Les gens du voyage : une catégorie administrative dépassée qui entretient des relents d'anti-tsiganisme, selon le juriste William Acker

L'Université de Lorraine et la Ligue des droits de l'Homme ont invité lundi 21 mars à Metz le juriste William Acker dans le cadre d’une table ronde autour de la semaine d'action contre le racisme et l'antisémitisme. Issue par sa mère d’une famille de Voyageurs, le militant revient pour nous sur la notion de "gens du voyage", une catégorisation administrative qui date des années 60, et qui ne correspond pas aux réalités nomades contemporaines.

"Mon grand-père voulait que je devienne avocat, mais il y a plein de façon de l’être sans porter la robe noire". William Acker est juriste et militant. Sociologue amusé parfois, qui se fait féroce quand l’injustice gronde. 

Son dernier ouvrage "Où sont les gens du voyage" (Editions du commun) a débuté sur le terrain. L’incendie de l’usine Lubrizol en septembre 2019 à Rouen prend au piège les Voyageurs qui se trouvent sur l’aire d’accueil à proximité directe du sinistre. Pendant plusieurs jours ils subissent les fumées toxiques, sans que personne ou presque parmi les autorités ne prenne conscience du danger auquel vingt-cinq familles sont exposées.

William Acker fait partie de ceux qui dénoncent l’absence de mesures de protection, et même d’informations, des Voyageurs qui se trouvaient sur cette aire construite en deux sites Seveso. La relocalisation d’urgence, qui apparait comme une nécessité absolue, n’est jamais envisagée.

  Gens du voyage versus Voyageurs

Le premier terme est administratif, il date de 1969, et est utilisé par l’administration "pour désigner la communauté de voyageurs ne disposant pas de domicile fixe". Dans les faits, il recoupe une réalité très hétérogène, car il regroupe sous le même nom des populations qui souvent n’ont comme seul point commun que le rejet qu’elles suscitent.

Pour cette raison, William Acker lui préfère le terme de Voyageurs, qui laisse une plus grande place à tous ceux qui se reconnaissent dans le Voyage, et pourtant le vivent de manière très différente. Ainsi, il est courant de reconnaitre en France les Gitans et les Manouches comme "des gens du voyage". Leurs origines, qui remontent au Moyen-Age, peuvent les considérer comme des cousins, avec une culture commune. Mais les Yéniches, dont les origines font l’objet de plusieurs théories sans qu’aucune ne soit attestée scientifiquement, sont aussi considérées par l’opinion publique comme des "gens du voyage" alors qu’ils n’ont pas grand-chose en commun, en dehors de la pratique de certains métiers traditionnels (la vannerie, la récupération des métaux…). Il y a des "gens du voyage" qui sont sédentaires depuis toujours, d’autres qui ne voyagent qu’à une seule période de l’année, pour des raisons religieuses ou associatives.

Au sein d’un même groupe, comme celui des Manouches du quartier du Bruch à Forbach (Moselle), certains voyagent, d’autre plus. Le travail du juriste, s’il est centré sur les aires d’accueil, offre dans le même ouvrage également un rappel historique sur les Voyageurs : où sont-ils, mais aussi qui sont-ils. Son ouvrage rappelle que si les sciences humaines considèrent les Rroms, les Sinté, les Manouches et les Gitans comme des tsiganes, tous les collectifs englobés par la catégorie administrative des "gens du voyage" ne s’y retrouvent pas.

La Ligue des droits de l'Homme et l'Université de Lorraine ont organisé lundi 21 mars 2022 une table ronde pour tenter de replacer la question des voyageurs en France dans un contexte à la fois historique, sociologique et politique. Autour de William Acker, qui sera l'invité du prochain festival international de géographie de Saint-Dié, le sociologue Piero Galloro, le géographe Mathias Boquet et la psychologue Nada Negraoui ont essayé "d'approcher les voyageurs, un monde tenu à distance".

Mon grand-père voulait que je devienne avocat, mais il y a plein de façon de l’être sans porter la robe noire

William Acker, juriste et Voyageur

William Acker, issu par sa mère d’une grande famille de voyageurs, a tissé au fil de son parcours et de ses études supérieures un réseau qui l’amène à publier le résultat de son enquête sur les aires d’accueil en France. Le livre, disponible gratuitement en ligne, fait un constat sans appel : seuls 24 départements respectent les lois  Besson concernant les aires d’accueil, qui oblige tous les villes de plus de 5000 habitants à construire et mettre à disposition des "emplacements de séjour".

Le tour de France de ces aires, documenté par de nombreux témoignages et visites de terrain, fait froid dans le dos. La plupart des lieux sont relégués aux portes des villes, à proximité de déchetteries, d’usines polluantes, d’autoroutes, et de lignes à haute tension. "Même s’il n’y a pas de données récentes, l’espérance de vie des Voyageurs est inférieure de quinze ans au reste de la population" ajoute le juriste qui décrit remarquablement ces "lieux contraints, obligatoires et payants", souvent gérés par des partenariats public-privé dont le but est de gagner de l’argent ! 

L’autre paradoxe des lois Besson, et non des moindres, réside dans le fait que 94 % des communes (celles de moins de 5 000 habitants) ne sont plus accessibles au stationnement des "gens du voyage". Un crève-cœur pour les Voyageurs, qui font de leur relation avec la nature un élément fort de leur identité : en les parquant le plus souvent sur du béton entouré de grillages et de barbelés, les communes françaises les coupent un peu plus encore de leurs habitudes.

La tentation de voir dans les voyageurs un groupe homogène nourrit les clichés, et fait le lit de l’anti-tsiganisme que documente et dénonce également William Acker dans son ouvrage : "ça nait de la difficulté à connaître et appréhender le Voyage, son histoire, sa complexité, ses réalités sociales et économiques". Réduire à des communautés, des chefs, des coutumes, des "habitudes de vie" qui pourtant sont très diverses : "la vie en famille qui est souvent un des éléments forts de revendication identitaire des personnes catégorisées "gens du voyage" ne permet néanmoins en aucun cas d’affirmer l’existence d’une "communauté des gens du voyage" ".

Seul point commun : le rejet de la part des non-voyageurs

"Même si le travail salarié est souvent rejeté par les Voyageurs, car ils estiment qu’il entrave leur liberté, il y a de plus en plus de salariés parmi nous" : l’auteur explique ainsi, que les  "évolutions des pratiques du Voyage sont accompagnées d’un changement dans les pratiques professionnelles : la vannerie des familles manouches, la chaudronnerie des rroms hongrois ont décliné pour laisser une part plus large aux métiers du commerce ou du recyclage des métaux".

Le seul point commun à tous les Voyageurs : le rejet unanime qu’ils suscitent là où ils passent et s’installent. Pourtant ils sont Français dans leur immense majorité, et souvent depuis des générations. Certains choisissent le terme de "Français itinérants", "mais moi je préférerais Français tout court" conclue le juriste. Et les Voyageurs sont aussi de plus en plus… des Voyageuses : "il y a des mères célibataires sur la route avec leurs enfants !"

William Acker, qui est sédentaire, défend "un mode de vie profondément européen, que l’on retrouve sur tout le continent depuis dix siècles au moins, c’est une richesse, qui est protégée par les conventions internationales". Mais, "il ne faut pas tomber dans l’angélisme. Il y a des Voyageurs qui se comportent mal. Mais au regard de ce qu’ils subissent…"

Le juriste évoque également un tabou : celui du recensement des "gens du voyage". Interdit par la loi, le fichage ethnique est plusieurs fois documenté dans son livre : "on n’a jamais réussi à avoir les preuves et les listes, mais les témoignages sont nombreux qui attestent de l’existence d’un fichage officieux". Celui-ci n’a pourtant plus aucune raison d’être : la fin des carnets de circulation (en 2017 !) dispense désormais les Voyageurs de se signaler auprès des autorités là où ils s’installent.

La question de l’image des voyageurs renvoie également dans l’ouvrage à celle de leur représentativité dans la société française : combien de journalistes, d’élus, d’origine manouche ou gitane ? Très peu, trop peu pour leur donner la parole dans l’espace public : "l’avenir c’est de croiser nos luttes, et d’abord celle de conditions d’accueil décentes, avec celles des écologistes, des femmes, des militants anti-racistes, et de tous ceux qui se battent contre les discriminations".

Cette pluralité de paroles, de représentations, de points de vue, le juriste s’en réjouit : "mon avis a déjà évolué sur plusieurs points depuis la rédaction du livre. Certains Voyageurs ne sont pas d’accords avec ce que j’écris et ce que je défends, mais j’ai le mérite de faire avancer les choses. Je suis militant, et j’en suis fier".

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