La proximité du Luxembourg et le dynamisme de son économie confrontent la Lorraine Nord à trois enjeux majeurs : rééquilibrer un marché de l’emploi atone, calibrer les réseaux de transports saturés et préserver la biodiversité soumise à une forte pression foncière.
Le dynamisme de l’économie luxembourgeoise est à double-tranchant pour la Lorraine Nord. S’il offre des opportunités de travail pour les français, il assèche aussi le vivier des salariés pour les employeurs lorrains. Le problème est moins d’embaucher que de conserver la main d’œuvre. Dès qu’une occasion se présente, les travailleurs formés partent au Luxembourg profiter de meilleures conditions de travail. Souvent au détriment de la qualité de vie.
Les raisons sont multiples :les salaires sont plus élevés, de même que le niveau des retraites et des prestations sociales. A cela s’ajoute le fait que des actifs ne trouvent pas de postes équivalent côté français. C’est le cas pour les métiers hautement qualifiés dans la finance par exemple.
- Michael Vollot, chargé d’études Observatoires et développement humain chez Agape
Un secteur en souffrance
La proximité du Luxembourg n’empêche pas la Lorraine Nord d’accuser un taux de chômage de 8,6%. Il touche la population la moins qualifiée. Si avec 52000 emplois la Lorraine est la 3ème région industrielle de France, elle souffre de plusieurs handicaps.La Lorraine en général et l’industrie en particulier souffrent d’une mauvaise image. Pourtant la région a des atouts, elle a une tradition et des savoir-faire industriels qui attirent les investisseurs. Il faut porter l’effort sur les formations, les compétences. Nous avons toujours besoin de soudeurs, de tuyauteurs par exemple. Des métiers très demandés.
- Hervé Bauduin, président de l’UIMM Lorraine
Une hémorragie dans les métiers de la santé
La fuite des compétences n’affecte pas que le secteur de l’industrie. Il touche aussi les métiers des services et surtout de la santé.Des promotions complètes d’infirmières sitôt sorties de l’école partent au Luxembourg. Ce phénomène touche aussi les médecins et les spécialistes.
- Vollot Michaël, chargé d'études Observatoires et développement humain. Agape Lorraine Nord
Une fatalité ?
Des voix s’élèvent chez les élus pour réclamer au Luxembourg une compensation financière. Ils estiment qu’il n’est pas normal que la France supporte le coût des formations des salariés sans bénéficier en retour d’une part des recettes fiscales du travail.
Le MEDEF et l’UIMM plaident pour l’instauration d’une zone de transition fiscale sur la bande frontalière. Deux réunions sur ce thème ont déjà eu lieu à Bercy. Pour rééquilibrer le marché de l’emploi il faut attirer l investisseurs en agissant sur le curseur fiscal et en fournissant les compétences. Il faut accentuer l’effort de formation des jeunes et en particulier des jeunes filles
- Hervé Bauduin, président de l’UIMM Lorraine
L’UIMM prône l’idée d’une "ingénierie sociale" visant à mieux accompagner les salariés dans les mutations à l’œuvre dans le monde du travail côté lorrain. La clef du développement ne réside pas dans une concurrence frontale avec le Luxembourg mais dans l'augmentation de la main d'oeuvre qualifiée.
Urgence 2035
Les analystes de l'Agape préviennent sur la convergence de deux phénomènes qui risquent d’aggraver l’assèchement de la main d’œuvre en Lorraine : le vieillissement de la population active allemande et Bruxelles qui attire toujours plus de travailleurs belges. La Lorraine risque de devenir pour le Luxembourg l’unique réservoir de main d’œuvre disponible.
Le casse-tête de la mobilité
Un actif français sur deux résidant dans l’agglomération de Longwy travaille au Luxembourg. Ils sont 30 % dans le périmètre de l’Agence d’Urbanisme et de Développement Durable Lorraine Nord Agape qui regroupe 23 communes et 5 intercommunalités.
Depuis 2015, 70000 travailleurs français supplémentaires passent la frontière luxembourgeoise. Cette augmentation dépasse les calculs des prévisionnistes. On attendait 29716 frontaliers en 2019, ils sont 31400.
Une dynamique portée par l’attractivité toujours croissante du marché de l’emploi luxembourgeois.La mobilité est devenue l'enjeu numéro un du territoire. Le Luxembourg crée 250 emplois supplémentaires par semaine.Un travailleur sur deux est français
- Godefroy Stéphane, chargé d’études et coordinateur du projet MMUST
Thrombose à l’horizon : Le double impact des flux humains et marchandises
Si la Lorraine Nord profite de l’attractivité du Luxembourg, cette situation de dépendance engendre de sérieux problèmes de circulation. Les infrastructures routières et ferroviaires sont saturées. La prévision de 100000 travailleurs frontaliers supplémentaires d’ici 2035 additionnée à l’explosion attendue du trafic des marchandises font craindre un risque de paralysie des réseaux de transport.
Les deux plateformes logistiques d’Athus en Belgique et de Bettembourg au Luxembourg génèrent un important trafic qui se surajoute à une circulation importante sur des axes saturés.
- Godefroy Stéphane, chargé d’études et coordinateur du projet MMUST
MMUST: devenir l’outil de référence de la mobilité transfrontalière
Mis au point par l’agape, MMUST est un outil d’aide à la décision en matière de mobilité transfrontalière dans la Grande Région. Ce projet européen a été lancé en 2018 et sera opérationnel en 2021.MMUST est un outil collectif de modélisation des trafics pour mieux calibrer les infrastructures.Cela permet de tester de nouvelles offres de transport et voir les effets de la fluidité de la circulation des hommes et des marchandises
- Godefroy Stéphane, chargé d’études et coordinateur du projet MMUST
MMUST a une dimension européenne. Il vise à harmoniser les données afin de créer une base commune pour les quatre pays frontaliers : France, Allemagne, Belgique et le Luxembourg.
Cet outil qui exige une gouvernance commune transfrontalière. Il permettra de tester différents scénarios de mobilité à l’horizon 2030-2040. Il est destiné aux décideurs et aux autorités afin d’anticiper et d’adapter les réseaux de transport afin d’améliorer le quotidien des frontaliers.
Environnement: préserver la continuité écologique
La trame verte et bleue locale est un concept élaboré par l’agence d’urbanisme et de développement durable de la Lorraine-nord. Elle vise à préserver la continuité écologique du territoire.
Il s’agit de respecter la règle : Eviter, réduire, compenser
- Schmitz Julien, Directeur Agape Lorraine Nord
Ce maillage est constitué de prairies, forêts, jardins, mares, cours d’eau. Elle vise à réduire l’impact écologique du développement urbain et à préserver la libre circulation des espèces animales.
Allier développement urbain et protection de la biodiversité
C’est un outil à la disposition des élus et des décideurs. Il se présente sous la forme d’une cartographie précise du territoire. Cette cartographie se superpose à chaque projet d’aménagement susceptible d’impacter le maillage écologique.
La prise en compte de notre environnement est une nécessité
- Boudart Lionel, Maire de Baslieux et élu référent trame verte et bleue locale
Le Pays-Haut bénéficie d’un gros potentiel naturel. Selon l’agence, loin d’être un frein au développement c’est un atout pour le territoire. Cinq ans ont été nécessaires pour modéliser le déplacement des espèces et produire une cartographie fine des continuités écologiques. Des sites inattendus comme les vestiges de l’ancienne activité sidérurgique et minière reconquis par la nature sont devenus des réservoirs de la biodiversité.
Les sites naturels préservés sont un plus pour le cadre de vie des habitants
- Rouquette Marion, chargée d'études biodiversité et planification Agape Lorraine Nord
Les anciennes voies ferrées industrielles aujourd’hui abandonnées constituent un excellent exemple pour un projet double : aménagement de voies pour mobilité douce et préservation de la faune et de la flore.
Développer l’attractivité du Pays-Haut
Comme les animaux, la trame verte et bleue ne connait pas de frontières. Elle est un outil collaboratif qui associe les voisins belges et luxembourgeois.
Le côté belge compte beaucoup d’espaces classés Natura 2000. En reliant ses espaces à la trame verte et bleue nous pourrions créer à terme un parc naturel transfrontalier
- Boudart Lionel, Maire de Baslieux et élu référent
L’odyssée de Faunéa
Vous êtes un castor, un papillon ou un lièvre. Vous devez vous déplacer et survivre aux multiples obstacles et dangers engendrés par l’urbanisation.L’odyssée de Faunéa est un jeu de plateau conçu par l’Agape. Il vise à sensibiliser le public à la nécessité de partager le territoire entre les humains et la faune sauvage.
Il s’agit aussi de convaincre les élus que la trame verte et bleue n’est pas un frein au développement local mais un atout pour développer l’attractivité du territoire.
Elle assiste les collectivités publiques dans la conception et la mise en oeuvre de politiques d'aménagement dans la limite de ses statuts.
Elle tire sa spécificité, au sein du réseau des Agences d'Urbanisme, du périmètre transfrontalier de ses observations, de son implication dans la gouvernance transfrontalière, du polycentrisme de son territoire d'intervention.
En 2018, l’AGAPE compte 49 membres parmi lesquels : 5 intercommunalités, 23 communes, l’Etat, la Région Grand Est, le Département 54, le SCoT Nord 54, l’EPFL, le Pôle Métropolitain Européen du Sillon Lorrain, l'EPA Alzette-Belval, le Syndicat Mixte des Transports de l'Agglomération de Longwy et de nombreux partenaires associés.