Trois scientifiques de l’Université de Lorraine sont à Dubaï. Elles seront aux commandes du rover Rashid qui doit alunir le 25 avril dans le cadre de "l’Emirates Lunar Mission", menée par le Mohammed Bin Rashid Space Center (MBRSC). Une mission embarquée à bord de l’atterrisseur de la société japonaise iSpace et lancée depuis Cap Canaveral le 11 décembre 2022, par le lanceur Falcon 9 de SpaceX.
Grosse pression pour Jessica Flahaut, Evelyn Füri et Marine Joulaud. Ces trois scientifiques de l’Université de Lorraine sont dans un état d’excitation et de stress intense. À la demande du CNES, elles travaillent depuis trois ans à la première mission lunaire des Émirats Arabe Unis. Lancé depuis Cap Canaveral le 11 décembre 2022, par le lanceur Falcon 9 de SpaceX, le rover Rashid est embarqué sur l’atterrisseur japonais HAKUTO-R M1. Il doit alunir ce 25 avril 2023.
Marine Joulaud est doctorante et pour elle, c’est une grande première. "J’ai 24 ans. Je participe à une mission lunaire. J’ai du mal à y croire. Je vais travailler sur des analyses d'objets à la surface de la Lune. J’ai étudié à l’École Supérieur de Géologie de Nancy. C’est comme cela que j’ai rencontré Jessica Flahaut. Elle était venue présenter ses travaux lors d’une conférence." Jessica Flahaut confirme : "Elle est venue me trouver dès le premier séminaire en me disant : je veux faire de la planétologie. Je veux faire tous mes stages dans ce domaine."
C'est la première mission commerciale vers la lune. On pensait que les Américains seraient les premiers.
Jessica Flahautchercheuse en planétologie, chargée de Recherche au CNRS ( CRPG)
Jessica Flahaut, chercheuse en planétologie, chargée de Recherche au CNRS (CRPG), est une habituée des missions lunaires internationales, Curiosity ou encore les Change'4 et change'5, mais cette fois-ci, c'est différent pour, elle aussi. "C'est la première mission commerciale vers la lune", nous explique-t-elle. "On pensait que les Américains seraient les premiers. La NASA a une mission qui décolle le 4 mai 2023. On les a devancés. Ce robot, c'est aussi un peu notre bébé".
Le rover embarque une caméra microscopique qui nous fournira des mesures in situ, c’est comme si nous emmenions un microscope sur la Lune
Evelyn Füri, chargée de recherche au CRPGcnes.fr
Une partie de l'équipe française participera à la mission depuis le CNES à Toulouse. Cette mission est l'occasion pour les chercheurs français et européens de faire des analyses et de tester du matériel. "Quelle est la taille des grains qui recouvrent la surface (le régolithe) lunaire ? De quoi sont-ils composés ? Comment se déplacent-ils ? Autant de questions qui pourraient trouver quelques réponses. " Le rover embarque une caméra microscopique qui nous fournira des mesures in situ, c’est comme si nous emmenions un microscope sur la Lune", indique Evelyn Füri, chargée de recherche au CRPG, sur le site internet du CNES.
Du site d'alunissage au codage
Pour cette mission, nos trois scientifiques ont dû s’entraîner à coder pour pouvoir piloter le rover. Une grande première pour elles. "La préparation a été plus intense les derniers mois", nous explique Marine Joulaud "Cela fait trois ans qu’on y travaille. Nous avons suivi un entraînement intensif aux différentes phases, en particulier à faire les opérations en temps réel avec une copie du rover Rashid. On a travaillé sur la coordination des équipes, les transmissions d'informations. On a appris à coder pour envoyer des commandes au robot. Ce n'était pas si simple."
D'abord, il a fallu choisir le site pour poser le robot. "Avec les données satellites, on devait analyser les sites potentiels", indique Jessica Flahaut. "Pour le site final, Marine a cartographié à la main tous les rochers présents dans la zone d’alunissage pour pouvoir les éviter.
Ces roches sont aussi des objets scientifiques. Cela permet aussi de déterminer la trajectoire que va prendre le robot. On ne saura notre position exacte que 10 heures après l’alunissage." C’est le temps qu’il faut aux informations pour revenir jusqu’à la Terre. C’est à ce moment que l’équipe décidera dans quelle direction le robot se mettra en mouvement.
Objectif : le cratère Atlas
Le site choisi pour le 25 avril est le cratère Atlas. "C’est le principal site visé, le premier" , nous explique Jessica. "C’est mon préféré depuis le début. On peut le voir depuis la Terre au télescope. Il est magnifique." Si le rover s'y pose, la mission sera la toute première à arriver dans un cratère lunaire.
"Si on ne réussit pas à se poser le 25 avril, il reste quatre solutions de secours le 26 avril à Sinis Iridum ; Autre possibilité le 1er mai sur le site Oceanus Procellarum et enfin le 3 mai l’ultime possibilité dans le Lacus Somniorum. Il ne reste plus qu’à croiser les doigts,"Incha'Allah comme on dit à Dubaï".
Trois équipes scientifiques vont se relayer 24 heures sur 24, pendant un jour lunaire, soit 14 jours terrestres. Marine Joulaud, elle est là en secours. " Elle est formée et entraînée pour pouvoir remplacer l'une d'entre nous en cas de besoin. C’est une courte mission. On va maximiser les analyses", précise Jessica Flahaut.
Éclipse lunaire le 5 mai
Une éclipse lunaire se produira le 5 mai, une chance inespérée. Pour Rashid, ce sera une éclipse de soleil. "On risque d’avoir de belles images", prévient Jessica Flahaut. " Mais ce sera aussi l’occasion de faire des mesures scientifiques. "Est-ce que les plasmas changent ? On a des instruments qui surveillent les particules et les environnements chargés. On pourra surveiller la chute de la température grâce à la caméra thermique embarquée".
L'Europe sur la Lune
La mission de Rashid ne s’arrête pas là. En embarquant pour la première fois des caméras CASPEX, développées par le CNES, sur la Lune, le rover va permettre d’évaluer leur résistance à une nuit lunaire.
"Le MBRSC nous a sollicités pour participer à cette mission en 2019, raconte Francis Rocard, astrophysicien et responsable du programme d'exploration du système solaire au CNES. Nous y avons vu l’opportunité d’emmener nos caméras CASPEX sur la Lune, de fournir notre savoir-faire technique et d’en faire profiter la communauté scientifique." La caméra fixée à l’arrière du rover, elle permettra d’étudier l’interaction entre les roues et le sol lunaire. Ces informations faciliteront l’amélioration des rovers du futur."
Pour nos trois scientifiques lorraines, une dernière grosse journée d'entraînement est prévue à Dubaï le 23 avril avant le grand saut lunaire dans le cratère Atlas le 25 avril.