La réalisatrice Anne Gintzburger vient présenter son nouveau documentaire "Cœurs d’acier" au U4 d'Uckange samedi 3 septembre 2022. Trente après son premier tournage sur place la journaliste sera en direct dans le journal de France 3 Lorraine à 19h. Elle évoquera les nombreux films qu’elle a tournés tout au long de sa carrière sur l’usine et le monde ouvrier lorrains.
Lorsque l’on cherche des images d’Anne Gintzburger sur le site de l’Institut National de l’Audiovisuel, qui archive toutes les productions françaises depuis un siècle, des dizaines de pages apparaissent. On les parcourt à l’imparfait, au détour d’une époque rêvée. Un magazine d’actualité résonnait à 20h30 chaque semaine sur le service public, Antenne 2, entièrement élaboré par des journalistes de la rédaction.
La jeune journaliste parisienne, fraichement diplômée de l’École des hautes études en sciences de l'information et de la communication (CELSA), intègre la rédaction nationale à la fin des années 80. Service informations générales. Périmètre : France. Son chef de service s'appelle Marcel Trillat. Avec Jacques Dupont, le journaliste a animé la radio pirate "Lorraine Coeur d'Acier" à Longwy en 1979. Cette radio de lutte de la CGT, ouverte à tous (sauf à l'extrême-droite), a ancré le combat des sidérurgistes lorrains dans la société française. Anne Gintzburger revendique la filiation : "c'est Marcel Trillat qui m'a appris à travailler, à trouver les mots justes, à engager ma plume, je suis l'héritière de ses convictions".
Envoyée spéciale pendant huit ans
"Et puis j’ai eu la chance d’intégrer l’équipe d’Envoyé Spécial, qui était alors dirigée par Paul Nahon et Bernard Benyamin". A moins de trente ans, elle sillonne la planète, documente la situation au Rwanda, le sort des petites filles en Inde, les conséquences de l’embargo en Irak. Au total, elle tourne une trentaine de magazines : "j’avais peu voyagé jusque-là, j’ai été comblée par tant de rencontres".
En septembre 91, la Lorraine l’appelle : "Paul Nahon est venu à mon bureau avec un papier de Libé sur la lutte des sidérurgistes d’Uckange, il m’a dit, Gintzburger c’est pour vous" se souvient la journaliste. Elle reste deux semaines, "et toutes les nuits" avec les ouvriers en lutte pour sauver l’usine à fonte : "je n’avais jamais mis les pieds en Lorraine, j’avais 27 ans, je débarque dans un monde très masculin, un univers hostile au premier abord".
Anne Ginzburger se souvient des bizutages en souriant, mais surtout de l’extraordinaire accueil des sidérurgistes. "La dernière coulée" est diffusée en novembre, quelques semaines avant l’arrêt définitif des hauts fourneaux : "ce magazine a été fondateur de quelque chose pour moi, ce monde de l’usine, de ses femmes et de ses hommes, c’était nouveau, puissant, j’y ai trouvé une humanité rare, qui ne m’a jamais quittée depuis". La journaliste, au feu des fourneaux, se lie notamment d’amitié avec Jean-Louis Malys, leader CFDT de la lutte, futur numéro deux du syndicat. Quand elle revient en 2022 pour tourner "Cœurs d’acier" avec un budget serré, l’ancien sidérurgiste l’héberge et lui prête sa voiture.
La tête dans les étoiles
A la fin des années 90, la journaliste quitte le service public pour Canal + : de l’investigation d’abord, et puis la rédaction en chef de "Dimanche +", une émission politique hebdomadaire. Elle tient un an, et se souvient d’une "expérience ultra violente" avec les pressions et les menaces d’un monde politique qu’elle ne voulait pas subir plus longtemps. Dans la foulée elle monte sa boite de production, "Chasseur d’étoiles".
Elle produit et réalise plus d’une trentaine de films à ce jour, "deux à trois par an, on bosse beaucoup". La grande diversité des sujets qu’elle aborde, comme les parcours de l’adoption, le combat des femmes gilets jaunes, ou l’espoir des fileuses vosgiennes, conforte ses convictions. Elle se tient proche des oubliés, avec une constante très forte : elle donne la parole, longuement. Ses questions rythment les entretiens en douceur. Sa sensibilité sonne dans chaque mot. Une école de journalisme du sud de la France fait travailler ses étudiants sur l’écriture d’Anne Gintzburger.
Après avoir vécu les premières secousses de la fin de l’empire sidérurgique lorrain en 1991, la réalisatrice entend le tremblement de terre de Florange en 2011. L’annonce par Mittal de l’arrêt de la filière liquide dans la vallée de la Fensch résonne comme une réplique de ce qu’elle a documenté à Uckange. Elle se presse aux côtés des syndicalistes en lutte, découvre le phénomène Edouard Martin, et replonge dans l’histoire cruelle des ouvriers abandonnés. Son film, "La promesse de Florange", fustige un pouvoir perdu, incapable de soutenir des salariés dépourvus d’attention au sommet de l’Etat. La potion est amère. Si les syndicalistes se démènent, la population reste largement indifférente à la lutte. Les médias remplissent les journaux de larmes, mais personne sauf Anne Gintzburger ne documente aussi finement la complexité du drame qui se joue : la France abandonne son industrie, faute de volonté politique.
Un festival pour donner la parole aux femmes
Son parcours aux côtés des femmes et des hommes de l’acier va prendre prochainement une autre forme. La journaliste, qui porte la parole des femmes depuis ses débuts, va lancer en Lorraine la première édition de son festival nomade : "je le conçois comme citoyen, populaire et culturel". En 2023, elle proposera une semaine de projections de films, des rencontres avec des auteurs, des débats et des spectacles vivants, "dans une ville différente chaque jour, pour aller directement à la rencontre des gens, et notamment de ceux qui sont les plus éloignés de la culture".
Elle va prochainement multiplier les retours en Lorraine, pour boucler son programme et convaincre ses soutiens, avec une attention spéciale pour les écoliers qu’elle souhaite sensibiliser "à la nécessité de prendre la parole, parce c’est déjà s’émanciper, et ensuite ça permet de grandir et de transmettre".
Ce nouveau projet, elle l’inscrit dans la continuité de son travail. Un écho presque à son dernier documentaire qui donne la parole à des lycéens d’Hayange. Dans "Coeurs d'acier", A la question : "connaissez-vous des sidérurgistes ?", la professeur d’histoire-géo ne reçoit que des réponses positives de ses élèves. Mais l’histoire reste encore prisonnière des fantasmes et des friches. Elle se transmet lentement, non sans mal ni heurts. Sans autre commentaire que ses questions ciselées, le propos d'Anne Gintzburger offre un avenir en questionnement à des populations sans boussole depuis la fin du paternalisme.
Le documentaire "Cœurs d’acier" sera diffusé en avant-première au U4 d’Uckange samedi 3 septembre à 20h, et sur France 3 Grand Est le jeudi 8 septembre en deuxième partie de soirée.