublier les valeurs qui sont les siennes. Pour lui, ce qui prime, c'est le patient et son intérêt. "À la fin de la consultation, on peut évaluer la qualité de la transcription, et la noter même s'il n’y a pas d’obligation. On peut aussi ajouter des commentaires." Pour lui, l’utilisation du dispositif est à la portée de tous les médecins : "Une fois qu’on a demandé l’autorisation au patient, on appuie sur un bouton pour activer l’outil. À partir de là, il n’y a plus d’autres actions à effectuer. Il enregistre toute la consultation et à la fin, on clique sur un bouton pour générer la synthèse. Le module est déjà inclus dans le dispositif général Doctolib".
Cependant, il nous explique que l’outil n’est pas encore assez perfectionné : "Dans la version actuelle, on peut utiliser l’assistant de consultation de deux façons. On peut l’utiliser uniquement comme un outil de dictée vocale. Dans ce cas, c’est le médecin qui remplit les cases en appuyant sur le petit micro et en dictant son texte. Et dans cet usage précis, il écrit strictement ce que l’on a dit. Moi, qui, ne demandais rien de plus qu’une dictée vocale performante, quand je l’utilise de cette manière, je suis satisfait. Si la reconnaissance vocale commet une faute, l’intelligence artificielle la corrige."
L’autre utilisation est celle de la synthèse structurée de la totalité de la consultation, la promesse de Doctolib : "L’outil prétend rendre une synthèse structurée. C’est une promesse ambitieuse, mais le niveau de performance est variable. Sur des consultations simples avec un seul motif et un patient pas très bavard, cela fonctionne plutôt pas mal. On obtient des comptes rendus courts, simples, efficaces. Quand il s’agit de consultations complexes avec de nombreux éléments, et parfois des apartés, l’outil est moins performant. Il arrive que certaines informations ne soient pas retenues par l’IA qui estime que ce n’est pas essentiel. Or pour moi, c’est important de tout noter, y compris ces petites choses, même si elles semblent peu importantes sur le moment."
Logique financière
Le médecin évoque aussi des considérations éthiques et des risques que l’outil puisse être détourné à d’autres fins. "Pour un médecin un peu obsessionnel comme moi, qui a des consultations compliquées, qui a des observations très précises, détaillées et personnalisées, l’outil, pour l’instant, ne me fait pas gagner de temps dans sa fonction assistant de consultation. Sans doute pour un médecin, qui a des consultations faciles et qui veut faire de “l’abattage”, cela pourrait convenir."
Il pose la question de plus de patients sans avoir à rédiger de synthèse, qui pourrait être poussée jusqu’à peut-être "ne plus relire" la synthèse. "Il est simple, il est intuitif, mais il n’est pas encore totalement au point pour les consultations complexes. Reste aussi à voir le coût supplémentaire pour les médecins par rapport au service rendu".
Le médecin comprend la démarche de Doctolib et sa volonté commerciale de mettre au point des outils : "Cela reste une logique financière. Il est dans son rôle".
Malgré tout, ce médecin généraliste reste optimiste quant à l’évolution de cette technologie : "Avec le temps et un peu de perfectionnement, l’assistant sera de plus en plus performant. Je suis convaincu, qu’il ne faudra pas longtemps avant que ce module puisse répondre à un niveau d’exigence important, peut-être suffisamment élevé pour que je puisse l’utiliser."
La seule ressource jusqu’à présent qui n’était pas remplaçable par des machines, c’était la ressource intellectuelle
Un médecin bêta testeur
Ce généraliste, dont la parole est franche, s’interroge sur l’avenir de sa profession : "La société, dans son ensemble, dépense beaucoup de temps et d’énergie pour augmenter la rentabilité financière dans tous les domaines. La seule ressource jusqu’à présent qui n’était pas remplaçable par des machines, c’était la ressource intellectuelle. Avec l’intelligence artificielle, la question de la rentabilité financière se pose comme pour les autres domaines."
L’intelligence artificielle n’en est qu’à ses débuts. Cet assistant de consultation pourrait bien, quand il aura été perfectionné, permettre aux médecins de libérer de leur temps. Pour autant, sera-t-il toujours dans l’intérêt du patient ? Cette question mérite d'être posée. Comme mérite d'être posée aussi la question des bases de données qui permettent d'entraîner cette IA.