"J'ai tout perdu" : une journée d'audience au procès de la maxi arnaque financière aux diamants et aux cryptomonnaies

Serge Artiz fait partie des centaines de victimes incitées à investir toutes leurs économies dans des cryptomonnaies ou des diamants. Mais il n'a jamais rien reçu en retour. Vingt-deux personnes comparaissent à Nancy, accusées d'avoir escroqué des particuliers et des clubs de football. Le préjudice est de 28 millions d’euros.

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Depuis trois semaines, chaque matin, avant de se rendre au procès "Carton rouge", au palais des congrès, près de la gare de Nancy (Meurthe-et-Moselle), Serge Artiz, 76 ans, fais un détour par la brasserie l'Excelsior, "pour prendre un café". C'est là qu'il nous raconte son histoire mardi 5 novembre 2024. 

Serge était formateur dans la vente d'électroménager. Puis à 55 ans, il se retrouve au chômage. Une longue période pendant laquelle il ne retrouve pas de travail. Au décès de sa mère, en 2015, il récupère un héritage de 60 000 euros. "Financièrement, tout va mieux".

Et le site est plutôt bien fait avec des tableaux, des graphiques, j’y ai cru.

Serge Artiz, investisseur arnaqué

À ce moment-là, en regardant la télévision, il voit un reportage sur les profits possibles avec l'achat de bitcoin. On promet, pour un euro investit, de récupérer 40 000 euros, "et donc je me dis, c'est quoi ce truc". Quelque temps après, il reçoit dans sa boîte mail un message, "pour faire ce même type de placement". Alors Serge, n'hésite pas une seconde. "Je clique. Je me connecte. J'y vais. Je donne mon numéro de téléphone. Et on m’appelle tout de suite". Un démarchage efficace et l'escroquerie débute ce jour-là. 

Il décide de faire un essai. D’abord 1000 euros. Et puis rapidement, il récupère 1500 euros. "Je retire tout l’argent, mon capital plus les intérêts". Tout se déroule comme prévu. Rapidement, on le rappelle avec des arguments commerciaux qui tiennent encore la route. "Vous voyez monsieur, vous pouvez nous faire confiance". Et donc là, il met 2000 euros. Et Serge récupère encore une petite somme  d'argent, "un bénef de 400 euros". Soit 2400 euros. Sans rien faire.

Comme il a le temps, à la retraite, Serge se connecte plusieurs fois par jour sur internet, "et le site est plutôt bien fait avec des tableaux, des graphiques, j’y ai cru".

Arguments commerciaux

Mais la machine s’emballe vite. Au téléphone, le "commercial" lui propose d’investir les 60 000 euros. Toute sa fortune, son héritage, "j’y vais les yeux fermés". Pour lui, ça tient la route. 
Quelques mois plus tard, il veut tout récupérer "et là on m’a dit, "ah mais ce n’est pas possible"". L’argent pour l’instant est à l’étranger, "mais il faut payer une taxe de 7000 euros". Alors, croyant bien faire, Serge paye la taxe. Mais il ne voit toujours rien venir. Il appelle, rappelle, rappelle, et finalement, on lui dit que pour l'instant "le virement est bloqué. Il faut donc attendre".
L’argent est dehors et il ne sait pas où. Puis... "il y a sept ans, un matin, je reçois un coup de téléphone d'un capitaine de gendarmerie de Lyon".

-Allo, monsieur Artiz ?

-Oui.

Vous habitez Argelès, près de Perpignan?

-Oui.

-Vous avez investi dans les bitcoins ?

-Oui. 60 000 euros.

-Et bien monsieur vous vous êtes fait arnaquer.

-Je m’en doutais.

-Oui. Maintenant, il faut porter plainte.

De désarroi en désarroi, il rejoint une association. Et il porte plainte. Pendant "la bataille", Serge va divorcer, "ma femme ne supportera pas".

Une organisation structurée

Puis vers 9 heures, mardi 5 novembre, on se dirige vers le palais des congrès Jean Prouvé de Nancy (Meurthe-et-Moselle). Il s’est donc transformé en tribunal pour accueillir les plus de 800 parties civiles, sur les 1300 victimes estimées. Vingt-deux prévenus, près de 160 avocats, pour un préjudice de 28 millions d'euros. 

À l’intérieur de la grande salle, il fait sombre. Face au public, côte à côte, on retrouve les membres de la défense et ceux de l’accusation. Et les magistrats. Serge retrouve son avocat, "je suis un peu en retard, j’étais avec le journaliste". Arnaud Delobel est avocat au barreau de Rennes. Il est spécialisé en droit public des affaires. "On espère faire quand même condamner les auteurs et peu importe les sanctions pénales. Pour récupérer le plus d’argent possible. Aujourd’hui, on est encore en cours de match et rien n’est perdu". 

L’information judiciaire a mis en évidence une vaste organisation fonctionnant selon une stricte répartition des tâches.

Jirs de Nancy

La journée d'audition débute à 9h20. "Mesdames et Messieurs, bonjour, l’audience est reprise". Puis déroulement de l'audience et présentation du prévenu du jour.

-Bonjour monsieur M.

Interpellation à l’aéroport Charles-de-Gaulle. Perquisition. Photos des chèques, des captures d’écran des comptes bancaires sur l’ordinateur. Ce qui nous interpelle, c'est la fréquence de vos séjours en Israël, au Pakistan, rappelle le procureur en s'adressant au prévenu appelé à la barre.

"L’information judiciaire a mis en évidence une vaste organisation fonctionnant selon une stricte répartition des tâches et dont les commanditaires étaient installés en Israël. Au total, 199 comptes ont été ouverts dans 19 pays différents", précise dans son communiqué la Jirs de Nancy. Comme Serge, des centaines de particuliers ont été bernés.

Serge Artiz a été entendu dans l'après-midi. "Pour moi c'est le jour J." Une nouvelle fois, il racontera son histoire. Les audiences se succèdent depuis déjà deux semaines emmenées par des procureurs. Les faits remontent entre 2016 et 2018. Ils sont jugés par la Juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) de Nancy. Vingt-huit sites internet frauduleux étaient identifiés. Les ventes de diamants ou de bitcoins proposées par la quasi-totalité de ces sites étaient totalement fictives.

C’est l’arnaque aux agents sportifs qui a précipité la chute des escrocs. Une banale mise à jour bancaire. Des clubs de football, Angers, Sochaux et Toulouse, virent les salaires demandés, plus de 63 000 euros au total, sans se douter qu’ils enrichissent un faussaire, qui transfère les fonds en Bulgarie.

Pendant toute la durée du procès, Serge Artiz a loué un Rbnb, en centre-ville, "à mes frais". Maintenant, il sait bien que récupérer tout son argent, sera une épreuve, "j'ai tout perdu. J'ai perdu beaucoup d'argent". Un parcours du combattant. Alors ce procès apparaît pour lui comme sa seule chance de salut. Vous espérez récupérer votre argent ? "Ah ah ah ! vous croyez au miracle de Lourdes ?"

Les jugements sont attendus pour le 15 novembre 2024.

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