Appel à témoins : quand l'Allemagne nazie inondait la Moselle de films allemands

Le réalisateur Tristant Thil et l'historien Anthony Rescigno tous deux originaire de Metz, cherchent des personnes pour témoigner dans le cadre d'un documentaire sur le cinéma allemand pendant l'annexion de la Moselle par l'Allemagne nazie.

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Le réalisateur originaire de Metz (Moselle) Tristant Thil et l'historien Anthony Rescigno, maître de conférences en histoire du cinéma à l'université Paris-Cité et chercheur au CERILAC lancent un appel à témoins vendredi 19 janvier 2024. Ils réalisent un documentaire sur le cinéma allemand pendant l'annexion du département de la Moselle par l'Allemagne nazie de 1940 à l'automne 1944.

Ils recherchent des personnes qui auraient été des spectateurs et spectatrices des films produits par les firmes allemandes de l'époque 1940-1944, ainsi que des témoignages, des souvenirs qui auraient été transmis au sein des familles.

Cet aspect de la germanisation de la population par le moyen du cinéma est peu connu. L’historien Anthony Rescigno en a fait l'objet de sa thèse. Il analyse la politique locale du cinéma mise en place par les nouvelles autorités et cherche à démontrer comment, dès juillet 1940, le cinéma est entièrement germanisé : "pour moi, l'idée c'était plutôt de savoir comment le cinéma avait servi comme outil de propagande."

Je tombe sur des chiffres ahurissants de plusieurs centaines de milliers de tickets vendus

Anthony Rescigno, historien

En consultant les archives des sociétés d'exploitants de l'époque, le chercheur se rend compte que la question est beaucoup plus complexe : "Je tombe sur des chiffres ahurissants de plusieurs centaines de milliers de tickets vendus pendant le dernier trimestre de 1943 et là, je me suis dit que nous n'étions pas face à un cinéma de propagande qui serait juste un outil de manipulation idéologique, mais face à véritable loisir de masse". 

Intrigué par ses découvertes, le chercheur veut en savoir plus, connaître les motivations des spectateurs de l'époque. Il a rencontré, voilà quelques années, des témoins aujourd'hui décédés qui ont confirmé cette appétence lorsqu'ils avaient entre douze et seize ans pour les films proposés.

En Alsace-Moselle annexée, le NSDAP (Parti national-socialiste des travailleurs allemands) contrôle l’organisation de l’activité cinématographique. Les films sont tous projetés en allemand. Anthony Rescigno modifie son hypothèse de départ, axée sur le cinéma de propagande, pour interroger la notion de plaisir évoquée dans les témoignages. Il cherche à comprendre les motivations de cette consommation de masse et quelle était la nature des films imposés par l'occupant.

Les spectateurs avaient cette possibilité de vivre une forme de plaisir par procuration

Anthony Rescigno, historien

L'historien constate que les films de propagande pure, antisémites ou à la gloire du Troisième Reich sont très minoritaires. La grande majorité des œuvres projetées sont des films de divertissement, des comédies populaires, des comédies musicales, mais également des mélodrames.

Comme aujourd'hui, les adolescents sont très consommateurs de cinéma : " Face à une réalité et un avenir assez sombres, les jeunes spectateurs de l'époque avaient cette possibilité de voir ailleurs, de vivre une forme d'exotisme et de plaisir par procuration. Je pense que c'est un des moteurs qui peut expliquer cet engouement de la population pour le cinéma à cette époque".

Le documentaire intitulé L'écran blanc ambitionne de brosser un portrait psychologique de la population mosellane sous l'annexion à travers le cinéma. Anthony Rescigno fonde aussi son travail sur les rapports du SD (Sicherheitsdienst), l'organe de sécurité SS qui consignait méticuleusement les appréciations des spectateurs.

Metz était la ville du Troisième Reich où les gens allaient le plus au cinéma, ce qui m'a étonné.

Tristan Thil, réalisateur documentariste

Tristan Thil, le réalisateur du documentaire, s'étonne aussi de la consommation massive de films allemands en Moselle pendant l'annexion. Il faut cependant se méfier des raccourcis. Le succès des films allemands ne veut pas dire que la population adhérait à l'idéologie nazie. Il est vrai qu'à l'époque, le cinéma était le loisir plébiscité par les jeunes. C'était déjà le cas bien avant la guerre et l'occupation allemande.

La "Heimat", un genre typiquement allemand

Tristan Thil, réalisateur documentariste

Les films de divertissements sont majoritaires et certains sont ce que l'on appelle aujourd'hui des blockbusters : "Le baron de Münchhausen" de Joseph von Baky ou "Die Goldene Stadt" ('La Ville dorée") de Veit Harlan ont connu un succès phénoménal : "Ces films constituent une parfaite illustration de la "Heimat", un genre typiquement allemand qui met en scène l'attachement des personnages à la patrie d'origine après avoir vécu des aventures malheureuses ou extravagantes".

Anthony Rescigno reste prudent quant à savoir si le public adhérait ou se montrait plus ou moins sensible aux virus idéologiques véhiculés à bas bruit dans les films allemands de l'époque et surtout aux actualités nazies qui précédaient le film :  "Mon hypothèse qui va peut-être se vérifier ou pas à travers notre projet de documentaire, est de voir s'il y a eu une forme de sensibilité pour la "germanité" véhiculée par ces films. On ne peut pas l'exclure, mais ça reste difficile à mesurer. Il y a une forme d'ambivalence qu'il faut toujours garder en tête lorsqu'on étudie des contextes aussi sensibles".

Si vous avez vécu vous-même cette période ou disposez de souvenirs de famille et souhaitez apporter votre contribution à ce travail de mémoire, vous pouvez contacter la production à cette adresse mail : look.temoin@gmail.com ou à ce numéro de téléphone : 06 42 33 52 59.

 

 

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