Les déchets bitumés censés être enfouis à Bure présentent des risques d'incendie. L'Autorité de sûreté nucléaire demande des garanties avant d'autoriser le stockage. Nous avons interrogé le directeur du projet Cigéo sur les solutions envisagées.
Le Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) de Bure (Meuse) s'il est autorisé, est conçu pour accueillir à 500 mètres sous terre 85.000 m3 de déchets radioactifs. 20% de ces matières sont des déchets bitumés de moyenne activité à vie longue (MA-VL) produits dans les années 60. Ce sont des boues radioactives scellées dans des fûts enrobés de bitume. Leurs caractéristiques physiques instables suscitent des inquiétudes chez les opposants au stockage souterrain.
Le réseau "Sortir du nucléaire" a pointé les risques d'inflammations et de production de gaz explosifs. L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a demandé à l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), de proposer des solutions pour stocker ces déchets en toute sécurité. Nous avons interrogé Frédéric Plas, le directeur du projet Cigéo, sur les solutions envisagées.
Quels risques présentent les déchets bitumés dans une perspective de stockage en couche profonde ?
Une des interrogations, c'est leur réactivité thermique. S'ils étaient échauffés, certains pourraient entraîner une réaction exothermique, un emballement thermique qui pourrait conduire à incendier le bitume et à mettre le feu [dans l'alvéole de stockage, NDLR]. Je précise que ce n'est pas la totalité des enrobés bitumés qui est concernée mais une fraction pour laquelle il existe des incertitudes sur leur capacité de réactivité thermique.
Quelles solutions envisagez-vous pour neutraliser ce risque ?
La plus simple consiste à prendre les bitumes comme ils sont et les descendre au fond en renforçant les conteneurs dans lesquels sont conditionnés les fûts de déchets ainsi que l'alvéole de stockage. On a renforcé l'épaisseur du conteneur en béton de 20 cm au lieu de 16 en intégrant des fibres de polypropylène pour améliorer la tenue à l'incendie. Nous avons même été jusqu'à réaliser un test d'explosion en intérieur en particulier à l'hydrogène afin de mesurer la capacité du conteneur de stockage à résister. Nous avons aussi renforcé tous les systèmes de détection d’incendie : caméra fibre optique, capteurs de température pour avoir à la fois une vision locale et générale de toute l'alvéole ainsi qu'un système d'aspersion d'eau.
La deuxième solution consiste à stocker ces déchets après traitement des fûts. Ce traitement consiste à détruire la matrice bitume et les sels bitumés. Vous obtenez ainsi un déchet chimiquement inerte qui serait conditionné dans le respect des spécifications imposées par l'autorité de Sûreté Nucléaire.
Une solution est-elle privilégiée à ce jour ?
Nous avons présenté le 16 janvier 2023 le dossier de demande d'autorisation de création (DAC) dans lequel sont proposées les deux voies de gestion de ces déchets sans privilégier l'une par rapport à l'autre. Le Commissariat à l'Energie Atomique (CEA) poursuit les études de caractérisations afin de réduire les incertitudes, d'étudier précisément certaines compositions des fûts bitumés et leur réactivité. Ce programme est en cours.
Ces études vous conduisent à quel horizon pour un stockage éventuel ?
Précision importante : nous n'avons pas prévu de descendre de colis bitumés pendant la phase industrielle pilote, ce qui veut dire que si l'autorisation était donnée de construire Cigéo et de le mettre en service, on ne prendrait de toute façon les déchets bitumés en l'état ou traité qu'après 2050. Cela donne le temps pour développer si c'était nécessaire, une industrialisation d'un procédé de neutralisation de ces déchets avant leur stockage en alvéoles.
Dans l'hypothèse d'un renforcement de la configuration des alvéoles de stockage, cela aurait-il une incidence sur le coût global de Cigéo ?
L'espace de stockage dédié aux déchets bitumés représente quatre alvéoles. Le fait de devoir renforcer ces alvéoles engendrerait un coût supplémentaire mais qui reste modeste, quelques centaines de milliers d'euros à peine. Donc ce n'est pas un accroissement important du coût de gestion de ces enrobés bitumés. [Ségolène Royal alors La ministre de l'Ecologie et de l'Energie, avait fixé le 15 janvier 2016 par arrêté le coût total à 25 milliards d’euros. NDLR]
Déposée le 16 janvier 2023, la demande d'autorisation de création de Cigéo est entrée en phase d'instruction. L'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) va examiner pendant 30 mois la viabilité technique du projet d'enfouissement souterrain des déchets radioactifs [le centre est prévu pour stocker les plus dangereux pendant 100.000 ans. NDLR]. Puis il entamera un long parcours de consultations réglementaires pour aboutir, si les avis sont favorables, à une enquête publique. La signature du décret d'autorisation de création ne devrait pas intervenir avant fin 2027.