A l'occasion des élections législatives, France 3 Lorraine vous propose deux émissions spéciales d'une heure donnant la parole aux citoyens. Elles sont diffusées les 8 et 15 juin, en amont du premier et du deuxième tour de ce scrutin, à 17h50. Mercredi 8 juin, ce débat est consacré à la fracture sociétale constatée au lendemain de la présidentielle, avec des experts en plateau pour la commenter et la décrypter et des journalistes sur le terrain pour recueillir la parole citoyenne.

A quelques jours du premier tour des élections législatives, nous sommes allés à votre rencontre pour écouter votre parole citoyenne, dans ce moment démocratique tourmenté, sur nos territoires, à l’échelle de l’Europe et à celle de la planète. France 3 vous propose ainsi deux rendez-vous d’une heure, diffusés à 17h50, les 08 et 15 juin 2022. 

Ce mercredi 08 juin, nous sommes partis d'un questionnement : avons-nous encore un horizon commun ? Vivons-nous côte à côte ou face à face ? Aujourd’hui, une impression s'impose : la France ne fait plus corps. Clivages, fractures, partition sont les mots entendus pour qualifier l'état de la nation...  

Alors nous avons voulu vous entendre, écouter vos colères, tenter d'en comprendre les racines, avec nos journalistes sur le terrain et des invités en plateau. La présentatrice du débat, Aurélie Renard, est en duplex avec la plaine des Vosges avec David Bailly, Nancy avec Anne-Sophie Pierson et les Nations à Vandoeuvre avec Grégory Boileau.
Elsa Martin, sociologue, Vincent Bertrand, géographe et François Laval, politologue nous apportent leur expertise à l’occasion de cette vaste photographie des territoires lorrains dans leur diversité, accompagnés de notre journaliste Robin Droulez. 

Voici la vidéo de ce débat :

La campagne : sentiment d’abandon et incompréhension sociétale 

Le premier lieu d’écoute de cette parole citoyenne se fait depuis Bains-les-Bains, 1.500 habitants. Une commune qui illustre bien le sentiment d’abandon des villages ruraux. Sa gare, par exemple, se situe à 5 km du centre et aucune navette ne les relie.

Dans cette 4e circonscription des Vosges, peuplée d’un peu plus de 85.000 habitants, “l’âge médian est de 47 ans”, explique notre journaliste David Bailly, “c’est 6 ans de plus que la moyenne française”. Une population vieillissante qui a le sentiment d’être abandonnée selon le Vosgien Michel Fournier, président de l’association des communes rurales de France : “faiblesse de l’économie, obligation de se déplacer, avec des carburants dont le coût est en hausse”. Ici le taux de pauvreté, comme le taux de chômage, se situent dans la moyenne nationale. Mais le fort vote Marine Le Pen, au second tour de la dernière présidentielle, traduit se sentiment d’abandon. 

Pour la sociologue Elsa Martin, ces territoires ruraux vivent une situation contrastée, où des citoyens à haut revenus, parfois fonciers, côtoient des populations à faibles revenus. Mais ce qui les caractérisent, c’est le départ des jeunes, en particulier des jeunes diplômés, provoquant un vieillissement de ces secteurs. 

A Bains-les-Bains, devant la maison de santé, David Bailly explique qu’il y ici, entre autres, orthophoniste et infirmière mais aucun médecin. Depuis deux ans, nul médecin n’a voulu s’installer.
Denise, retraitée, témoigne dans la salle d’attente : “il faut être malade quand on peut, et pas le week-end, sinon c’est les urgences à Epinal (30 km). Mon médecin il est à Fontenoy-le-Château (à une dizaine de km), il a déjà 70 ans et ne consulte plus tous les jours. C’est compliqué quand on est déjà âgé.” 
Mireille est infirmière ici depuis 20 ans : “Le jeudi, faute de médecin, on accueille ici les patients comme Denise. Mon emploi du temps est plutôt chargé. Ma tournée de patients à domicile débute à 6h30 le matin et se termine le soir vers 20h30. Voire au-delà. Je fais 150 à 200 km par jour.” 

Le Front National -devenu le Rassemblement National- a beaucoup insisté sur ce sentiment d’abandon, sur la question d’éloignement et des services publics.”

François Laval, politologue

Devant l’unique station-service de la commune, les automobilistes du secteur témoignent de l’importance de leur voiture pour les trajets domicile-travail ou leur activité. Et le coût des carburants grève désormais considérablement leur budget.
On nous a incité à retourner dans les campagnes. Aujourd’hui on y est. Mais seule la voiture nous permet d’y circuler. On n’a pas le choix. A part le vélo sur de courts trajets, il n’y a pas d’autres moyens de circuler sur ce territoire”, explique Fabrice, rencontré sur place. 

Pour le politologue François Laval, Il y a bien un lien entre le sentiment d’abandon de ces territoires et le vote extrême.
Traditionnellement, les campagnes étaient plutôt gaullistes, avec des formations de droite qui les représentaient. Mais l’audience de ces dernières a reculé et elles ont progressivement été remplacées par le Front National -devenu le rassemblement national- qui a beaucoup insisté sur ce sentiment d’abandon, sur la question d’éloignement et des services publics.” Engrangeant progressivement des scores de plus en plus importants.  

Pour le géographe Vincent Bertrand, ce sentiment d’éloignement se fait également sentir à travers la difficulté d’accès aux outils de l’information et de la communication, dans un monde hyperconnecté. Et puis il y a aussi un décalage entre les attendus de ces habitants partis s’installer à la campagne et la réalité qu’ils y découvrent. 
Ce dernier point se traduit notamment par les conflits qui sont apparus entre les agriculteurs, souvent installés de longue date et les néo-ruraux, incommodés par les bruits et les odeurs de la campagne.

L’activité agricole ne caractérise plus la ruralité. La majorité de ceux qui y résident désormais sont des employés et des ouvriers. Cela participe au sentiment de ces agriculteurs d’être incompris.

Elsa Martin, sociologue

Julien, ces derniers mois, a vu apparaître 140 pavillons autour de sa ferme. “Quand tous les pavillons ont été habités, notre tranquillité d’agriculteur a disparu. Il a bien fallu qu’on fasse avec eux. Et certains ne veulent aucune des contraintes de la campagne. Le tracteur, il sort tous les jours. On n’a pas le même rythme de vie que ces gens-là. Ça s’est calmé après des débuts difficiles. Mais il a fallu montrer qu’on n’allait pas se laisser faire.” 

Cela s’explique en partie par le fait que “le profil des habitants de la campagne, désormais, est hétérogène”, explique la sociologue Elsa Martin. “L’activité agricole ne caractérise plus la ruralité. La majorité de ceux qui y résident désormais sont des employés et des ouvriers. Cela participe au sentiment de ces agriculteurs d’être incompris. La paysannerie n’est plus celle d’autrefois. Elle s’est rationnalisée. Et les agriculteurs d’aujourd’hui ne sont pas si différents de leurs voisins néo-ruraux.” 

Pour le géographe Vincent Bertrand, il y a là, dans le même espace, deux populations qui n’ont pas les mêmes attentes. D’un côté l’agriculteur qui est là pour produire, nourrir. De l’autre le rurbain qui vient trouver de l’espace, de la verdure et de la tranquillité. Or il ne faut pas oublier que des pans entiers de l’économie reposent sur cette dynamique de retour à la campagne : la construction automobile, le BTP, etc. Mis bout à bout, l’ensemble de ces secteurs d’activités, peut représenter de 30 à 40% de l’économie d’un pays développé.

Il est clair, explique François Laval, qu’il y a “des partis politiques qui ont progressivement découpé le territoire. Le vote extrême en milieu rural bien sûr, qui se fait le héraut des ouvriers et de ces territoires. Mais également ceux qui représentent l’électorat urbain. Par exemple, avec la percée des écologistes dans les grandes villes, qui remplacent progressivement les socialistes et assurent être là pour préserver l’environnement, mais sans forcément avoir la meilleure connaissance de la nature.” 

La ville : plus de verdure, moins de voitures

Depuis la vieille ville de Nancy, dans un quartier très touristique, Anne-Sophie Pierson, est partie à la rencontre des habitants de ces lieux historiques, classés au patrimoine mondial de l’Humanité, où le touriste, venu du monde entier, se trouve à chaque coin de rue.  Retraités, étudiants et actifs constituent la majorité de la population nancéienne.

Niçois d’origine, Patrick vit ici depuis plus de 50 ans. Il ne changerait de décor pour rien au monde. “Il y a tout ici, donc oui, on se sent un peu privilégié.”  Mais certains habitants, comme Aurélien ou Patrice, rêvent d’un cadre de vie plus vert, avec plus d’arbres et moins de voiture. Car la mobilité en ville, comme à la campagne, est en enjeu sociétal. Circulation, stationnement et piétonnisation font largement débat dans une ville comme Nancy. De même que “les axes réservés aux cyclistes, souvent insuffisants ou inachevés”, comme en témoigne Agnès. Avec des craintes sur l’impact économique des mesures prises ou envisagées et la capacité à faire vivre les quartiers.

"Alors oui à la mobilité douce, mais pas à n’importe quel prix”, résume Anne-Sophie Pierson. 

Les grands ensembles : un besoin d’espérance

 A Vandœuvre-lès-Nancy, le quartier des Nations, ensemble d’immeubles construits dans les années 60, concentrent de très nombreuses difficultés. Dans ce quartier classé prioritaire de la politique de la ville (QPPV), le vote présidentiel a porté en tête Jean-Luc Mélenchon, avec plus de 45% des suffrages. Mais un électeur sur deux ne s’est pas déplacé.  

Selon le politologue François Laval, il s’agit là de population, souvent jeune, souvent pauvre, éloignée des institutions politique et qui se sent, comme en zone rurale, oublié de ces institutions. 

Pour Jocelyn Mounier, directeur de la MJC Lorraine, “cela traduit un besoin d’espérance, dans un quartier marqué par un fort taux de chômage. Ici, il y a un vrai besoin d’adaptation des jeunes vers le marché de l’emploi”. Une adaptation qui ne se fait pas ressentir toutefois, en cette période de reprise économique. Ici, 48% des habitants ont moins de 30 ans, une population dont le taux de chômage est de 15%. Dans ce quartier qui compte près de 16.000 habitants, le taux de pauvreté dépasse les 46%.
Avec de nombreuses familles monoparentales, des mères vivant seule avec leurs enfants. Et une succession des populations différentes au fil du temps, qui se stratifient les unes des autres, au gré des migrations”, explique Xavier Grandcolas, directeur de la MJC Etoile., située au cœur du quartier. Les Nations regroupent plus de 90 nationalités, avec des problématiques linguistiques et de mobilité. 

Agir sur le bâti pour agir sur le social, comme on le pensait, n’est malheureusement pas suffisant.

Elsa Martin, sociologue

Pour le géographe Vincent Bertrand, “on hérite là d’une période datant d’après 1958, où l’on a construit rapidement, massivement de grands ensembles, avec l’idée de loger un grand nombre d’habitants issus de la campagne, de l’immigration et pour compenser les destructions d’habitations pendant la seconde guerre mondiale. Vite et pas forcément bien. Avec un nouveau d’équipement en services et en commerces bien inférieur à la moyenne. On a oublié que l’espace urbain était aussi un lieu de rencontre, la place, le marché. La MJC ou la cage d’escalier sont des alternatives qui se sont dégagées. Mais elles ne sont pas satisfaisantes.” 

Alors faut-il supprimer ces grands habitats ?
“C’est toute la problématique de la politique de la ville”, explique la sociologue Elsa Martin. “Agir sur le bâti pour agir sur le social, comme on le pensait, n’est malheureusement pas suffisant. Il faut peut-être une politique plus ambitieuse en matière d’emploi, sans forcer cibler des quartiers en particulier. Car l’un des effets pervers de ce type de politique, c’est justement de stigmatiser un peu plus ces quartiers en les identifiant.” 

Fragmentation durable ou horizon commun ?

A l’issue du débat, la question initiale de l’horizon commun, de la vie en commun, reste ouverte. La fragmentation de la société française, son archipellisation telle que l’évoque Jérôme Fourquet, en 2019, directeur du département Opinion de l'Ifop est-elle désormais une réalité?

il y a espoir à porter un projet commun, pour faire société, sinon on ne pourrait pas vivre ensemble.

Vincent Bertrand, géographe

Politiquement, certains ont intérêt à exploiter cette représentation d’une France fracturée qu’on ne pourrait plus réunir. Et c’est aujourd’hui très difficile pour les candidats des mouvements anciens qui ont du mal à s’adapter à cette évolution mais aussi à ceux des nouveaux partis, qui peinent à occuper des territoires où ils ne sont pas en adéquation avec leurs projets”, précise François Laval.

Pour le géographe Vincent Bertrand, “il y a espoir à porter un projet commun, pour faire société, sinon on ne pourrait pas vivre ensemble. Même si aujourd’hui autochtones et autonomes ne portent pas forcément le même projet."

Elsa Martin, elle, insiste sur “le besoin d’alimenter la mixité sociale, de la développer dans ces différents territoires.
Une mixité portée depuis vingt ans par Sciences Po Paris”, rappelle François Laval, par ailleurs directeur du campus Franco-Allemand de Sciences Po Paris à Nancy, “une ouverture territoriale, sociale et internationale, dont on voit qu’elle est une réussite et il faudrait que d’autres institutions puissent suivre ce même exemple. Mais bien sûr, l’éducation, la formation ne suffisent pas, il faut ensuite que l’activité économique suive pour assurer une cohésion de la société française.”   

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